Santé

C’est mon histoire : « J’ai eu mon permis de conduire à 43 ans »

Éternelle copilote, indécrottable ado                       

« Bah non, les filles, ça ne conduit pas », a lancé Margot, 5 ans, à un petit bonhomme à peine plus grand qu’elle, alors qu’il l’invitait à prendre le volant de la voiture de Oui-Oui. Pleine d’aplomb et, déjà, de certitudes, ma gamine s’installa côté passager, le laissant aux manettes, lui et ses yeux tout ronds, étonné d’une telle décision. Sans doute devait-il se battre, d’habitude, pour occuper cette place prisée du manège. Je regardais la scène, stupéfaite, me sentant soudainement coupable. Était-ce vraiment ce que je voulais transmettre à ma fille ? Cette incapacité à prendre le volant ? Moi qui prônais l’égalité des sexes à tout bout de champ, jusqu’à inscrire Margot à des cours de foot, avais sous les yeux la démonstration de mes propres contradictions. Ma fille m’imitait. J’avais 43 ans et toujours pas le permis de conduire. J’étais ce copilote éternel, tantôt dj, tantôt GPS ambulant ou G.O. pour les enfants de la banquette arrière. J’étais celle qui ne conduit pas. Je me laissais driver au quotidien et depuis toujours, insouciante et peut-être pas totalement adulte encore dans ma tête. Cela ne m’avait jamais posé le moindre souci… Jusqu’à cet épisode de la voiture de Oui-Oui qui me plongea dans une introspection inattendue.               

À 20 ans, je m’étais inscrite dans une auto-école, mais je trouvais toujours quelque chose de mieux à faire. Conduire ne m’intéressait pas. À 26 ans, pleine de bonne volonté, j’avais retenté l’expérience à Paris, où je venais d’emménager. Mais j’y accordais autant d’entrain que la première fois. J’avais quand même eu mon code. Mais j’avais dû faire à peine trois heures de conduite. Je ne pouvais rester assise plus longtemps à côté d’un prof aigri qui passait son temps à reluquer les filles dans la rue ou à se plaindre de mal de dos. Vivant à Paris, je n’avais pas un besoin fondamental de conduire. La validité de mon code a donc expiré. Quatre ans plus tard, poussée (harcelée) par mon père, je m’inscrivais à nouveau. Mais, cette fois, c’était le permis qui ne voulut pas de moi : le patron de l’auto-école était parti avec la caisse et… mon fric.

La loseuse du permis                                             

Le sujet était devenu une blague récurrente avec mes amis. J’étais la loseuse du permis, le boulet qui ne pouvait jamais être « capitaine de soirée ». « Et ce n’était pas plus mal », pensaient-ils, me voyant comme un danger public en puissance. Au fond, personne ne m’imaginait capable de conduire. J’étais parvenue à en convaincre tout le monde, et moi la première. À force, j’en avais fait un élément de ma personnalité, même une posture, celle de la fille cool, un peu rebelle et dans son monde, trop occupée dans sa tête pour prendre le volant. « J’ai mes chauffeurs », je répondais, ironique, lorsqu’on me demandait pour la énième fois : « Alors, ce permis ? » Des chauffeurs, j’en avais surtout un, Vincent, mon compagnon, le père de Margot. Ça tombait bien, il adorait conduire. Je crois même que ça l’arrangeait que je ne sache pas le faire. Il détestait être à la place du mort et ne pas avoir le contrôle de sa voiture. Même à bord d’un taxi, je l’entendais maugréer dans sa barbe parce qu’il estimait que le type conduisait comme un pied. Alors forcément, il n’a pas été très moteur pour que je passe ce foutu permis.             

Mon père, lui, me le répétait sans arrêt depuis mes 20 ans : « Il faut que tu saches conduire, ma fille, il faut que tu sois autonome. » J’acquiesçais pour lui faire plaisir : « Oui, oui, bientôt… » Je ne comprenais pas pourquoi il insistait autant. Je ne me sentais pas moins autonome sans volant entre les mains. Je ne réalisais pas qu’il essayait de m’extraire d’un schéma familial que lui-même avait fait perdurer. Pour moi, ne pas conduire était normal. Je ne me posais pas plus de questions. Ma fille, avec sa voiture de Oui-Oui, venait de m’ouvrir les yeux. Je réalisai en effet que les femmes de ma famille ne conduisaient pas. Ma mère, mes grands-mères, mes tantes… Aucune n’avait le permis. Toutes étaient côté passager. C’étaient les hommes, les pilotes. Pas elles.

Passer à la vitesse supérieure                                                      

Le comble, c’était que depuis l’enfance, j’adorais les bagnoles. Mon grand-père et mon père étaient dingues de voitures de collection, qu’ils bricolaient sans arrêt. Petite, je courais entre les taches d’essence, les roues et les moteurs démontés dans la cour de mes grands-parents. Je jouais à la poupée mais j’avais aussi toute une collection de voitures Majorette que je bichonnais comme le plus grand des trésors. Ma mère me disait qu’à 6 ans j’étais capable de reconnaître une Peugeot 305 GTi ou une Peugeot 604. Encore aujourd’hui, il m’arrivait de m’émouvoir pour une belle carrosserie ou le bruit d’un moteur vrombissant.              

Peu à peu, je comprenais alors ce que mon père entendait par « autonome ». Sans doute ne voulait-il pas que je sois comme ma mère, dépendante d’un homme sur à peu près tout : les papiers, l’argent, la conduite… Mon père gérait tout ce qui était important à la maison. C’était notre pilier. Ma mère s’était joyeusement laissé enfermer dans ce rôle de princesse, et lui dans celui du chevalier protecteur. Vincent et moi étions loin d’être au même niveau que mes parents, mais j’avais tendance à me laisser porter par lui. Il me semblait plus responsable que moi, plus adulte. Le permis dépassait la simple question de savoir conduire ou non une voiture. Il symbolisait mon émancipation, le fait d’être aux commandes moi aussi. Alors, je me suis réinscrite dans une auto-école. « Regarde, Margot, maman sera bientôt au volant ! » Malgré ses encouragements et ceux de Vincent, comme les trois fois précédentes, l’enthousiasme était relatif. J’avais toujours trop de travail pour m’y rendre…

Au volant de sa propre vie                                                        

Et puis, un jour, mon père est mort. Sans prévenir. Infarctus. Tout le monde sous le choc. J’éprouvais tout à coup une terrible insécurité et, très vite, le besoin de conduire par moi-même, comme s’il fallait, désormais, que je sois au volant de ma propre vie. Un mois plus tard, j’avais 40 sur 40 à l’examen du code. Deux semaines après, je passais la conduite. Il pleuvait des cordes. Pendant la demi-heure de mon passage, la pluie s’est interrompue. Le signe que mon père, au ciel, me protégeait. Sur Internet, au moment de consulter les résultats, je n’y croyais pas. J’ai regardé par deux fois qu’il s’agissait bien de mon nom associé à ce « favorable » vert fluo. J’avais eu le maximum, 31. J’avais même obtenu le point de courtoisie. Devant mon écran, des larmes de joie coulaient, mon père aurait été fier de moi. Je n’ai pas pu conduire tout de suite, car il n’y avait plus d’essence dans les pompes : mon permis était tombé pile pendant la grève des raffineries ! Mais, depuis, je me rattrape. Je déguste ma nouvelle liberté et trimballe qui veut dans ma titine de sport ! Désormais, on se bat, avec Vincent, pour savoir qui conduira. Aurais-je passé mon permis si mon père n’était pas mort ? Cette question, je ne peux m’empêcher de me la poser. Mais, une chose est sûre, notre fille suivra la conduite accompagnée dès qu’elle aura 16 ans !

Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page