Santé

C’est mon histoire : « Et puis, je suis tombée amoureuse de Julie »

C’est moi qui l’ai embrassée. Je lui ai dit que c’était à cause de la canicule, que la chaleur m’était montée subitement à la tête. Julie m’a répondu « moi aussi », et elle m’a embrassée à son tour. On était à Singapour, sur un rooftop plein de monde mais il n’y avait qu’elle et moi dans le murmure de notre étreinte inattendue. Je ne touchais plus terre ; mon cœur tambourinait comme un fou dans ma poitrine. Elle m’a pris la main et on s’est enfuies jusqu’à son appartement. Si on m’avait dit, la première fois que je l’ai vue – huit ans plus tôt – que j’allais faire l’amour avec elle sur son sofa et que j’allais trouver ça merveilleux, j’aurais rigolé, je me serais même peut-être étranglée. Faire l’amour avec un autre que mon Paul était inenvisageable. Alors avec une fille…

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Comme deux ados 

On s’était rencontrées à Paris, à une fête des voisins. Chaque année, dans la cour de notre immeuble, on sortait les tables, les lampions, la platine et c’était la nouba jusqu’à pas d’heure. Ce soir-là, Paul était plus fringuant que jamais. Disons qu’il avait un peu forcé sur la vieille prune du voisin du quatrième. Il dansait n’importe comment, ce qui amusait beaucoup Julie. Elle était d’ailleurs la cousine de ce type qui tentait d’empoisonner mon mari avec son tord-boyaux infâme. Elle habitait à Singapour avec son mec. Elle y enseignait le français. Je me rappelle comme je l’avais trouvée belle avec ses longs cheveux noirs bouclés et sa fossette ; un mélange de femme fatale et de malice enfantine. Il se dégageait d’elle une simplicité délicieuse qui me donnait envie de la connaître. Entre deux éclats de rire – principalement dus aux « chorés » de Paul –, nous avions passé la soirée à se raconter nos vies et à s’échanger nos bons plans lecture. Comme moi, elle adorait les romans noirs américains. Nous avions fini très tard dans un recoin de la cour, entre les pots d’hortensia et de laurier-rose, juste elle et moi, déjà. Ensuite, on s’est écrit de temps en temps et lorsqu’elle venait voir son cousin, elle passait à la maison. J’appréciais sa finesse d’esprit et son humour. Elle avait toujours le bon mot, la petite phrase décalée qui rendait la vie plus légère. Paul aussi l’aimait bien. Il disait qu’on ressemblait à deux ados ensemble. À cette époque, j’étais sur un nuage, amoureuse dans une vie si bien rangée. J’avais tout prévu. Les grandes études, le bon travail, le mec parfait, le mariage de princesse, le bébé (qui se faisait attendre), la future maison… Et même le chien. Allez savoir pourquoi, je nous imaginais, Paul et moi, avec un husky. Des réminiscences de « Croc Blanc », peut-être, que j’avais lu des tonnes de fois étant petite…               

Mais Paul est tombé malade. Pendant cinq ans, plutôt que de parler bébé et husky, on échangeait sur les protocoles et pronostics de guérison avec des mots compliqués que j’ai fini par connaître par cœur. Un jour de novembre, on a cru à la victoire. Trois mois plus tard, c’était reparti de plus belle… Se battre encore. Mais, on a perdu. En une vingtaine de jours, Paul, à bout de force, s’est éteint. Mon monde s’effondrait. Je me suis réfugiée dans ses affaires et dans mon chagrin, avec la trouille immense d’oublier sa voix et ses mains. Sans lui, je ne m’imaginais plus d’avenir. Moi qui avais tant rêvé d’un enfant, je les regardais à présent comme des bêtes curieuses qui ne faisaient plus partie de mon univers. « Tu es encore jeune, me répétaient mes amis et ma famille. À 37 ans, il peut encore s’en passer des choses ! », essayaient-ils de me rassurer. J’acquiesçais bêtement pour n’inquiéter personne mais, au fond de moi, ces mots bienveillants n’avaient aucune résonance. La maternité était devenue un concept que ma tristesse rendait dérisoire. Comme anesthésiée, je n’en souffrais même pas. C’était comme ça.

Un an de congé sans solde     

Après presque un an et demi à errer dans notre appartement en m’enveloppant dans les sweat-shirts de Paul, j’ai eu besoin de sortir et de m’accrocher au « monde ». D’un coup, un appétit de vivre boulimique m’envahissait. Je voulais respirer et goûter à tout ce qui se présentait à moi. Et surtout, ne plus rien prévoir. J’allais où le cœur m’embarquait. Un pique-nique par-ci, un week-end à Berlin par-là… Je n’avais plus de repères. L’inconnu devenait la promesse d’un forcément mieux. Moi, si sage et casanière, j’étais devenue la reine des concerts de rock, des festivals electro et des dance-floors. J’enchaînais les aventures, pourvu qu’elles ne soient que d’un soir. « Plus de lendemain », ça m’allait bien. Ce que je voulais, c’était combler ce vide et ressentir à nouveau ; revenir dans le monde des vivants. Julie m’encourageait dans cette ouverture aux autres. Elle et moi communiquions de plus en plus. Pendant toute cette période difficile, elle ne cessa jamais de prendre de mes nouvelles avec ce ton bien à elle, plein d’humour et d’autodérision. Et, dans tout ce pathos de condoléances et de compassion, ça me faisait un bien fou !                

Elle était toujours à Singapour mais s’était séparée de son compagnon. Elle vivait seule avec leur fille de 5 ans. « Et pourquoi ne viendrais-tu pas nous voir ? » insista-t-elle un soir sur FaceTime. Je n’ai pas réfléchi longtemps : c’est à cet instant que je décidai de faire mon long voyage. Au grand dam de ma mère, inquiète, qui me rabâchait « le travail, c’est la santé », j’ai donc pris un congé sans solde d’un an. Mes tableaux Excel et ma compta ne pouvaient rien pour moi.                

Avec l’argent que Paul et moi avions mis de côté pour l’achat de notre maison, j’ai acheté des billets d’avion. J’avais un besoin viscéral de trouver un ailleurs où je pourrais me réinventer. J’ai commencé par l’Islande, où j’avais toujours rêvé d’aller. Ces immensités de lave et de mousse, cette nature qui grondait sous mes pieds me faisaient oublier d’où je venais. Ensuite, je suis restée trois mois en Inde, au Rajasthan, où j’ai appris à danser comme une déesse de Bollywood. J’y ai surtout rencontré un couple de travellers avec qui j’ai parlé durant des heures. Ils voyaient le passé, avec toute la douleur qu’il pouvait porter en lui, comme une promesse pour l’avenir à condition de l’accepter. Puis, je suis partie en Thaïlande, au Vietnam… Seule face à moi-même, je me laissais porter par les paysages et les rencontres, sentant peu à peu ma peine s’adoucir.

Sans honte, éperdument   

Désormais, j’échangeais avec Julie tous les jours. J’aimais ses mots et la sentir connectée à moi. Comme cette fois où j’ai cherché comme une furie un cybercafé au milieu d’une rizière… N’importe quoi ! Je sentais que notre amitié glissait peu à peu vers autre chose… Quoi ? Je ne savais pas trop, mais je m’y engouffrais allégrement, ne pouvant plus me passer d’elle. C’est au bout d’un périple de cinq mois que je débarquai à Singapour, dans sa tour de verre. Je devais y rester dix jours. Dix semaines plus tard, j’étais encore là… dans ses draps. J’aimais tout chez elle. Son esprit, ses yeux rieurs, ses grains de beauté et même son sexe ! On était autant sidérées l’une que l’autre par ce désir cru qui tout à coup nous enflammait. Elle comme moi n’avions jamais été attirées par une femme auparavant. Pourtant, tout était si naturel entre nous. Ses mains brûlantes sur ma peau, ma bouche entre ses cuisses, son corps ondulant de plaisir… C’était si torride que j’en oubliais d’avoir peur.                

Nous sommes ensuite parties à Bali puis sur les îles Gili, en Indonésie… Je me disais que notre idylle n’était peut-être que thérapeutique, liée sans doute à ce cadre enchanteur de carte postale dans lequel nous vivions, et qu’elle allait s’éteindre une fois que je serais de retour à Paris. Mais non. Je voulais être avec Julie. Éperdument. Paul était toujours dans mon cœur, bien sûr, mais j’avais accepté qu’il parte pour de vrai. J’étais prête à écrire une nouvelle page. À la rentrée suivante, Julie est revenue vivre en France, à Paris, pour moi. Enfin, pour nous. On a emménagé ensemble, à Montmartre, en prévoyant une jolie chambre pour sa fille. Je l’ai présentée à ma famille et à mes amis, même à mon ancienne belle-famille, sans honte de « ma meuf », sans laisser de place aux esprits grincheux et fermés. Je l’aime, un point c’est tout. Pas le temps de tergiverser. Cela peut paraître niais dit comme cela, mais la mort et l’amour ont cette faculté de rendre insignifiantes ces simagrées conformistes.                

Un an plus tard, on allait vouloir plus que tout que je tombe enceinte. La troisième insémination a été la bonne. Et moi qui pensais ne jamais avoir d’enfant, à 40 ans, j’en ai deux aujourd’hui qui jouent au foot dans mon ventre. J’ai renoncé à ce qu’on adopte un husky ; je crois qu’avec Julie, on va être bien occupées ces prochaines années.                                           

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