Santé

C’est mon histoire : « Je suis tombée amoureuse d’un asexuel »

« Ça y est, c’est notre moment ! »                               

« Et si on allait plutôt manger des huîtres au bord de la mer, là, maintenant, mon cœur ? » lance Maxime, alors que l’on s’installe en terrasse à Paris. Depuis un mois que l’on s’est rencontrés, on se voit à tout propos, on s’appelle pour un rien. Il y a comme une évidence entre nous : on s’est trouvés. Je n’ai jamais ressenti ça avant. Avec lui, je suis vivante comme jamais. Nous avons 34 ans tous les deux, nous regardons dans la même direction et nos vies fusionnent peu à peu. À un détail d’importance près : on n’a toujours pas fait l’amour. Pas plus qu’il n’y a eu de frôlements délicieux, de baisers ou de corps qui se cherchent. Encéphalogramme plat niveau intimité. Impossible de faire plus que de rares passages éclair chez lui ou chez moi, malgré mes invitations répétées. Toutes esquivées au prétexte de la douceur estivale. On ne dort pas ensemble et, s’il me donne le bras dans la rue, c’est un bras utile, un bras qui s’accorde à mes hauts talons, pas un bras d’amant. Et il ne saisit aucune de mes perches pour dépasser ce stade platonique. Alors, les fruits de mer en Normandie, j’y crois : « Ça y est, c’est notre moment ! »               

La soirée est un rêve. Tout se prête à l’osmose des sens, jusqu’à la brise de mer glaciale, qui pousse au rapprochement. Sur la plage, je me serre contre lui. Son corps me communique sa chaleur. Je frissonne, moins sous l’effet du froid que sous celui de mon désir réfréné depuis un mois. J’ai envie de lui et de la maladresse des premières nuits. Je tombe quasiment dans ses bras. Pour seule réaction, Maxime couvre mes épaules de sa veste avant de frictionner mon dos. Sérieux, c’est tout ? Il n’y a aucune perspective de plan B à l’hôtel, haute saison oblige, tout est complet, aussi, je me suspends à son cou et je me lance : « Enlace-moi. » « Viens, on va dans la voiture, on aura plus chaud », réagit-il. Yes ! Enfin ! Mais il poursuit : « Prends la banquette arrière, je me mets à l’avant. On dort quelques heures avant de repartir. » Je déchante d’un coup, la sensation est âpre. Quelque chose cloche vraiment. J’ai néanmoins un sursaut : « Je vais avoir froid loin de toi, viens à l’arrière. » « Dormir assis va me casser la nuque, c’est mauvais pour mes cordes vocales et je répète demain », tranche-t-il sans hésiter. O.K., il est chanteur lyrique, mais j’ai l’impression qu’il botte en touche derrière le plausible. Le petit déjeuner face au rivage a perdu la magie de la veille, un filtre gris s’interpose. Je suis trop déçue pour être de bonne humeur. Et mon cerveau, trop occupé à débriefer pour jouer la comédie. Il n’est pas gay, je suis sûre de lui plaire, ça n’a rien à voir avec l’amitié, comme avec Ted. C’est quoi alors, si on n’est pas des amoureux ? Me suis-je égarée à fantasmer ? Quelque chose en moi le rebute-t-il ? Ou bien il ne peut pas faire l’amour. C’est open bar dans ma tête : micropénis ? IST ? Phobie ? Impuissance ? Convictions religieuses conservatrices, genre « mariage avant de coucher » ? Sexualité « freak control » ? « La prochaine fois, on s’organisera mieux, on réservera », lâche-t-il en démarrant. Mais, durant tout le trajet, je fais semblant de dormir.

« Je ne suis pas qu’un pur esprit »                               

Le week-end en question arrive dix jours plus tard, et je suis bien décidée à faire l’amour avec lui ! J’ai les nerfs en pelote à force de me perdre en conjectures. Mais, à la réception de l’hôtel, lorsque je vois les deux cartes magnétiques ouvrant nos deux chambres, j’atterris sans frein. Déstabilisée à en perdre l’usage de la parole. Assise sur le lit, je n’en reviens pas. J’avais envisagé l’hypothèse du pyjama boutonné jusqu’en haut ou le combo bise sur le front-bonne nuit, mais ça ! Un quart d’heure plus tard, je frappe à sa porte : « Pourquoi deux chambres ? » « Je t’ai dit, je pensais que tu avais compris », répond-il. « Compris quoi ? » « J’ai des sentiments forts pour toi, tout me plaît en toi, mais ce n’est pas suivi du désir de faire l’amour. Je suis asexuel, je n’éprouve pas de désir sexuel ni d’attirance physique pour une autre personne. Ma libido reste à zéro. Rien ne me gêne ou me dégoûte, c’est juste que l’envie ne vient pas. Sexe et affect sont dissociés. Et ça ne m’empêche pas de t’aimer », déroule placidement Maxime. Abasourdie, je surréagis : « Et nous, on devient quoi ? Je ne suis pas qu’un pur esprit. Si on est ensemble, soit je suis frustrée sexuellement, soit tu te forces à faire l’amour. Quel genre d’amour contraint à ça ? Tu n’as peut-être pas rencontré la bonne personne, celle qui te donne envie… Être amants, c’est génial quand même. » « J’ai pensé qu’avec toi ce serait différent, reprend Maxime, mais non, la petite flamme du désir ne s’est pas allumée, je suis comme ça, je l’ai toujours été, c’est un état, comme on peut être gay ou hétéro, on ne choisit pas. Un temps, j’ai fait semblant, mais je ne veux plus tricher. Être vrai est une preuve d’amour pour moi. » Écrasée par mon chaos émotionnel, je me raccroche à la rationalité mécanique : « Parce que tu arrives à bander quand tu fais semblant d’avoir envie ? » « Quelquefois, oui. Ou je donnais du plaisir autrement. Aujourd’hui, le sexe ne me manque pas. Je ne suis privé de rien », conclut-il. Mes yeux se brouillent, on est à des années-lumière l’un de l’autre, alors que je nous pensais si proches. Il me prend dans ses bras, il est tendre. Tout n’est peut-être pas perdu, notre amour peut le changer. « Je ne veux pas qu’on se quitte », souffle-t-il alors. « Moi non plus. »

 « Une affection profonde nous lie »                               

On se dit qu’on est au-dessus des schémas classiques du couple, que nos sentiments sont suffisamment forts pour prendre de la hauteur, qu’on inventera autre chose pour ne pas gâcher notre amour. On était bien ensemble et on veut essayer de l’être encore. Et ça marche, en partie, pendant deux ans et demi. On devient très fusionnel, une affection profonde nous lie. Maxime est très protecteur et solide, il m’équilibre au quotidien. On essaie de faire l’amour, toujours à ma demande, évidemment. Lorsque je cherche ses lèvres, il m’embrasse, mais je sens qu’il se laisse faire, qu’il se soumet. Le ver est dans le fruit. Le doute pernicieux sera toujours entre nous : « Je ne lui fais vraiment aucun effet ? » Je me rassure avec ses érections, c’est bien la preuve qu’il a, a minima au moins, un peu de désir pour moi, non ? Mais s’il me caresse ou s’il me fait un cunnilingus, j’ai l’impression – atroce – qu’il s’applique à une corvée pour me satisfaire. Lâcher prise est impossible. Lorsque je lui fais une fellation, j’ai le sentiment de ne pas le respecter. Pire, d’être comme un commercial qui s’évertue à faire l’article pour convaincre du bien-fondé de son produit. C’est humiliant. Ma libido devient aussi encombrante pour moi que pour lui et, au bout d’un an, je préfère renoncer à nos ersatz d’ébats. Mais l’insidieux travail de sape de la confiance en ma féminité est en marche. Je me sens dépréciée, sans épaisseur, sans valeur. L’insatisfaction abreuve mon amertume. Je ne me donne même plus de plaisir seule. Avant de m’étioler, j’ai besoin de tester ma capacité à susciter le désir d’un homme. Sortir en soirée entre copines me fait l’effet d’une fin de régime trop restrictif. C’est fromage et farandole des desserts. Mon corps se ranime. Je redécouvre l’appétit mâle et le tumulte des sexes. Orgasme ou pas, c’est si bon. L’oxygène irrigue à nouveau mes sens. Jusqu’au jour où un plan cul se métamorphose en coup de cœur. Je me souviens de ma joie indescriptible, viscérale, en lisant son SMS : « J’ai envie de toi tout le temps. » Je l’ai lu cent fois. Nul doute que Maxime et moi pouvions nous aimer sans faire l’amour, mais, pour moi, c’était comme être vivante à moitié. Ce n’est pas tant le sexe pour le sexe ni le plaisir qui me manquaient, que l’intimité sans égale qui unit les amants.

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