En solo : « Mon indépendance est perçue comme de l’instabilité »

Le célibat a d’abord été sa solution. Plusieurs relations tumultueuses enchaînées à la trentaine, qui l’ont essorée émotionnellement. Pour retrouver de la sérénité, Victoire a tout arrêté. La vie à deux, le couple tout court. « Aujourd’hui, j’y crois toujours, mais pas à tout prix. » À 43 ans, elle a appris à poser ses limites, autant qu’à peser ses mots. Comme quand un rencard lui demande depuis combien de temps elle est seule. « Mon côté électron libre me vaut beaucoup d’amalgames. » 

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MANGEUSE D’HOMMES ?

« Moi je n’incarne pas la célibataire mangeuse d’hommes et détachée de tout. Je suis la fille la plus fidèle, la plus douce du monde, et pourtant, j’inquiète quand je parle de mon indépendance. Souvent les hommes mettent la leur en avant : “Attention, je travaille beaucoup !” Et quand je réponds : “Génial, moi aussi !”, ils sont décontenancés. S’imaginent-ils également que je vais coucher avec la terre entière quand je pars en vacances seule ? L’exclusivité sexuelle, en plus, c’est bien le seul truc que je demande. L’autonomie crée beaucoup d’insécurité. Quand elle ne fait pas craindre l’infidélité, elle est perçue, a minima, comme de l’instabilité. »

PUNIS TOUS SEULS

« Sur les sites de dating, on n’échappe pas à cette fameuse et détestable dichotomie entre le sérieux et le fun, ni au discours tout aussi absurde du “sans prise de tête” et du “one shot”. Mais si un “one shot” est bien, on a envie de remettre ça, non ? Les hommes sont nombreux à décrire le couple comme une prison. Quand tu les interroges un peu, tu vois qu’ils se sont enfermés et punis tous seuls, traumatisés par des femmes possessives, hyper contrôlantes. C’est dommage quand on arrive, comme moi, avec une vision tout à fait inverse et détendue des choses. Dans laquelle l’enfermement n’est pas une fatalité. »

LA PEUR D’ÊTRE LIBRE

« Ce qui excite certains au début finit souvent par les insécuriser. Comme s’ils craignaient de n’avoir rien à m’apporter. C’est compliqué de rester vraie dans ces rencontres, quand tu sens que toute vérité n’est pas bonne à dire. Y compris la durée de ton célibat. La réponse la plus rassurante semble “entre trois et six mois”. Si c’est moins, si c’est plus, c’est toujours louche, pour des hommes qui veulent tout et son contraire. Les mêmes qui t’expliquent qu’ils fuient les femmes jalouses, tout en ressentant la liberté qui leur est laissée comme un manque d’affection et d’intérêt. »

VERTIGE DES POURQUOI

« Que répliquer à “Pourquoi t’es célibataire ?” Y a-t-il vraiment un “parce que” qui pourrait répondre à cette question ? Il y a son pendant aussi “Tu veux vraiment être en couple ?” Oui, mais pas à tout prix… Parfois également “Pourquoi tu n’as pas eu d’enfants ?” Eh bien… Parce que les conditions qui me semblaient essentielles pour me sentir prête à devenir mère n’ont jamais été réunies et que je n’en ai jamais fait une priorité. »

NE PAS SE JUSTIFIER

« Les gens sont tristes pour vous, présupposent ce que vous vivez et la manière dont vous le vivez. Rien que l’éternel “Oh tu ne vas pas dîner toute seule !” alors qu’au contraire, c’est un grand bonheur ! Mais j’ai cette force de ne pas rentrer en justification. Je ne vais pas chercher à dire “tu sais je suis heureuse”, à forcer cette impression chez mon interlocuteur. Quelqu’un qui me dit “j’ai quatre enfants”, j’avoue je trouve ça beaucoup, mais je ne cherche pas pour autant à dire “ma vie est plus cool que la tienne avec tes quatre enfants”. Mes amis me disent souvent que j’ai fait du célibat quelque chose d’enviable, de “cool”. Que je transforme ce qui m’arrive et que je n’ai pas forcément choisi. La maladie aussi, d’ailleurs. »

« QU’EST-CE QUE VOUS AVEZ FOUTU ? »

« Juste après avoir été diagnostiquée d’un cancer du sein, j’ai eu droit à un “c’est la merde” de la manipulatrice en radiologie, quand je lui ai répondu que non, je n’avais pas de compagnon qui m’attendait dehors. Puis c’est l’oncologue qui m’a demandé combien j’avais d’enfants et de maris. Son “qu’est-ce que vous avez foutu ?” après que je lui ai répondu “zéro” m’a laissée sans voix. »

LA HANTISE DES SOIGNANTS… ET DES PATIENTS

« Je n’imaginais pas que ce serait un tel enjeu dans mon parcours médical, que le fait de me savoir seule reviendrait aussi souvent dans la conversation, chez les soignants comme les patientes. Le partenaire est un sujet central, qu’on évoque son absence ou qu’on craigne ses réactions. La hantise d’être quittée, de découvrir qu’on partageait sa vie avec un minable qui, finalement, va se défiler. J’ai un avantage sur certaines : je ne redoute rien de personne à un moment où je n’ai pas la force d’être déçue. »

L’INJONCTION AU SOUTIEN

« On ne réchappe pas à cette permanente question du soutien conjugal, beaucoup plus que familial ou amical d’ailleurs. Il y a toujours des interlocuteurs pour vous interroger dessus, en jauger la qualité. Toujours des signaux qui vous semblent adressés, ces livres titrant sur le cancer “qui se vit à deux” mis bien en évidence chez le médecin, ces témoignages de conjoints qui se présentent comme “indispensables”. Ce qui vous laisse croire que sans ça, vous êtes dénuée de l’essentiel. »

SE BATTRE POUR QUI ?

« Vous sentez bien que vous seriez moins stigmatisée en vous présentant comme divorcée… La tristesse que vous lisez dans les yeux des autres parle de leurs propres angoisses. Personne n’insinue que vous êtes en échec si vous répondez que vous avez des enfants. On dit souvent d’ailleurs “se battre pour ses enfants”. Encore une case que je ne coche pas. Je ne pourrais pas non plus me battre pour un chat, je n’en ai pas ! »

RESTAURER L’HARMONIE

« J’ai choisi le célibat à 32 ans parce que je n’ai pas un tempérament fusionnel et que je voulais reconquérir mon indépendance émotionnelle, après avoir enchaîné plusieurs histoires mouvementées. Ne plus être à la merci de l’humeur de l’autre. Ne plus débuter une journée en craignant que tout bascule à cause d’une dispute ou d’un silence anxiogène… J’ai voulu rester seule. Puis après quelques années, le désir de couple est revenu. C’est depuis ce moment-là que mon autonomie est subie, et je ferais une distinction entre subir et souffrir. Je ne souffre que rarement de cette situation, parce qu’elle a une raison d’être, qu’elle est liée à mon exigence. »

UN FOYER-REFUGE 

« Mes joies au quotidien ? Vivre dans un foyer-refuge sans disputes ni tensions, d’autant que j’ai un métier – l’écriture – que j’exerce de chez moi, en horaires libres. Travailler sans relâche tout un week-end sans culpabiliser de délaisser ou frustrer quelqu’un. Ne pas ressentir le besoin de “paraître”. Manger quand j’en ai envie en maîtrisant la nature et la quantité des aliments, ce qui m’a permis de résoudre certains troubles alimentaires. M’endormir sans mettre de réveil ni subir celui de quelqu’un d’autre. Regarder la télé dans mon lit pendant mes insomnies… Expérimenter l’absence de contraintes et la liberté d’action totale chaque jour. »

NE RIEN PLANIFIER

« Le plus grand de mes plaisirs actuels, ce sont les voyages solo, où chaque seconde est dédiée à mon envie du moment et à moi-même, avec une absence totale de compromis, de planification… Ce qui, dans l’absolu, ne me paraît pas non plus incompatible avec une vie de couple. En tout cas avec la vision que j’en ai. »

TENDRESSE ET PARTAGE DU PIRE

« Parallèlement, la liste des trucs pénibles au jour le jour quand on est seule est longue aussi. L’insécurité affective, l’absence de contact physique, via la tendresse et la sexualité. Le partage des petites et grandes victoires, mais aussi le partage du pire. Toutes ces petites choses qui submergent quand on les vit seule mais qui passent crème à deux. Ne pas avoir quelqu’un avec qui débattre sur des sujets variés au quotidien, ou qui vous initie à d’autres univers que le vôtre, ça me manque aussi. »

LES GOÛTS DE L’AUTRE

« Par amour (et davantage qu’en amitié) on va essayer de comprendre l’autre, ses goûts, ce qui l’anime. L’altérité entretient votre ouverture d’esprit. Moi, si j’ai testé la pêche ou le poker, c’est grâce aux passions de mes ex. Et le poker, j’y joue toujours ! Être seule c’est ça aussi, ne pas avoir ce partage-là, ni de projets enthousiasmants à deux. De ceux que l’on fait en se projetant loin ensemble, jusqu’aux plus concrets et immédiats. C’est tout bête mais chez moi des questions aussi basiques que “Avec qui est-ce que je vais passer la soirée du 31 décembre ?” ou “Avec qui est-ce que je vais regarder la finale de la coupe du monde ?” n’ont pas de réponses naturelles. »

CROIRE AU COUPLE QUI NE BRIDE PAS

« Si je crois toujours à la rencontre, c’est parce que le couple en soi ne me paraît pas une structure rigide qui nous bride. Être en couple ne m’a jamais empêchée de mener des activités et des amitiés séparées, de vivre pleinement mes passions, ma carrière (je lève cependant volontiers le pied sans me sentir contrainte si je suis avec quelqu’un) ou de me cultiver. Même si oui, quand on vit en couple, on parle plus qu’on ne lit. Mais quand les discussions sont stimulantes, c’est un enrichissement. Les seuls moments que j’ai vécus comme une contrainte en couple sont les repas dans la belle-famille alors que j’aurais volontiers fait autre chose à la place. »

CHACUN SES POTES

« J’ai en mémoire une relation en particulier, qui s’est achevée pour d’autres raisons, mais où l’indépendance de chacun était chérie. Quel pied de se retrouver dans la nuit après un samedi soir où chacun avait fait exactement ce qu’il voulait : lui, sortir avec ses potes que je n’aimais pas et moi, au lieu de l’accompagner en faisant la gueule et en comptant les heures, faire ma vie. Ce qui créait l’incompréhension autour de nous. J’ai eu des remarques sur le fait que je ne tiendrais pas assez à lui, par exemple. Récemment je lui ai demandé “est-ce que c’est l’indépendance qu’on se donnait qui nous a éloignés ?” Et il m’a répondu “au contraire, c’était la meilleure part”. On est restés amis. »

100% D’INTENDANCE 

« Ma charge mentale domestique était aussi considérablement allégée en couple. Les tâches ménagères étaient équitablement réparties, alors que je les remplis à 100% en tant que célibataire et que je me trouve complètement démunie quand j’ai un problème de mécanique ou de plomberie. C’est un impact quotidien. Le moins évident à vivre aujourd’hui ? Les retours d’hôpitaux dans un appart vide après les annonces anxiogènes ou les opérations, l’absence de soutien psychologique et logistique “à domicile”. » 

UNE GRAVITÉ NOUVELLE 

« J’ai le sentiment que le célibat me rend plus grave, car les interactions du quotidien en couple allègeraient – je pense – mon esprit et ma vie, en permettant à mon cerveau de ne pas être en ébullition permanente. Je suis de nature anxieuse et parfois, j’aimerais avoir à mes côtés quelqu’un qui se sente concerné par le moindre de mes petits problèmes. Qui m’aide à leur trouver des solutions et à relativiser mes peurs. »

LA SOLITUDE COMME ÉVITEMENT

« On me qualifie souvent d’hypersociable… mais je ne le suis qu’à temps partiel ! Parce que les gens, pour moi, c’est deux heures par jour, pas davantage. C’est plus facile d’aimer les gens dans cette configuration-là, quand on est dans sa caverne le reste du temps. Et mine de rien, ça me travaille. Est-ce que la solitude est devenue un refuge, un évitement ? Est-ce que mon célibat ne me rend pas de plus en plus misanthrope ? La perspective de vieillir isolée, la solitude, la vraie, ça m’effraie. »

LE COÛT DE LA SOCIABILITÉ

« Forcément, le temps que je passe avec moi-même sera toujours de qualité. C’est quand vous introduisez quelqu’un d’autre dans le jeu que les aléas arrivent. Mais je veux préserver cette possibilité de partage. Là je me suis lancée dans du bénévolat, qui implique ce “small talk” avec lequel je ne suis jamais à l’aise, surtout quand c’est avec des gens que je ne choisis pas… Pratiquer des activités sociabilisantes pour inverser la tendance à l’isolement, c’est précieux mais ça me coûte. »

PROSCRIRE LES CONFLITS 

« Vais-je rester seule ou trouver un homme avec qui vivre une relation harmonieuse ? Et accepter de partager le même toit ? Ma seule certitude dans cet avenir incertain, c’est de ne plus vouloir d’histoire “roller coaster”. Je hais les conflits et n’ai pas envie d’incarner le vieux couple qui se déteste, comme j’en connais. Ou de devenir l’aidante d’un homme que je ne supporte plus. Je recherche l’harmonie mais n’irai jamais vers quelqu’un par ennui ou par besoin. Je suis une romantique, une sentimentale, une idéaliste, ça a créé mon célibat aussi. Je cours après quelque chose. Je n’y ai pas renoncé et je n’y renoncerai pas. »

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