Santé

Comment sortir de l’emprise ?

Fruit d’une longue enquête de sept ans, l’ouvrage « Je n’existais plus – Les mondes de l’em­prise et de la déprise », de C Pascale Jamoulle (éd. La J Découverte) retrace le parcours de personnes « affranchies » et cherche à comprendre ce qui les a amenées à se perdre, mais aussi à se retrouver. L’anthropologue explore ces dynamiques aussi bien dans le couple et la famille qu’au travail.

ELLE. Existe-t-il un terrain propice à l’emprise ?             

Pascale Jamoulle. Il y a généralement un contexte aliénant dès le départ. La vul­nérabilité peut avoir une cause intérieure : un inceste, un traumatisme précoce ou une éducation très genrée, patriarcale, qui pousse les femmes vers des logiques de soumission, et les hommes vers l’en­gagement total dans le travail. L’exil, le manque de ressources ou la dérégulation accélérée du monde professionnel sont d’autres facteurs, plus extérieurs. Il faut ensuite une rencontre avec une personne, un gourou, un réseau ou encore une entre­prise abuseurs.                

ELLE. Comment s’installe-t-elle ? 

P.J. L’abuseur fait miroiter une situation idyllique : c’est la phase de séduction. À Marseille, dans les quartiers, on parle d’« emboucanement ». Puis vient la désin­formation progressive qui crée de la confusion. Les personnes doutent de ce qu’elles ont vu, entendu et ressenti. Une terreur s’installe peu à peu. Leurs res­sources psychiques et intellectuelles sont peu à peu détruites (« tu n’as que moi, tu ne sais rien faire… »), puis tous leurs liens vers l’extérieur. Elles sont « occupées » par l’oppresseur. Une dépendance s’installe car les victimes craignent de n’être « rien » en dehors du couple, de la secte, de l’en­treprise. Le silence est le meilleur allié des abuseurs : on le voit clairement dans les violences intra-familiales, où il y a tou­jours inversion de la responsabilité. L’emprise perdure si la victime n’a accès à aucune protection (services de l’État, parents, ressources humaines).                

ELLE. Comment s’en sortir ? 

P.J. C’est long et difficile car la personne sous emprise intègre la légitimation de la violence. À un degré extrême, elle s’iden­tifie au désir de l’abuseur. Mais elle garde souvent des micro-parcelles de liberté, des rêves, la capacité d’imaginer une autre vie. Elle puisera alors dans ces ressources internes, mais aussi les externes (amis, pas­sion). Frôler la mort, désirer protéger ses enfants ou conserver une éthique peut être un déclic pour penser de nouveau par soi­-même. Puis il faut pouvoir fuir (avoir de son côté le droit, le réseau, les moyens, etc.).

ELLE. Quels sont les risques ? 

P.J. La transmission du schéma entre générations et le passage d’une servi­tude à l’autre. Une fois dévi­talisée et dépersonnalisée, la victime peut chercher un autre maître, passant par­fois d’une emprise intrafa­miliale à une emprise pro­fessionnelle… Parler, écrire, élucider est nécessaire pour en finir tout à fait. Un autre risque est la colère associée à la prise de conscience d’avoir été dominé par quelqu’un qui n’en valait pas la peine. Ensuite, toute relation de pouvoir est sus­ceptible de rappeler les abus vécus et seules les relations horizontales sont tolé­rées. Mais cette rage peut aussi être trans­formée en énergie revitalisante. Ces ex­-victimes ont une liberté de pensée et une personnalité très fortes après ce qu’elles ont traversé. L’emprise fait perdre du temps, mais elle apprend beaucoup aussi. Les victimes décryptent les rapports de pou­voir très vite. Elles affranchissent d’autres personnes, recréent de la solidarité.               

ELLE. Comment aider un proche ?                

P.J. En gardant le contact, surtout. Un jour, un nœud se dénoue : il faut être là, rappe­ler les souvenirs, les accomplissements passés, cela borde l’emprise. Dire : « C’est fou ce que tu vis » ou « c’est illégal » peut être décisif pour amorcer la déprise. 

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