Santé

C’est mon histoire : « J’ai fait une vraie cure de silence »

Quel vacarme !                                        

Je suis passionnément urbaine, le brouhaha de la ville n’est pas du bruit pour moi, c’est le son de la vie. J’aime quand tout va vite, avoir un agenda rempli, rencontrer des tas de gens différents, voler du temps entre deux rendez-vous pour une pause-café avec une copine ou pour essayer une robe repérée dans une vitrine. Repartir avec ce goût de trop peu qui nourrit l’impatience de la prochaine fois. Refaire le monde avec des amis aussi, tard le soir, dans un club de jazz ou un bar lounge, la semaine où mon fils de 15 ans est chez son père, en garde alternée. Je m’épanouis dans ce mouvement et jamais je n’ai douté, jusqu’au jour où la musique mièvre diffusée dans l’ascenseur m’a crispée à l’excès. Et cette voix annonçant l’étage ! Quel besoin de pousser autant le volume dans un espace si restreint ? Chez moi, les pas des voisins du dessus m’ont semblé plus lourds qu’avant. Sans parler de tous ces objets qu’ils font tomber sur le parquet ! Et la collecte des poubelles du verre aux aurores, pourquoi pas à 3 heures du matin tant qu’à faire ? Quant à toutes ces réunions, où chacun enchérit juste pour s’écouter parler… Quel vacarme ! Mon esprit vagabonde de plus en plus, je rame pour me concentrer, car dans mon cerveau aussi c’est un bavardage incessant sur tout. Je me sens comme une toupie qui ne s’arrête jamais. Le bruit du monde percute le tapage intérieur de mes pensées et je deviens sourde à moi-même. J’ai besoin de silence pour calmer le jeu et débrancher. Totalement. Afin de me reconnecter à moi-même. Les quinze derniers mois, j’ai supervisé la fusion de la filiale allemande du groupe et je n’ai pris que trois week-ends prolongés. J’avais négocié un congé long pour voyager ensuite, j’ai donc le champ libre, d’autant que mon fils part tout l’été en stage de tennis aux États-Unis et que mon amoureux travaille. D’ordinaire, j’aurais mis le cap sur San Francisco, Berlin ou Manhattan, mais ma vision paradisiaque d’alors, c’est la Bavière et ses sapins touffus à perte de vue. Le souci, c’est l’hôtel. La tentation de socialiser sera trop forte. Le cousin de mon ex me propose le spot idéal : son buron dans les alpages auvergnats, quasiment zone blanche. Je fonce, galvanisée par le « chanmé ! » de mon fils.

Seule au milieu des alpages                                                    

Durant mes trois premiers jours de silence, je suis encore plus surexcitée qu’à Paris, ivre de mon audace et si fière d’en remontrer à tous ceux qui m’ont narguée d’un « Vingt-quatre heures et tu te feras exfiltrer, je prends le pari !» Sans WiFi, avec une 4G très aléatoire et le hameau à vingt-cinq minutes à pied, le choc est assez vertigineux. Le bouton off a été tourné d’un coup sur le monde. Autour de moi, c’est un précipice mental. Le buron a tout du cocon calfeutré avec ses deux minuscules lucarnes. Le silence est impressionnant. Il m’étourdit. Je suis à deux doigts de l’expérience régressive, du type rebirth, « retour dans le ventre maternel ». « Niveau délire, tu démarres en pole position ! Dans trois mois, c’est la camisole… » Je plaisante à voix haute. Car je réalise que je commente tout, en interpellant mon chien, un cocker : « Ah, le quinoa est tombé, on va le ranger ici, avec les lentilles… » « Les batteries solaires sont chargées, on les rentre… » Un bug cognitif d’adaptation à l’absence de bruit, sans doute. Le jour, je brasse le silence que je n’ai pas encore apprivoisé, en changeant sans arrêt d’activité. Je lis, je randonne, je dessine à l’encre de Chine, je scrute le ciel avec le télescope du cousin, je danse pieds nus dans l’herbe, grisée par le vent d’altitude, je fais de la gym, du yoga… Le sol pentu et bardé de bosses me vaut d’ailleurs quelques roulés-boulés. Point d’orgue de mes distractions : le cageot de légumes, que l’éleveur du hameau me dépose en contrebas, en montant voir ses vaches en tracteur. Je guette ma friandise favorite, des cornichons poussés trop vite recyclés en concombre, à la saveur de melon vert. J’ai constamment un bout de légume à la bouche et un appétit d’ogre. Mon sevrage en conversations, en communication et en musique est rude. Le manque m’étreint. J’ai le réflexe de saisir mon smartphone pour partager ce qui me passe par la tête. Je dois apprendre à m’extraire de l’immédiateté et à ne pas tout lâcher dans l’instant. Reste que ce réflexe banal réveille le souvenir de celui que j’ai eu à la mort de mon père : plusieurs fois je l’ai appelé… avant de réaliser. Dans le silence, mes émotions circulent librement, elles me traversent sans ménagement, ma vie bruyante ne fait plus écran. Je me couche à 22 heures. Une première ! Et je lis encore. Les livres se substituent peu à peu à la présence physique de l’iPad et du smartphone, j’en traîne un partout avec moi et, parfois, au beau milieu d’une activité je parcours cinq ou six pages, comme surviendrait une conversation impromptue ou une rencontre inattendue. Loin de la cacophonie, je me sens au plus près de l’auteur, les mots écrits me parlent intimement, il n’y a pas d’interférences.

Je rêve de fêtes, de musique…                                                   

Au bout de dix-huit jours, ma frénésie d’activité retombe et je marmonne moins toute seule. Ma respiration est plus ample qu’auparavant et j’aspire l’air par le nez, et non plus de façon hachée par la bouche, signe, paraît-il, que l’on est en surrégime, à flux tendu. Mon attention s’aiguise et je repère les petits riens alentour. Lorsque l’éleveur me salue de la main, au loin, en montant aux pâturages, j’y réponds avec empressement des deux bras, comme si je fêtais la victoire d’un sportif. Je découvre que ces simples gestes sont aussi des dialogues. Muets, sans superflu, où l’essentiel est dit. Je sens mon regard changer. Quand j’ai arrêté de fumer, le tabacologue m’avait expliqué qu’il fallait trois semaines au cerveau pour intégrer de nouveaux comportements. Et, en effet, moi qui ne me reconnaissais que dans l’action, j’apprécie peu à peu d’être contemplative. Je regarde la nature sans rien faire d’autre, je suis simplement là, en quête de rien, sans but ni objectif. Rien ne parasite mon mental dans le calme. Mais les cogitations de l’esprit demeurent, et arrive le moment où le silence me confronte à moi-même. Impossible de me dérober. Je ne suis ni familière ni amatrice de l’introspection, souvent périlleuse. D’ailleurs, ça ne loupe pas. Ça me déplaît de comprendre que je tire trop sur la corde, alors que je me sens accomplie et heureuse dans ma vie. Ma belle énergie n’est pas si positive que ça, je carbure en partie à l’adrénaline du stress parce que je ne m’accorde aucun compromis, je ne transige sur rien, tout doit être tiré au cordeau comme je le décide, un vrai petit tyran. Je fulmine : « Contente de toi ? Bravo, le divan auvergnat ! Tu es bien avancée ! » Ça m’agace, parce que c’est vrai. Il faut que je lâche du lest. Le deal est ardu quand on négocie avec soi, mais je me promets d’essayer. Les nuits qui suivent, mes rêves sont peuplés de fêtes sur la plage de Formentera ou de concerts rock… où je joue de la batterie ! On dit qu’il n’y a pas de hasard : un soir, peu après, je vois débarquer deux randonneurs hagards qui ne retrouvent plus les balises du chemin de leur GR. Entre humains perdus au milieu de nulle part, c’est fou ce qu’on est heureux de s’attabler comme de vieux amis. C’est mon cadeau de fin de silence. C’en est fini de regarder pousser les touffes d’herbe ! J’ai adoré faire cette retraite, mais de là à prolonger au-delà, certainement pas. En revanche, repartir trois jours, comme un shoot de rappel, pourquoi pas ? Et ce sera suffisant, car je sais désormais faire entrer le silence dans mon monde intérieur. Au lieu de me retrancher dans l’agitation pour évacuer la pression, je fais silence dans ma chambre, pour mieux replonger dans l’effervescence que j’aime. C’est plus qu’une soupape, c’est une liberté immense.

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