C’est mon histoire: « Mon plus beau coup… immobilier »

« Ressaisis-toi ! »                

Je suis en retard, l’agent immobilier a laissé la porte entrouverte. Je l’aperçois de dos dans le salon. Avant même qu’il ne se retourne, je vois qu’il ne ressemble pas à sa voix au téléphone, banale, sans relief. Il n’a rien d’une bombe, ce n’est pas Ryan Gosling, mais quelque chose en lui aimante le regard. Sa carrure de quarter-back américain contraste avec ses cheveux blond vénitien qui descendent jusqu’aux épaules. Il a ce mélange d’animalité brute et d’élégance sensuelle qui me trouble, d’autant que quand il me parle, il plante son regard bleu cristal dans le mien, comme s’il jetait l’ancre en terrain qu’il devine déjà conquis. La visite de l’appartement fait diversion. Ouf ! Je reprends mon souffle. Enfin, c’est ce que je crois, ses mouvements sont comme une promesse d’étreinte. Le genre d’homme qu’il suffit de voir danser pour imaginer la manière dont il fait l’amour. Je le visualise si bien que, soudain, la moiteur mord ma nuque devant l’audace inattendue des flashs, plus porn style que romance, qui défilent dans ma tête. Pour me donner une contenance, je m’accroche aux dossiers factices que je trimballe, histoire d’étayer mon image de locataire fiable financièrement, car, jusque-là, tous les appartements me sont passés sous le nez, au bénéfice de couples avec double salaire. Or, mon nouvel appartement, c’est l’ultime page qu’il me reste à tourner après les huit ans d’amour avec Guilhem, mon ex. C’est la rampe de lancement de ma nouvelle vie. Ma trajectoire mentale a dévié et je me retrouve à me demander si l’agent immobilier est imberbe ou poilu et à fantasmer sur son torse au lieu de chercher à décrocher ce foutu bail. « Ressaisis-toi ! » me suis-je tancée. Pour être honnête, je ne me vois pas dans ce 65 mètres carrés, sombre à se flinguer, mais, pour prolonger la visite, j’enquille méthodiquement les questions. Je sens qu’il n’est pas dupe et qu’il joue la même partition que moi, car l’atmosphère se charge comme le ciel avant l’orage, sans doute l’attraction des phéromones. Je finis par lancer : « Vous n’en auriez pas un autre à visiter ? » « Si, un trois-pièces qui n’est pas encore sur le marché. » Rendez-vous est pris pour le lendemain, tandis que la tension entre nous révèle mieux qu’un lapsus le désir que nous réprimons pour quelques heures encore.

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Le ballet de nos corps commence                               

De retour chez moi, le brouillard avec lequel je cohabitais depuis ma rupture s’est dissipé. Pourtant, rien n’a bougé, les cartons du déménagement s’entassent au même endroit et la trace des cadres emportés par Guilhem me saute toujours aux yeux. La perspective de signer le bail tant attendu n’y est pour rien. Je viens de me réveiller d’une longue nuit. Le désir pour un autre homme que Guilhem coule dans mes veines. Mon ventre a envie avant ma tête. Mes sens en ont marre d’être mis en sourdine, ils réclament de l’excitation et expédient des signaux sans équivoque. L’impatience de goûter le corps de l’autre m’extrait du vortex sans homme, sans séduction, sans sexe, dans lequel je flottais. J’ai des papillons au creux du ventre, je reconnais leur morsure. Mon agitation m’étourdit autant qu’elle m’effraie. D’ailleurs, je bois deux verres de porto blanc avant de me rendre à la visite. Le shoot combiné de sucre et d’alcool fait le job et me porte avec allégresse jusqu’à la porte de l’immeuble, où il m’attend. L’appartement est beaucoup trop vaste pour mon budget. J’en examine néanmoins chaque recoin, même les placards sous les lavabos. Je me penche, je déambule, je virevolte. Il m’observe. Je sens son regard sur mes jambes et mes fesses. On ne se parle pas. Fin de parcours dans la cuisine, le ballet de nos corps commence. Il approche, je sens sa chaleur, je respire son odeur. Il est tout contre moi, si proche, son corps me plaque contre le mur, ses muscles tendus m’invitent dans son désir. Le poids de son corps contre le mien me fait chanceler, je suffoque. Je voudrais arracher sa chemise et m’agripper à lui pour qu’il me prenne, là, tout de suite, mais je sais que je n’en ferai rien. Cela fait dix mois que je n’ai pas fait l’amour, je suis soudain intimidée par ma liberté retrouvée. Si bien que, l’espace d’une seconde, une part de moi feint de s’offusquer. Un mauvais coup du surmoi, évidemment ! Il a sauté sur l’aubaine pour tenter de faire effraction à mon désir et rendre ma jouissance coupable. Raté ! La graine d’interdit tourne court et je glisse dans l’ivresse qui s’annonce. Il ne me déshabille pas, ses doigts agiles s’invitent directement sous ma lingerie. Ils ont la douceur de la soie quand ils effleurent mes seins qui s’affolent, puis sa main étire sa caresse jusqu’à mon ventre. Je vacille quand il explore mon intimité. Il n’hésite pas, ses gestes ont l’assurance de l’homme qui devine ce que mon corps réclame.                                           

Une fièvre inconnue m’enveloppe                               

Mes reins s’embrasent, je frissonne, je ne sais plus rien, excepté que je ne veux pas qu’il arrête. Sans doute l’a-t-il compris, car il s’agenouille devant moi, ses lèvres cheminent sur ma peau pour remonter jusqu’au creux de mes cuisses. Un gémissement m’échappe tandis qu’il pose ma jambe sur son épaule et que sa langue goûte mon sexe. Son souffle court m’électrise, je m’abandonne à ce que le plaisir me commande et, en quelques minutes, la vague saccadée de l’orgasme me possède tout entière et je jouis violemment dans cette cuisine avec ce quasi-inconnu. Je ne l’ai pas encore caressé, ni même touché. Jamais, auparavant, je n’ai fait l’amour sans être d’abord amoureuse. Je ne m’en sentais pas capable. Cette femme en lévitation qui vibre de sexe, est-ce bien moi ? J’aime ce que je découvre. Je veux continuer à incarner cette identité-là avec lui et être à mon tour arbitre de son plaisir. Je déboutonne sa chemise, mes doigts glissent sur son torse. L’odeur de sa peau m’enivre. Je défais sa ceinture. L’impatience le gagne, il expédie sur le sol son pantalon et son caleçon, tandis que je me cambre debout face au mur. Lorsque, en tournant la tête, je vois sa main saisir son sexe et le caresser avant d’enfiler un préservatif, une fièvre inconnue m’enveloppe. Je me sens forte, invulnérable, tellement femme. Tellement moi. D’un bras, il enserre ma taille et me pénètre profondément. Ses coups de reins, tour à tour amples et lents, vifs et rapides, unissent nos râles au diapason. On s’écroule sur le parquet, nos corps se mêlent et se démêlent sans jamais se perdre. La sueur perle sur son torse et entre mes seins. Il en intercepte une goutte avec sa langue. Mon plaisir s’abreuve de celui que je lui vois prendre jusqu’à ce que je largue les amarres pour cheminer vers l’orgasme qui m’emporte. « Il baise comme un dieu… », voilà ce qui tourne dans ma tête dans le taxi qui me reconduit chez moi.

Un fantasme vécu en vrai                             

On se reverra une ultime fois au prétexte fallacieux d’une visite d’appartement. Car, lorsque je le vois, ce soir-là, débarquer avec une bouteille de champagne et deux coupes, je sais que nos ébats amorcent leur chant du cygne. Je n’ai pas envie d’une histoire. C’est un coup, un plan baise, un interlude, un fantasme vécu en vrai, je m’y suis abandonnée avec panache et exaltation, mais si on se met à jouer à la dînette, les confidences sur nos vies ne sont pas loin, et je ne veux rien savoir. Ni sur lui ni sur sa vie. D’ailleurs, je ne parviens toujours pas à l’appeler par son prénom, Axel. Tant pis pour l’appart qu’il aurait pu me trouver, mais comment imaginer un lien locataire-mandataire ? Intenable. Le mélange des genres a ses limites. C’est précisément parce que ce plan cul était éphémère que j’ai pu libérer les pulsions qui m’animaient et assumer librement mes désirs. Oser explorer cette part inconnue de moi m’a permis d’aller sans tabou à la rencontre de moi-même bien au-delà de ma seule sexualité.

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