C’est mon histoire : « J’ai cherché un co-parent sur internet »

 « J’avais envie de tout avoir »                               

J’ai compris que c’était une bonne idée le jour où j’en ai parlé à ma mère. Elle est cool, mais elle est d’une autre époque. « C’est génial ! » s’est-elle exclamée. Je venais de lui expliquer que j’avais décidé de devenir mère en dehors du couple traditionnel. Je ne voulais pas avoir deux enfants d’un coup. Elle a éclaté de rire. Elle avait très bien compris ce que je voulais dire par là. Et quand je lui ai demandé : « Est-ce qu’il y a un homme dans ta vie qui ne t’a pas déçue ? », elle m’a répondu d’un petit « non » timide. Mon père n’a pas été un mauvais père pourtant. Bien au contraire. Après leur séparation, qui s’est passée en douceur, il m’a élevée seul longtemps, et il a été merveilleux. Simplement mes parents n’avaient pas prévu mon arrivée, et je sentais bien que j’étais une contrainte. Adulte, cheminant avec mes copines vers un féminisme de plus en plus assumé, j’ai compris que mon père était une exception. J’ai vu mes amies hétéros questionner une à une leur désir de maternité, piège ultime du patriarcat. Je ne pouvais que leur donner raison. Mais je m’entêtais. J’avais envie de tout avoir : le sexe, l’amour, la maternité et l’émulation intellectuelle. J’ai cru que je trouverais tout ça en une seule personne : Arthur. Notre couple me comblait et je projetais un futur avec poussette et balades dans le parc. Quand il m’a quittée, j’ai eu le cœur brisé. C’est banal mais la banalité n’enlève rien à la douleur. Puis je me suis aperçue qu’au chagrin d’amour s’ajoutait une autre blessure, j’avais perdu « tout ça ». « Tout ça », c’étaient mes envies de maternité. J’avais 30 ans et j’ai décidé de ne plus dépendre de l’amour d’un homme pour faire famille. C’est là que m’est venue l’idée de la coparentalité. Plus j’y réfléchissais, plus je trouvais ça génial. Est-ce que je suis capable de faire un enfant toute seule ? Oui ! Est-ce que j’ai envie de faire un enfant avec quelqu’un : absolument ! Mais si je fais un enfant en dehors du couple, finis les risques de séparation ! Amour, sexe, maternité, émulation intellectuelle. Je pouvais avoir tout si j’arrêtais d’attendre qu’une personne comble tous mes besoins. La société avait déjà séparé le sexe et l’amour. Mais dans le champ de la maternité tout restait à inventer.

« À force de scroller, je suis devenue experte »                               

Quand je me suis inscrite sur un site de rencontres pour coparents, j’ai mesuré à quel point le chemin serait long. J’ai créé un profil, mais comment formuler mes critères de recherche ? Quatre catégories s’offraient à moi : géniteur (quelqu’un qui donne son sperme sans s’impliquer), coparent, homoparentalité (couple d’hommes ou de femmes, cherchant un autre couple ou une tierce personne) et faire famille (pour ceux qui ont déjà des enfants). Chercher un géniteur ne m’intéressait pas. Si je voulais tomber enceinte, étant bisexuelle, il me suffisait d’aller dans un bar. Je n’étais pas en couple et n’avais pas d’enfants, c’était donc bien un coparent que je cherchais.

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J’ai commencé à balayer les profils, comme je le fais sur Tinder. Mais avec des critères bien différents. Si j’accorde habituellement une certaine importance au physique, je me concentre ici sur des questions de santé. J’ai vu que d’autres avaient moins de scrupules et refusaient en vrac les roux, les petits, les gros, à la recherche du code génétique « parfait », comme dans une mauvaise histoire de science-fiction… Surtout, pour moi qui cherche quelqu’un avec qui élever un enfant, afficher mes valeurs d’emblée est capital. Et parler de projets éducatifs une priorité. Est-on pour une éducation non violente ? Que pense-t-on de l’alimentation ? Des méthodes de garde ? Quels sont nos projets géographiques à moyen et à long terme ? Toutes ces questions cruciales, qui bien souvent surprennent les couples et parfois les font exploser… À force de scroller, je suis devenue experte. Beaucoup (beaucoup) d’hommes proposent généreusement leurs services – comprendre leur sperme – par la méthode naturelle – comprendre le cul. Il existe bien sûr d’autres méthodes, notamment celle de la pipette de Doliprane, qui, paraît-il, est efficace. Mais, sur ces sujets, les sites sont nébuleux. Le don de sperme n’est autorisé en France que dans des établissements homologués pour des raisons éthiques évidentes. Les sites rivalisent donc d’imagination. Voilà ce qu’ils suggèrent : au moment de l’éjaculation, provoquée seul par le géniteur (comprendre il se branle), une pénétration fugitive à l’entrée du vagin permet de transmettre la semence. S’il y a pénétration, le législateur n’a rien à redire. Ni vu ni connu, je t’embrouille. Moi je ne suis pas encore dans ce genre de problématique. Je veux trouver quelqu’un avec qui bâtir mon projet. Je me poserai la question du « comment » après. Pourtant je suis submergée de propositions. « Se déplace dans toute la France », « Méthode 100 % naturelle, orgasme garanti », « Bon sperme très fertile », « Discret, disponible et bien monté », etc. Je suis écœurée. Visiblement Tinder ne suffit pas. Les plus malins ou les plus désespérés étendent leur terrain de chasse aux sites de coparents. Quand j’ai voulu signaler un profil particulièrement agressif, nouvelle surprise : un mur. Alors que ces sites sont pour la majorité payants et même très chers (plus de 30 euros par mois en moyenne), on ne trouve pas trace de modérateur. On m’a guidée vers une vidéo faisant la promotion du site, et on m’a invitée à poster ma réclamation en commentaire. Lunaire !

« Je suis là par choix et je fais un peu tache »                              

Mais je ne me décourage pas. J’ai toujours voulu des enfants. Ça m’est tombé dessus à la naissance de ma nièce. J’avais 10 ans. Quand je me suis penchée sur le berceau d’Iris, j’ai été prise d’un amour incommensurable. La responsabilité m’a coupé le souffle. J’ai rassuré ce petit être vagissant : « Tu n’as pas demandé à venir au monde. Mais je serai là pour toi quoi qu’il arrive. » Iris m’a obligée à faire passer ses besoins avant les miens. Moi qui suis du genre égoïste, j’ai adoré ça. En continuant de scroller, je suis tombée sur beaucoup de personnes sur le spectre, entravées dans leur désir de famille par la difficulté des relations sociales. Des étrangers, hommes et femmes, espérant obtenir des papiers. Des femmes seules, sous la pression de leur prétendument horloge biologique. Des queers, empêchés par le conservatisme ambiant. Pour le dire crûment : les exclus de la société. Je suis là par choix et je fais un peu tache. Lors de mon premier rendez-vous – un trentenaire dont la petite amie, plus âgée, avait déjà un enfant –, je me suis surprise à rêver. On avait parlé pendant des mois et l’entente était claire. Après le café, il m’a envoyé un SMS lourdingue. Je n’ai pas donné suite. En ce moment, je discute avec une femme. On est d’accord sur beaucoup de choses. Par exemple, je voudrais porter l’enfant mais pas l’allaiter. Elle souhaiterait l’inverse (car c’est possible !). Alors on continue de discuter. Il faut prendre son temps. Aujourd’hui j’ai 32 ans et je ne suis pas sûre de trouver la ou (les) perle(s) rare(s) sur ces sites, mais en parlant avec des personnes qui partagent mon projet, je l’affine, j’avance et surtout je me sens moins seule. J’ai aussi lancé un compte Instagram (@sisi_les_familles) pour ouvrir un espace de discussion plus safe. Tout reste à construire. Dans la loi, dans la société, dans les esprits, ne serait-ce que les nôtres. Le chantier est vaste mais l’espoir qu’il soulève, plus vaste encore. Si tous les enfants pouvaient naître de projets pensés, désirés, mûris, je crois que le monde se porterait mieux.

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