Santé

C’est mon histoire : « Enceinte, j’ai quitté mon mari pour une femme »

La fille la plus canon de toute la fac

Yasmine est tombée, ce jour-là. Une chute normale, une chute d’enfant. Isaure et moi étions à quelques mètres, main dans la main, dévorant des yeux cette merveille de petite fille. Une mamie se précipite pour l’aider, et on l’entend lui dire : « Regarde, chérie, elles sont là, tes mamans… » « Tes mamans ». Au pluriel. Isaure et moi. Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, même dans l’esprit d’une vieille dame. J’ai serré très fort la main d’Isaure, retenu une larmichette, et j’ai eu comme une envie de tout déballer à la petite mamie pour qu’elle mesure le chemin que, moi, Amel, j’avais parcouru : musulmane, voilée il y a encore deux ans, j’étais désormais divorcée et j’élevais ma fille avec l’amour de ma vie, une femme.

J’ai grandi dans une cité HLM, de l’autre côté du périphérique. Ma mère était prof, et mon père ingénieur, quand ils vivaient encore au Maroc. À leur arrivée en France, ils n’ont pas trouvé de poste équivalent, et j’ai vu leurs mains se couvrir de cals à force de travaux ménagers ou de maçonnerie. Et moi j’ai compris très vite que les études étaient ma porte de sortie. J’étais la seule fille, j’étais l’aînée, mes parents plaçaient beaucoup d’espoir en moi. Alors, au collège comme au lycée, ma seule priorité, c’était le boulot. Les garçons ? Ils n’existaient pas. Comme si mon corps n’existait pas : il était fonctionnel. Il devait juste m’emmener au but que je m’étais fixé. Et à 18 ans, le bac (mention très bien) en poche, je me suis inscrite en fac d’histoire. En cumulant les petits boulots, je me suis payé une chambre de bonne : ma vie d’adulte pouvait commencer. Les premiers temps, j’ai continué à vivre en ermite. Mais l’air de Paris, l’ambiance de l’amphi, la vingtaine m’ouvrent peu à peu aux autres. Et d’abord à Kassim. Il suit les mêmes travaux dirigés que moi, il est aussi bosseur que moi, et il est extrêmement gentil. Il me drague un peu, mais pas trop. Petit à petit, au prétexte de réviser ensemble, on se rapproche… Et il me fait du bien, parce que les semaines ont beau passer, je me sens toujours en décalage avec le monde dans lequel je viens d’entrer. Je finis, malgré tout, par avoir ce qui ressemble à une bande de copains : on se retrouve au café, ils fument, je me marre à leurs blagues, et puis je file bosser.

Un jour, Isaure me rattrape dans la rue – honnêtement, c’est la fille la plus canon de toute la fac. Elle me dit : « Amel, pourquoi tu pars ? Détends-toi un peu, je te jure, ça te va mieux… » Je ne sais pas pourquoi, mais je rougis. J’aime bien qu’elle me parle comme ça, j’aime bien qu’elle m’ait remarquée. Alors un jour, je m’attarde. Parce qu’elle est la seule à rester au café. Seule, face à elle, je m’ouvre un peu. Je raconte d’où je viens, mes complexes, mon manque d’argent… « Et donc, me demande-t-elle avec un air de défi, tu vaux moins qu’eux ? Si c’est juste une question de codes, je peux t’apprendre, si tu veux. » Ce qu’elle fait, les mois qui ont suivi : elle m’emmène faire du shopping, m’apprend à me maquiller, à me coiffer, et à goûter, surtout, sans vergogne, ce genre de futilités que je m’étais toujours interdites. Elle me trouve belle, j’aime me trouver belle dans son regard, je m’y attarde… Un soir, parce qu’on a un peu trop parlé, un peu trop rigolé, je rate le dernier métro. Isaure me propose de passer la nuit chez elle. Je n’hésite pas une seconde, et me retrouve à partager son lit – il est immense, et je ne pense pas à mal. Sauf qu’on se réveille, au petit matin, dans les bras l’une de l’autre. Il ne s’est passé rien d’autre que ce contact peau à peau, mais il m’effraie autant qu’il me plaît : sans un bruit, je rassemble mes affaires, et je fuis.

« C’est pour quand le mariage ? »

Ce jour-là, comme par hasard, Kassim devait me présenter sa famille. De mon côté, je devais venir avec mes parents… Je suis asphyxiée, sous pression, complètement flippée par les souvenirs du corps d’Isaure et du désir que j’en éprouve. Alors, quand, pour plaisanter, les parents de Kassim me disent : « C’est pour quand le mariage ? », ma réponse fuse : « Avant l’été. » Kassim s’étrangle, et puis il rit : « O.K. » Six mois plus tard, on est mariés. Deux mois après, je suis voilée. Mon père en est fou de rage – mes parents sont croyants, mais pas très pratiquants. Kassim est persuadé que ça me passera. Isaure, elle, me voyant prendre mon rôle d’épouse aussi au sérieux, se contente de sourire : « Ça te va bien, ça fait ressortir tes yeux. » Avec elle, je suis libre d’être qui je veux. Et libre de partir à 7 heures du matin sans un mot : elle ne m’en a même pas voulu. Mais même Isaure a ses limites…

Un jour, je tombe enceinte. Ne pas garder l’enfant n’est pas une option – ma famille est libérale, mais quand même… Me voilà dos au mur. Qui j’appelle en premier ? Isaure, évidemment. Elle me raccroche immédiatement au nez. Pendant des semaines, elle disparaît, ne répond à aucun appel, aucun texto. Moi, je suis en vrac, fatiguée, nauséeuse, bourrée d’hormones… Alors je dévisse : je suis odieuse avec Kassim, au bord du harcèlement avec Isaure. Elle finit par me donner rendez-vous au parc du Luxembourg, certainement pour avoir la paix. On est si agitées, toutes les deux, qu’on n’arrive même pas à s’asseoir… Debout, près de la fontaine, elle prend ma main et la serre contre elle : « Amel, je suis folle amoureuse de toi depuis le début, et tu le sais, puisque tu m’aimes aussi. Alors ne me demande pas ça. Ça, je ne peux pas. » « Ça », c’est mon bébé…

Les mois qui suivent sont atroces. Ma grossesse est difficile et je ne supporte plus rien : pas le moindre examen médical, pas la moindre caresse de Kassim – cet homme est un saint… Chaque fois qu’il tente de me parler, de me demander ce que j’ai, je le rabroue. Tellement vite, tellement fort, qu’un jour je le fais devant ma mère. Elle m’attrape par l’épaule et me conduit à la cuisine : « Ma fille, je n’ai pas fait tout ce chemin-là, et tu ne l’as pas fait toi non plus, pour ne pas avoir le courage de tes actes. Quoi qu’il se passe dans ta tête de mule, tu assumes ! » Ses yeux sont noirs de colère, de cette colère que je connais depuis l’enfance. Son regard m’entre en plein cœur et me délie la langue. Je m’entends lui répondre : « Si assumer, ça veut dire quitter son mari, enceinte, et partir vivre avec une fille, je dois le faire aussi ? » Elle blêmit, je baisse les yeux. Les joues en feu, je paierais cher pour pouvoir ravaler mes paroles. C’est trop tard, elles ont été prononcées : pas de retour en arrière possible. Le soir même, je parle à Kassim.

Moi, je raconte. Tout.

Il ne dit rien, il écoute, et moi, je raconte. Tout. S’ensuit un long silence. Puis Kassim murmure : « De toute façon, tu n’as jamais été amoureuse de moi. » Je caresse sa joue avant de répondre : « Toi non plus, je crois. » Il sourit : j’ai visé juste. La suite de cette discussion est lunaire. On parle sans transition déménagement, garde alternée, et comment l’annoncer aux parents. Le soir-même, je mets quelques affaires dans une valise. Vingt-quatre heures plus tard, je suis chez Isaure… C’est le début du casse-tête : Isaure n’a pas demandé à avoir un bébé dans sa vie et ce bébé n’a pas demandé à naître dans une famille éclatée ; Kassim panse ses plaies, la culpabilité me plombe, et mes parents, malgré leur bonne volonté, mettent un certain temps avant d’accepter une réalité qu’ils n’auraient jamais pu imaginer. Mais vous savez quoi ? Les choses se mettent en place. Oui, on y arrive.

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