Santé

Conseils d’une féministe pour surmonter une rupture amoureuse

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Quand on me quitte, la crise que je traverse est aiguë. Entendre qu’on ne veut plus me voir, plus me parler, qu’on ne veut plus faire l’amour avec moi, vient appuyer sur des craintes enracinées profondément : celles d’être trop ceci, pas assez cela, de ne pas être aimable. La philosophe Claire Marin pose un diagnostic sur notre douleur ; pour elle, la fin de l’aventure amoureuse nous inflige une « fracture intime ». Dans son court et beau livre « Rupture(s) », elle raconte comment la séparation met au jour une « inquiétude fondamentale, liée au vide profond que nous essayons de dissimuler ». Pour ma part, l’angoisse que je ressens est si intense, et elle se prolonge parfois si longtemps, comparée à l’importance que j’accordais à celui qui m’a quittée… qu’en plus de souffrir, je m’en veux.

La science du cœur brisé

Nous n’avons pourtant aucune raison de culpabiliser d’être à ramasser à la petite cuiller lorsque l’on nous quitte. La douleur du chagrin d’amour n’a rien d’anecdotique. Notre cœur peut même s’arrêter de battre : c’est le syndrome du cœur brisé. Cette maladie du muscle cardiaque qui touche trois mille personnes chaque année en France (souvent des femmes) survient après un stress intense, tel qu’une rupture amoureuse. Le stress entraîne une sécrétion brutale d’hormones qui se fixent sur les petits récepteurs du muscle cardiaque, et entraînent sa paralysie.

Sans aller jusqu’à l’arrêt cardiaque, la peine de cœur fait mal, et elle fait mal longtemps. Diverses études, dans les champs de la médecine comme des sciences humaines, sont venues dresser ce constat. Ainsi, le neuroscientifique américain Tor D. Wager a-t-il examiné par IRM les cerveaux de quarante personnes ayant vécu une séparation non désirée. Il a constaté que « la douleur de la rupture est bel et bien une réalité physique et neurochimique. Il semblerait qu’elle agisse sur le ganglion Cyriax de l’intestin, ce qui expliquerait les nausées et cette impression continue d’avoir reçu un coup de poing dans le ventre. » Le sociologue américain Robert Weiss a quant à lui interrogé cent cinquante personnes que l’on avait quittées. Il a déterminé qu’après une rupture, la convalescence prend en moyenne de dix-huit à vingt-quatre mois.

Osons soigner nos chagrins d’amour

Quand je suis tombée sur ces informations, elles m’ont fait du bien, car elles ont donné une légitimité à ce que je traversais. J’ai accepté les refus de manger, de dormir que m’opposait mon corps. J’ai considéré avec plus de tendresse les semaines et les mois que prenait mon cœur à se relever.

Après ce premier pas positif, j’ai voulu trouver plus de ressources pour prendre en soin mes peines de cœur. Elles sont difficiles à trouver. Tapez « chagrin d’amour » dans Google. Des articles vont vous conseiller de « faire des soirées entre copines », de « passer à autre chose »… Des chaînes YouTube vont vous proposer des stratégies « pour récupérer son ex ». Et nombre de sites payants vont tenter de vous vendre coaching ou magie pour « reconquérir l’être aimé ». Tout comme il existe un business de la séduction, il existe un business de la rupture.

Non merci. Pour aller mieux, j’ai préféré me tourner vers les autrices féministes.

Se séparer de quelqu’un que l’on aime est aussi ardu que le sevrage d’une dépendance à l’alcool, à la drogue, ou au jeu.

Faire la « révolution amoureuse », avec Coral Herrera Gómez

« Révolution amoureuse » est un petit livre édité par la journaliste féministe Victoire Tuaillon et paru chez Binge Audio Éditions, qui m’a fait l’impression d’un phare dans le brouillard. Son autrice, Coral Herrera Gómez, est une enseignante-chercheuse espagnole qui travaille depuis quinze ans sur l’amour romantique et le féminisme ; elle a même fondé le « Laboratorio del Amor », une école en ligne qui propose des ateliers pour réinventer les relations amoureuses. Dans cet ouvrage court et agréable à lire, elle déploie 22 conseils percutants pour déconstruire cette mythologie toxique de l’amour romantique, qui associe couple et souffrance. Les chapitres sur la fin de l’amour sont lumineux.

Opération : détox

Pour Coral Herrera Gómez, se séparer de quelqu’un que l’on aime est aussi ardu que le sevrage d’une dépendance à l’alcool, à la drogue, ou au jeu : « Notre corps doit effacer le désir de notre peau et transpirer beaucoup pour éliminer toute la toxicité de l’amour. » L’objectif premier : résister à la tentation de courir chercher l’avant-dernière ou la dernière dose de la voix, de la peau, du sexe de la personne qui nous manque. La meilleure façon de se sevrer d’une drogue étant de ne plus la consommer, l’autrice recommande de dire symboliquement au revoir à cet être cher. Elle appelle cela faire un « rituel d’adieu ». Puis elle recommande de se déconnecter complètement. En se centrant sur la conviction que l’autre ira bien. Et nous aussi, grâce au soutien de nos proches : « si on a besoin d’une épaule sur laquelle pleurer, nous avons des amies : les ex ne sont jamais les meilleures personnes pour nous réconforter ».

No Drama

Coral Herrera Gómez pointe une autre source de souffrance importante : cette tendance que nous pouvons avoir, lorsque nous nous quittons, à nous déchirer. « On ne nous a pas appris à mettre fin à nos histoires avec amour », écrit-elle. « Nous avons intégré que la séparation doit s’accompagner d’insultes, de reproches, de revendications, de menaces, de chantage »… Plutôt que de dilapider notre énergie en conflits et en rancœurs, elle conseille de nous focaliser sur notre bien-être. S’il fallait choisir un mantra pour nous accompagner après une rupture : nous avons droit au bonheur ! Le temps de la séparation est un temps de transition qui peut se transformer en une belle opportunité de dégager du temps pour nous, de « nous concentrer sur nos passions, rendre justice à nos qualités, nous faire des cadeaux, nous consacrer à nos projets ». Priorité à nous-même !

Savoir que les hommes que nous avons aimés souffrent eux aussi, permet de se sentir moins seule.

Le patriarcat ne nous aura pas !

Coral Herrera Gómez déploie une analyse plus politique en considérant que notre vulnérabilité, notre abattement, notre solitude lorsque nous vivons un chagrin d’amour sont « tout bénef » pour le patriarcat. Pendant que nous nous accrochons à notre besoin de validation masculine, pendant que nous nous vouons corps et âme à notre quête de l’amour romantique, nous nous isolons des autres femmes. Et nous sommes aussi plus passives, plus soumises…

Cultiver de l’empathie pour les hommes

Le patriarcat oppresse les femmes, mais aussi les hommes (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le féminisme concerne tout le monde !). Dans « La volonté de changer », l’activiste, universitaire et autrice culte de l’afro-féminisme bell hooks se penche sur la façon dont le patriarcat mutile la vie affective des hommes, en leur imposant une peur de l’intimité, des injonctions à la virilité, à la primauté du travail sur la vie affective, des anxiétés de performance sexuelles… Elle explique dans cet ouvrage iconoclaste que lorsque les hommes vivent un chagrin d’amour, ils « souffrent, et toute la culture leur dit : « S’il vous plaît, ne nous confiez pas ce que vous ressentez » ». Car pour les hommes, le stoïcisme affectif est de mise. Lorsqu’ils se sentent abattus, perdus, il est attendu d’eux qu’ils étouffent leurs sentiments. Pour préserver leur image virile, il ne leur reste qu’à espérer en silence que leur tristesse s’en aille comme elle était venue.

Mais « ce ne sont pas seulement les hommes qui ne prennent pas leur souffrance au sérieux. La plupart des femmes refusent d’avoir affaire à la souffrance masculine ». bell hooks propose de nous montrer plus sensible à la souffrance des hommes qui sont nos amis, nos parents. Attention ! Quand il s’agit de nos ex : nous sommes en désintox, et notre rôle n’est certainement pas à leur chevet. Nous d’abord ! Mais je trouve que l’analyse de bell hooks est apaisante. Savoir que même s’ils ne laissent rien paraître, les hommes que nous avons aimés souffrent eux aussi, permet de se sentir moins seule dans notre traversée du chagrin d’amour.

Amitié, sororité… L’amour n’est pas que dans le couple, il est partout !

Mais c’est à Coral Herrera Gómez que je voudrais laisser le dernier mot, car elle sait nous proposer un programme à la fois intime et politique enthousiasmant. La chercheuse féministe considère que notre culture de l’amour romantique est tristement anti-sociale ; faire couple nous isole dans une micro-sphère de deux personnes censées s’autosuffire — une utopie destructrice. Elle nous encourage à sortir de cette bulle, source de souffrance, à faire passer notre santé émotionnelle avant l’idéal du couple, et à vaincre notre solitude et notre désespoir en revalorisant d’autres formes d’amour plus épanouissantes : l’amitié, la sororité… l’« amour compagnon ».

Qu’est-ce que l’amour compagnon ? « C’est l’amour qui unit les gens qui descendent dans la rue pour défendre leurs droits, pour questionner et transformer le monde dans lequel nous vivons, pour protester contre l’injustice, l’exploitation et la violence ». Un amour révolutionnaire, en somme, un amour solidaire, un amour en réseau, un amour qui fait communauté. Un amour qui ne nous laisse plus jamais seule et désemparée ! On s’y met ?

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