Santé

Elvire Duvelle-Charles sur le sexe pendant les menstruations : « Les règles ne les dégoûtent pas forcément »

J’ai rencontré Elvire Duvelle-Charles alors qu’elle tournait la série documentaire « Clit Révolution » avec Sarah Constantin. Sarah et Elvire se sont rencontrées chez les Femen en 2012, puis elles ont défié Orelsan dans leur parodie féroce du clip « St Valentin ». Quand elles ont décidé de consacrer l’un des épisodes de leur série au porno féministe, elles sont venues écrire et enregistrer un épisode du podcast de porno audio Voxxx avec moi. Le thème qu’elles ont choisi ? Le sexe pendant les règles ! Depuis, Elvire a lancé Tonnerre, un ciné-club mensuel qui met en avant des films de femmes. Je suis très contente de recueillir son témoignage sur le sexe pendant les règles, car il mêle son expérience intime à sa réflexion sur la (non) représentation des menstruations.

Les règles agissent sur nos humeurs et notre libido

« À l’origine de « Clit Révolution », il y a eu ce questionnement de la part de Sarah et moi, sur notre rapport à la sexualité en tant qu’activistes féministes. On a compris qu’on avait davantage peur d’aborder les sujets liés à la sexualité avec nos partenaires que de sauter sur la voiture de DSK torse nu ! Ça nous a interrogées. C’est comme ça qu’on a eu envie de faire un épisode de porno audio sur la question du sexe pendant les règles. Et de se demander : qu’est ce qui fait que c’est à ce point jugé comme quelque chose de tabou, de dégoûtant ? ! Mon corps pendant les règles est très fluctuant. Certains mois, mes règles sont extrêmement douloureuses, et je me sens sale, gonflée. Dans ces moments-là, j’ai presque l’impression que mon corps n’est pas dans son état normal… alors que c’est complètement normal d’avoir ses règles ! Il y a d’autres mois où, au contraire, ce n’est pas un sujet, je vais oublier que j’ai mes règles. J’ai appris à accepter ces fluctuations et à accueillir les réactions de mon corps. En m’observant, j’ai remarqué qu’à chaque fois que je m’apprête à avoir mes règles, j’ai une montée de libido. Je deviens aussi beaucoup plus sensible : si je me masturbe, je vais ressentir les sensations plus intensément, le plaisir se décuple. Lorsque les règles se déclenchent, si elles sont douloureuses, je ne pense pas du tout au sexe. Mais si elles ne me font pas souffrir, c’est le moment du mois où j’ai le plus de libido ! »

S’affranchir du tabou et se jeter à l’eau

« Pourtant, j’ai mis du temps à me dire que je pouvais faire l’amour pendant que je saignais. Quand j’étais plus jeune, je voyais les règles comme un obstacle au sexe. Je calculais les dates en fonction de mon cycle menstruel, histoire de faire en sorte de ne jamais avoir un date à un moment où j’avais mes règles. Les règles, c’était le moment où on est, comme le dit l’expression : indisposée… et donc inapte à avoir une activité sexuelle, en tout cas partagée. C’est grâce à un partenaire que j’ai finalement remis ça en question. Lui n’en avait vraiment rien à faire ! On était en train de se chauffer, on commençait à s’embrasser… et à un moment, je le préviens comme j’avais l’habitude de le faire : je lui dis que j’ai mes règles. Sous-entendu : je ne peux pas, puisque j’ai mes règles ! Et lui en fait a répondu le plus naturellement du monde : d’accord, ce n’est pas un problème. Et je dois dire que je trouve ça très érotique et excitant d’être face à un partenaire qui dévore mon corps, peu importe que j’aie mes règles ou pas. Après cette relation, j’ai eu beaucoup plus de partenaires avec qui j’ai fait l’amour pendant les règles. Comme quoi, en fait, je me suis peut-être fait toute une histoire d’un tabou qui n’en était pas vraiment un ! Ou bien mon éveil féministe m’a poussée à aller vers des hommes différents de ceux que j’avais pu fréquenter avant…

Grâce à une copine, j’ai découvert quelque chose de génial pour le sexe pendant les règles : les soft tampons. Ce sont de petites éponges à insérer au fond du vagin et qui permettent de pratiquer du sexe pénétratif sans qu’il y ait du sang qui sorte du vagin. Le pénis non plus n’est pas ensanglanté. C’est super confortable : quand j’ai essayé ça avec un partenaire, il ne sentait même pas l’éponge. Avant de découvrir les soft tampons, j’avais une autre technique : je prenais un bain chaud ou une douche chaude, et après je mettais un tampon, puis je l’enlevais. Si ce n’était pas le jour où le flux est le plus abondant, le sang mettait une heure ou deux avant de se remettre à couler. Mais bon, le sexe, ce n’est pas que la pénétration… On peut aussi décider de garder son tampon et pratiquer du humping, des frottements, par exemple. Il y a aussi les petits aspirateurs de clito, les vibromasseurs sans pénétration, qui sont pratiques quand on a ses règles et qu’on n’a pas envie d’en mettre plein partout ! »

La représentation des menstruations

« J’ai l’impression qu’on a tellement eu l’habitude de cacher le sang de nos règles, qu’avoir des relations sexuelles à ce moment-là reste tout de même un peu bizarre… Iconoclaste. J’ai grandi en regardant des publicités dans lesquelles c’était du sang bleu qui était utilisé pour montrer le pouvoir d’absorption d’un tampon ou d’une serviette. Côté cinéma, le seul film dans lequel j’ai vu du sang de règles, c’est « Carrie »… et c’est une source de honte : toutes les filles du vestiaire se moquent de Carrie parce qu’elle a ses règles, et l’évocation de ses menstruations devient horrifique. Pourtant, le sang a généralement la part belle dans les films, que ce soit dans les séries qui se passent à l’hôpital ou dans les films d’action où des personnages sont blessés et saignent… Le sang a plutôt un côté héroïque. Mais le sang des règles, lui, est plus représenté sur le registre de l’horreur. Pourquoi ? Quand j’étais ado, je me souviens que c’était la mode des éjaculations faciales. Dans tous les pornos, il y avait des éjaculations faciales, et c’était le sujet de conversation numéro un quand on abordait des sujets sexuels : si tu étais une « meuf bonne », il fallait soit accepter les éjacs faciales, soit avaler le sperme après une fellation. Je ne comprends vraiment pas en quoi du sperme serait moins dégoûtant que du sang de menstrues !

Il y a quand même de bonnes surprises, parfois. Un beau souvenir lié à la représentation des règles, c’est ce film d’Erika Lust avec un vampire qui fait un cuni à une fille qui a ses règles. C’était la première fois que je voyais une scène de porno qui fasse des règles un facteur érotique ! Ce court métrage m’a beaucoup marquée, il a changé ma façon de voir ma sexualité ainsi que ma manière de voir les mecs… Ça m’a confortée dans l’idée que les règles ne les dégoûtent pas forcément. Comme quoi les représentations comptent énormément dans la construction de nos imaginaires érotiques ! »


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