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C’est mon histoire : « Ma mère est jalouse de moi »

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Une femme belle et intelligente           

N’ai-je rien vu pendant tant d’années ? Ou n’ai-je pas voulu voir cette facette médiocre et indigne chez ma mère ? Comment une femme si intelligente, si belle et si raffinée, que j’admirais tant, a-telle pu trahir mon amour pour elle ? À peine suis-je entrée dans la période de l’adolescence qu’elle a cessé de me voir comme sa fille. Je suis devenue une rivale. Celle qui détourne la lumière, celle dont la féminité naissante contient trop de promesses. Celle qui ternit un pouvoir d’attraction et de séduction qu’elle pensait infaillible. À en crever de jalousie. Tout, sauf concéder un espace à une autre sur ce terrain-là. Tout, sauf capituler devant le crépuscule de sa jeunesse. Il n’y avait pas de place pour deux. C’était elle ou moi. Elle voulait sauver sa peau au détriment de la mienne. En réalité, les dés sont pipés depuis le départ. Ma mère met sa carrière de biologiste entre parenthèses à la naissance de mon frère aîné, le temps qu’il se fasse opérer d’une malformation cardiaque. Mais elle ne reprend jamais son travail. Mes parents décident alors d’avoir un deuxième enfant : moi. Je suis la récompense de ma mère. Une compensation. À défaut de s’épanouir dans sa carrière, elle se met à jouer à la poupée. Je deviens son enfant-trophée, le prolongement d’elle-même, qu’elle exhibe partout et tout le temps, en me répétant qu’elle m’aime et que je suis jolie. À cette époque, j’ai le droit de l’être. Comme j’adore ma mère et que je n’ai d’yeux que pour elle, comme à peu près la terre entière, tout va bien dans le meilleur des mondes.

L’adolescence, un revirement brutal                                             

Mais, l’année de mes 13 ans, son tempérament connaît un revirement brutal, elle devient cassante et ses principes éducatifs intransigeants. Elle s’oppose à mes sorties, sans elle, le samedi après-midi ou en soirée jusqu’à 23 heures. Mes amis sont tous « de mauvaises fréquentations » à ses yeux, surtout les garçons. Heureusement, mon père joue les arbitres en ma faveur. De leurs engueulades magistrales, j’intercepte quelques invectives maternelles : « Elle te mène par le bout du nez » ; « Tu as toujours été gaga d’elle. » Côté fringues, je suis soudain déguisée en collégienne britannique : jupes plissées, chemisiers blancs et pulls marron. J’ai honte. Je suis la seule de la classe à ne pas être lookée… Ma mère se justifie en me culpabilisant : « Ce sont des Burberry, il te faut quoi de plus ! » Sans manquer d’y adjoindre un uppercut dévalorisant, maquillé en preuve d’affection : « Sur toi, il faut du classique, sinon soit ça baille, soit ça te boudine, tu as trop de seins, trop de hanches. Tu es mieux ainsi, c’est pour ton bien que je fais ça. » J’ai, en effet, hérité de la morphologie des femmes de la lignée paternelle, plutôt pulpeuses, quand ma mère est androgyne. Durant les vacances, mon oncle paternel m’offre, comme à ses filles, un jean, un Perfecto et une paire de Dr. Martens… il sera banni à jamais par ma mère.         

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À l’époque, je suis trop jeune pour soupçonner qu’elle m’enlaidit sciemment et qu’elle se livre à un méticuleux travail de sape de mon estime de moi, mue par une jalousie, elle-même attisée par la rancœur. Car le miroir d’elle-même qu’elle avait fait de moi quand j’étais fillette est devenu défaillant, il trahit ses attentes. Au reflet valorisant que je lui ai si longtemps renvoyé, ma silhouette qui se féminise substitue une image doublement discordante : la femme qu’elle n’est plus et celle qu’elle n’a jamais été. Ma jeunesse la confronte à sa maturité et mes formes, à l’opposé de ses propres atouts, nourrissent une rivalité imaginaire. Mon corps est une déclaration de guerre. Mon poids, sa cible de prédilection. Ainsi, vers mes 16 ans, je suis de toutes ses virées shopping. Sans doute, me dis-je avec le recul, pour le plaisir de lancer de sonores « 36 pour moi ; 42-44 pour ma fille » et pour me choisir des vêtements que, jamais, je ne pourrais enfiler face à des vendeuses extatiques devant sa silhouette impeccable. Un jour, l’une d’elles s’étrangle même d’un : « Ah ! C’est votre fille… », en décochant un coup d’œil réprobateur à la mienne. Lorsque j’invite à la maison des copains, filles ou garçons, j’observe ma mère minauder en pantalon slim ou en jupe courte devant eux. Ses jambes sont si fines… Je peine néanmoins à voir clair dans son jeu, car elle s’adoucit et surjoue la complicité, en se livrant à des confidences que, pas un instant, je ne devine calculées. J’ai l’impression de retrouver ma mère comme dans mon enfance, aussi je lui raconte presque tout, notamment, à 19 ans, alors que je suis en prépa architecture, que je craque pour un « troisième année ». « Organise une fête et invite-le ! », suggère-t-elle. Au prétexte de m’aider à recevoir, elle parade dans l’appartement jusqu’à ce que je la voie danser avec « mon » mec, se coller à lui, s’accrocher à son épaule, remonter ses cheveux en riant. En un mot : le draguer. Je suffoque, mais la colère aiguise ma conscience et j’ai comme un déclic. Ma mère nie en bloc et me traite de « vicieuse, qui voit le mal partout », au point de me faire douter de mon interprétation. Il est vrai que ses attaques sur mon poids sont moins frontales depuis quelque temps. Il me faudra aller chez le psy pour comprendre que ma mère a simplement changé de méthode, et de cibles, mais qu’elle me rabaisse toujours autant. Ainsi, mon mémoire d’études me vaut un : « Ton sujet, c’est une niche, tu es sûre que ça va intéresser ? » Mes maquettes d’immeuble ? « Tu penses vraiment y loger des gens ? » Mes vacances ? « Tu as toujours aimé te noyer dans la masse… » De mon amoureux, elle lancera : « Ne me dis pas que tu l’aimes. Tu mérites mieux. C’est pour ton avenir et pour ton bien que je dis ça. »

S’émanciper et tracer sa route                                                         

Avec le temps, je réalise qu’elle me témoigne de l’empathie uniquement quand tout foire dans ma vie, mais qu’elle ne m’encourage pas à aller de l’avant. C’est même l’inverse, elle me conforte dans l’évitement et elle entretient la peur de me lancer dans un projet. Jamais je n’ai entendu : « Tu as tout pour réussir, vas-y fonce ! », mais « Si tu ne le sens pas, c’est que ce n’est pas le bon timing ». Comme lorsque j’ai obtenu mon premier poste dans une agence d’architectes de renom, où je suis frappée par le syndrome de l’imposteur : « Si tu penses que tu vas y laisser trop de plumes et que ce n’est pas pour toi, laisse tomber, suis ton instinct. » Je prends conscience que sa jalousie s’étend à ma vie professionnelle. Elle m’en veut de me réaliser et de réussir là où elle a renoncé. Car mon frère étant guéri à l’âge de 10 mois, elle aurait pu reprendre le cours de sa vie. Son dernier fait d’armes ? Un discours prononcé à la remise d’un prix, que j’ai remporté lors d’un concours de jeunes architectes. Sous couvert d’humour, elle a égrené mes échecs sportifs, artistiques et scolaires enfantins devant l’agence au grand complet. Aujourd’hui, j’arrive à en sourire. J’ai fait le deuil de la mère aimante qui ouvre ses bras et son cœur avec bienveillance et chaleur, la mère sur qui on peut compter. J’ai compris qu’elle m’aime malgré tout, même si elle m’aime mal, et que je ne suis pas responsable. Sa jalousie se joue avec elle-même. Une insécurité psychique qui vient sans doute de sa relation à sa propre mère, que je n’ai pas connue. Désormais, pour limiter l’impact de ses piques, j’occulte la mère et je pense à la femme, sans doute malheureuse, qu’elle est. Je ne l’excuse pas, mais je ne m’abîme plus dans la colère, ni dans la tristesse ou le regret. Je vis ma vie en restant toujours sur mes gardes. Je suis enceinte de deux petits mecs, j’en ai hurlé de joie. J’avoue que j’aurais eu peur de mal faire avec une fille. Avec mes fils, je vais inventer mon propre modèle. J’ai une mère, mais je n’ai pas eu de maman. Je veux être une vraie maman pour eux.

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