C’est mon histoire : « Angoissée par la maladie, j’ai épousé mon médecin »

Quelle spécialité ?                                             

« Je te présente Damien, il est médecin. » Je n’ai pas encore ôté mon manteau que mon cerveau bascule en mode « priorité absolue », en réaction à l’information lâchée par mon amie Martha, qui organise le dîner. Information qui pèse aussi lourd pour moi que de décrocher le pompon au manège pour un enfant. Frayer avec un médecin, hors cabinet médical s’entend, représente, en effet, une opportunité de rêve pour passer au crible certains de mes symptômes et m’assurer de la pertinence des diagnostics — perpétuellement rassurants — de mon généraliste et de ma gynéco. Il y a deux sortes d’hypocondriaques. Ceux pour qui le plus merveilleux des cadeaux serait un abonnement illimité pour un check-up hebdomadaire. Et ceux, dont je fais partie, qui rechignent à passer le moindre examen — même un bilan biologique sanguin relève de l’épreuve —, en vertu de l’adage : « Pas vu, pas pris. » Dans l’entrée de l’appartement donc, je vois, certes, que ce Damien est pile mon type d’homme, mais, priorité d’hypocondriaque oblige, mon cerveau le refoule au tréfonds des oubliettes, hypnotisé par sa seule profession. Pourtant, je suis en jachère sentimentale après deux échecs successifs — un mariage d’amour de sept ans et une passion de quatre ans — et, depuis, je me satisfais lamentablement de relations-pansements dénuées d’intérêt, et encore, uniquement parce que mes amis m’ont convaincue que l’appétit vient en mangeant. Je fais donc l’impasse sur l’homme et j’embraie aussitôt : « Quelle spécialité ? » Je croise les doigts intérieurement, cette fois j’y crois, je vais — enfin — entendre « médecine interne ». Le Graal suprême et absolu pour un hypocondriaque. Ce sont les Sherlock Holmes de la médecine, de purs génies qui connaissent tous les organes et toutes les maladies qui vont avec, des spécialistes en tout, tellement pointus que tout ce qui est rare, bizarre ou quand les autres rament sans trouver ce dont souffrent leurs patients, c’est pour eux. Et ils trouvent. Mes idoles ! Aussi, quand j’entends « néphrologie », j’avoue, je suis déçue, jusqu’à ce qu’il précise : « chirurgien néphrologue ». Une nuance qui change tout : « Il connaît donc le corps humain entier s’il a fait chirurgie, pas que les reins », me dis-je, en retrouvant le sourire.

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M’en faire mon meilleur ami                                             

Pendant le dîner, je découvre Damien chaleureux, cultivé, empathique et maniant finement l’humour. Ce qui, en psychologie hypocondriaque, équivaut à « médecin non anxiogène, attentif, qui ne balance pas les mauvaises nouvelles entre deux portes, ni sa logorrhée scientifique », ce qui me donne toujours l’impression que le praticien veut se convaincre du bien-fondé de son diagnostic. Ni une ni deux ! Ma décision est prise : « Jo, tu te débrouilles pour t’en faire un ami avec un grand A, celui que tu pourras appeler à 3 heures du matin. » Et je me prends à rêver : une douleur inhabituelle au bas-ventre à droite, qui me vaut d’hésiter entre un cancer de l’ovaire ou du côlon et une inflammation dégénérative de l’os de la hanche ? Hop ! Un coup de fil, trois questions affûtées et : « Rien de grave, tout va bien. » Que du bonheur ! Dès lors, pour me mettre dans ses petits papiers, je passe les cinq semaines qui suivent à lui présenter toutes mes copines célibataires, vu qu’il est divorcé depuis peu. Me mettre sur les rangs n’est pas une option, car je suis persuadée de ne pas lui plaire, c’est dire si je mouline à fond dans ma roue de hamster avec mon trip « meilleur ami ». J’arpente aussi les antiquaires et les magasins de design avec lui pour son nouvel appartement. D’ordinaire, l’idée même m’aurait pétrifiée d’ennui, mais, entre deux lampes Charlotte Perriand, il n’est pas avare en consultations, comme pour cette douleur au coude avec perte de force musculaire. « Ça ressemble à Parkinson et à la sclérose en plaques, non ? – Il y a d’autres signes. Tu joues au tennis, ce doit être de l’arthrose ou un tennis-elbow. Tu vas aller voir un copain rhumato. Il a trois mois d’attente, mais il te recevra entre deux patients. » Bingo ! Dans le package « meilleur ami », il y a aussi ses potes médecins. Le luxe !

T’inquiète, je vais veiller sur toi                                             

Assez vite, on a l’impression de se connaître depuis toujours, on rigole ensemble, on s’appelle en FaceTime, chacun sous sa couette, sans chichis. Je suis démaquillée, le nez dans mon infusion. Parfois je glisse un : « On a quoi exactement comme organe, là ? Quand j’appuie, ça me fait mal. – Moi aussi, si j’appuie, ça me fait mal. Pourquoi tu appuies ? » Imparable ! « Heu, ben, oui, pourquoi ? » Jusqu’à ce soir de mai, il y a huit ans, où il m’accueille chez lui avec une austérité inhabituelle : « Je ne sors pas, ça ne m’intéresse pas de boire un énième verre avec tes copines. » Je tente de faire l’article, mais il m’interrompt : « Ça ne m’intéresse pas, car j’ai déjà rencontré la femme avec qui j’ai envie d’être. » Et il s’approche pour me prendre dans ses bras. Je tombe de l’armoire. Divinement, mais je tombe quand même. Après notre premier baiser, je ne sais plus où je suis, j’articule un saugrenu : « Je ne veux pas te prendre en traître, je dois t’avouer que je suis hypocondriaque, tu peux encore changer d’avis. » D’un sourire tendre, il me répond : « Je m’en étais rendu compte », mais son regard en dit plus, j’y lis « Ne t’inquiète pas, je vais veiller sur toi ».

Une vie plus légère                                                                         

Nous nous sommes mariés deux ans plus tard. J’avais souvent plaisanté, en disant que mon antidote serait d’être en couple avec un médecin. C’est vrai, mon anxiété est moins prégnante, mais il y a quand même des ratés, comme ce jour, il y a trois ans, où mon bilan sanguin annuel, prescrit par ma gynéco, révèle une anomalie, surlignée en gras. Et pas n’importe laquelle : insuffisance rénale. Mon taux est anormalement bas. Et ce n’est pas une invention d’hypocondriaque, le laboratoire indique les références de base sous les chiffres de la créatinine, qui évalue le fonctionnement des reins. Je me décompose. Soudain, tout fait sens. Je pense aux petites synchronicités de Jung. On y est ! Voilà pourquoi j’ai épousé un néphrologue, j’allais avoir besoin de son amour pour endurer l’épreuve d’une maladie incurable. C’était écrit. Je me vois en dialyse, inscrite sur la liste des demandeurs d’organe, en attente d’une greffe de rein, au bout de ma vie. Mon fils grandira sans moi. J’appelle Damien, exsangue d’angoisse. Messagerie. Quinze fois, j’obtiens sa messagerie. J’avais oublié, on est mardi, il est au bloc opératoire tout l’après-midi. J’ai péché par excès de confiance. Pour une fois, j’étais sereine, je me sens comme le braqueur de banque qui a fait le casse de trop et qui se fait coffrer pour avoir baissé la garde. J’aurais dû tout baliser comme d’habitude et m’assurer que Damien était joignable avant de lire mes résultats. Il rappelle enfin. Et, là, l’homme de ma vie frôle le sublime : « On va refaire le dosage, mais, avec la chaleur de ces jours-ci, il suffit que tu n’aies pas assez bu pour que le taux baisse, je ne suis pas inquiet. » Y a-t-il phrase plus parfaite ? Damien sait toujours exactement quoi dire et quoi faire pour dissiper la pression. Mes ex appuyaient là où ça fait mal, Damien allège ma vie. C’est vrai que, certains soirs, il doit avoir l’impression de faire une double journée… Je sais la patience et l’indulgence que lui demandent mes interrogations sans fin. Ne pas minimiser mon ressenti et y répondre est l’une des plus belles preuves de son amour. Ses qualités de médecin objectivent, certes, mes symptômes, mais ce qui désamorce l’anxiété avant qu’elle n’attise mon hypocondrie, c’est notre amour. C’est lui, mon antidote.

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