Santé

Comment les trouble du comportement alimentaire s’inscrivent dans le couple ? Témoignages.

À 27 ans, Mathilde revient de loin. Cette jeune femme, anciennement salariée dans le marketing et désormais à son compte, a gravi des sommets pour sortir de l’enfer de l’anorexie mentale, une maladie qu’elle endure pendant six longues années et dont elle est aujourd’hui sortie.

C’est en 2015 que tout commence. Mathilde est alors une jeune étudiante en école de commerce de 19 ans en proie à une maladie coriace qui est l’anorexie mentale.

Une vie sous contrôle

Essentiellement féminine, l’anorexie mentale arrive le plus souvent vers l’adolescence. Selon les chiffres de l’Assurance maladie, cette dernière touche entre 0,9 % et 1,5 % des femmes contre 0,2 à 0,03 chez les hommes. On trouve cette maladie principalement chez les jeunes femmes âgées de 13 à 14 ans et 16 à 17 ans. De son côté, la boulimie touche 1,5 % des 11 à 20 ans de sexe féminin selon la Haute Autorité de Santé. L’hyperphagie boulimique touche les deux sexes et apparaît généralement à l’âge adulte.

Une personne qui souffre d’anorexie mentale mène alors un contrôle excessif sur son alimentation et sur toute prise de poids. Cela passe souvent par une restriction alimentaire sévère (et/ou des comportements de compensations) et dangereuse accompagnée des phobies en lien avec une prise de poids voire de l’obésité. Elle peut également mener un contrôle dans d’autres parties de sa vie comme au travail et dans sa vie privée.

La maladie face aux balbutiements de l’amour

Mathilde est célibataire lorsqu’elle tombe malade. Pendant les premières années de la maladie, elle tombe dans l’anorexie restrictive « les trois premières années, j’étais dans le contrôle de tout, que ce soit de mon corps, de mon alimentation, de mes études aussi. J’étais très perfectionniste et très anxieuse, plus que maintenant. Mon quotidien était toujours d’être dans le contrôle », se souvient la jeune femme. Dès le début de la maladie, Mathilde lutte avec beaucoup de force pour s’en sortir. Entre les rendez-vous avec des thérapeutes et des psychologues, le travail sur elle-même et les lectures de développement personnel, le quotidien de la jeune femme n’est pas de tout repos mais Mathilde ne veut rien lâcher.

Au milieu de cette bataille, elle rencontre Arthur qui très vite va s’impliquer et soutenir sa moitié. Il devient alors un soutien de taille pour la femme qu’il aime « quand j’ai rencontré Mathilde, elle était sur le chemin de la guérison. On était assez loin d’arriver au bout du chemin. Elle sortait de sa deuxième hospitalisation », explique le jeune homme qui dit mieux saisir les complexités de la maladie. « C’est une maladie qui de l’extérieur est très difficile à comprendre. Aujourd’hui, je connais beaucoup mieux la maladie, Mathilde m’en a beaucoup parlé mais il y a des choses qui sont vraiment compliquées à comprendre », confie Arthur.

Avec la présence d’Arthur, la vie de Mathilde change mais la maladie est toujours présente avec quelques nuances « les trois années d’après, c’est là que notre histoire a commencé. Là c’était différent parce que j’avais une vie classique qui passait dans la norme. J’avais un boulot, j’avais un copain, donc déjà les gens ne savaient pas que j’étais malade. Donc c’était vraiment compliqué. Mon quotidien de lutte contre la maladie restait relativement le même, sauf que ça ne se voyait pas. C’était beaucoup de contrôle dans ma tête. J’étais moins fatiguée parce que physiquement j’avais regagné tout mon poids », explique Mathilde dont la maladie exerce principalement des problèmes sur le plan mental.

Malheureusement, les personnes malades sont seules face à cette maladie, d’où l’importance de communiquer

À cet instant, et après trois premières années éprouvantes d’anorexie restrictive, Mathilde en est à la deuxième phase de la maladie, elle tombe dans les compulsions alimentaires avec trois années consécutives de troubles alimentaires.

Des répercussions sur le quotidien pas si anodines

Au quotidien, les couples sont souvent mis à rude épreuve par la vie avec un travail stressant, les problèmes familiaux, les différentes épreuves de la vie. Lorsqu’il s’agit de TCA, les atteintes sont multiples, qu’ils touchent à la communication, à l’intimité du couple ou encore à la vie sociale, rien n’est laissé au hasard.

Mathilde et Arthur en savent quelque chose. Si la communication est relativement calme dans le couple, il a vécu un quotidien très peu porté sur la spontanéité et les gestes affectifs. À l’époque, la vie sociale s’en trouve également affectée. Mathilde mène à ce moment-là un contrôle constant sur tout, des sorties du couple au restaurant, aux soirées entre amis, les repas sont eux aussi méticuleusement préparés et contrôlés par la jeune femme sous peine de ne plus rien contrôler « j’avais des réactions inappropriées, comme quand il y avait un repas d’imprévu ou que quelqu’un arrivait à l’improviste ça me mettait dans tous mes états, je pouvais en pleurer, faire une crise de larmes très intense », raconte Mathilde.

La relation laisse peu de place au naturel, ce qui se reflète sur son compagnon Arthur qui constate un manque de fluidité dans la relation « il y avait moins de romantisme, moins de spontanéité, moins de vie sociale, moins de restaurants. Quand il y avait des soirées entre amis, ça arrivait souvent qu’Arthur y aille tout seul. Si on se faisait inviter au dernier moment un week-end, c’était tendu. C’était plein de stress pour moi, je n’étais pas bien. Les gestes de tendresse comme le petit-déjeuner au lit, tout ça c’était impossible », se confie Mathilde qui ajoute à ces problématiques le fait d’être touchée.

« En général les personnes qui souffrent de TCA ont beaucoup de mal avec leur corps. Une personne qui me disait bonjour en me touchant c’était compliqué, vis-à-vis de mon copain c’était aussi compliqué. Au niveau de l’intimité, c’était vraiment difficile mais le fait d’avoir un copain m’a quand même vachement aidé dans mon rapport au corps », constate Mathilde.

Un conjoint attentif et investi mais qui ne s’oublie pas

Durant la maladie, Arthur est incontestablement un soutien de taille pour Mathilde. Il s’informe et a de nombreux échanges avec sa compagne, il reste présent quoi qu’il arrive et ne rediscute pas les actions de la jeune femme lorsque celle-ci est en pleine crise « remettre en question le fait qu’elle compte ses aliments, ses calories, qu’elle calcule et qu’elle contrôle, moi je faisais comme si de rien était. Je la laissais progresser à son rythme. Le seul moment où je pouvais, au-delà de l’aide, du dialogue et de l’accompagnement quotidien, si elle en avait besoin, j’étais capable de le lui fournir. Malheureusement, les personnes malades sont seules face à cette maladie, d’où l’importance de communiquer » suggère le jeune homme.

Pour autant Arthur ne s’oublie pas. Il continue d’avoir un quotidien plus ou moins normal « on a un rythme de vie où on sait être autonome. On n’est pas un couple ultra-fusionnel qui a besoin d’être ensemble 24h sur 24. Il y avait évidemment des périodes compliquées et qui pouvaient durer. Pendant toute cette période ma vie à moi ne s’est pas arrêtée, elle n’a pas été en suspens. J’avais toujours mes propres activités, je ne me suis coupé de rien. Mathilde me voyait vivre, j’avais besoin aussi de ça pour m’échapper sinon ça aurait été compliqué de ne pas avoir mes amis », explique Arthur.

Il faut accepter que ça prenne du temps, que ça passe par des chemins sinueux et qu’il peut y avoir des rechutes

Un raisonnement tout aussi approuvé du côté des professionnels. Céline Casse, créatrice de la plateforme Stop TCA pense aussi que le conjoint ne doit en aucun cas s’effacer « pour le partenaire ça peut parfois être très malaisant parce que parfois on ne sait plus quoi faire. Si je mange est-ce que ça peut la perturber, est-ce que si je ne mange pas ça peut la perturber aussi. Donc le conjoint doit se recentrer sur lui et ne pas arrêter ces habitudes. Il faut qu’il continue d’avoir une vie sociale », explique la jeune femme titulaire d’un diplôme universitaire en éducation thérapeutique du patient.

Mathilde est du même avis « dans l’idéal le conjoint se doit d’être bienveillant de répéter que tout va bien, de rassurer, mais dans la réalité c’est aussi un humain qui a ces difficultés et qui a ses limites aussi donc c’est normal que ce soit difficile pour lui », croit-elle.

Arthur gagne alors en stabilité dans sa vie sociale, même si souvent, cette situation reste difficile à accepter pour Mathilde qui apprend malgré tout à s’épanouir seule et à être indépendante vis-à-vis de son amoureux, une source de motivation pour sa guérison.

Un travail de fond jusqu’à la victoire

Si cette maladie reste difficile à observer d’un point de vue extérieur, Arthur est d’un optimisme sans faille durant le cheminement vers la guérison, s’il s’accroche c’est par ce qu’il y croit dur comme fer « avec l’anorexie de Mathilde, il y avait la Mathilde ma copine dont j’étais amoureux et il y avait la Mathilde avec la maladie qui incarnait ma copine et en fait je me raccrochais à la guérison. Ça a été un combat extrêmement long et difficile qui lui prenait tout son temps. Elle a réussi et moi j’ai toujours su qu’elle réussirait, c’est à ça que je m’accrochais tout simplement », conclut Arthur.

Céline Casse croit aussi qu’il est possible de s’en sortir à condition de prendre conscience de la situation et de ne rien lâcher « ni le partenaire, ni la personne concernée ne se rend compte de la situation parfois, donc il faut déjà se rendre compte qu’il y a un problème et vouloir guérir. Guérir ça passe par l’accompagnement. Il faut accepter que ça prenne du temps, que ça passe par des chemins sinueux et qu’il peut y avoir des rechutes. Il ne faut pas hésiter à changer de professionnel si ça ne va pas. Il faut trouver l’équipe médicale avec laquelle on se sent bien. Il faut accepter que le poids puisse fluctuer », pense la fondatrice du site Stop TCA.

Grâce à un travail pluridisciplinaire, Mathilde a su trouver les ressources médicales pour s’en sortir « il y a le côté nutritionnel, le côté restructuration cérébrale afin de déconstruire tous les cheminements de croyances erronés pour reconstruire des cheminements de croyance qui sont plus sains », avance Mathilde.

Il ne faut pas constamment parler du TCA car trop en parler ça va être contre-productif

Confiance et communication

Si les autres sphères de la vie de couple sont mouvementées, la vie sexuelle est elle aussi touchée. Aussi surprenant que cela puisse être, il existe très peu d’études sur un sujet qui a aussi son importance « les troubles alimentaires comme ils ont un impact sur le rapport au corps, la personne qui souffre de TCA elle a un dégoût de son corps, elle n’a pas confiance en elle, elle a une image corporelle qui est négative ça peut occasionner des dérèglements hormonaux. Chez la femme, ça a un impact sur la libido, on peut avoir des troubles de la lubrification, des problèmes de vaginisme récurrents », explique Céline Casse.

Alors comment se laisser aller à une intimité ? Céline Casse donne des conseils autour de la communication « la conversation, ça, c’est la base de toute façon dans toutes relations et les non-jugements. Il ne faut pas constamment parler du TCA car trop en parler ça va être contre-productif. Il faut trouver un juste milieu. Il faut savoir en parler, se renseigner mais aussi aborder des sujets plus légers et faire des activités ensemble, aller au cinéma, mettre du romantisme dans le couple », propose la jeune femme. Mettre à l’aise et en confiance la personne est aussi primordial « il faut demander à la personne si ça va, si la lumière tamisée est une bonne idée. Faire les préliminaires, c’est important aussi pour que la personne se détende, il ne faut pas hésiter à parler du corps de façon positive, mais surtout il faut y aller tout doucement », ajoute Céline Casse.

Des contenus pour aider et mieux informer

Après un long combat contre la maladie, Mathilde s’en est à présent sortie. Aujourd’hui, elle met à profit son vécu pour outiller, conseiller et soutenir les patients, qui comme elle, souffrent de ces pathologies qui peuvent handicaper l’environnement social et familial. Désormais à son compte, elle consacre son temps à aider les personnes qui souffrent de TCA.

Sur le site internet Norainnoflower Mathilde parle de son histoire, mais pas seulement, on y trouve son podcast, des carnets d’exercices pratiques, mais aussi des programmes et des guides de guérison. De leur côté, sa page Instagram et sa chaîne Youtube ne sont pas en reste puisqu’elle y donne des conseils pour faire face aux différentes problématiques de la maladie.

Dans la société actuelle, l’image corporelle est à son paroxysme en termes d’obsession, influencée par la pression et l’environnement socio-culturelle ou familiale, on ne peut pas rester indifférent lorsque celle-ci devient la cause d’un mal-être et de troubles du comportement alimentaire.


Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page