En solo : « Se réaliser seule est encore inconcevable pour beaucoup de gens »

Impossible de ne pas rire quand Natacha vous raconte sa première et dernière expérience de la vie commune avec un homme : « Dès le moment où on a emménagé ensemble, je ne l’ai plus reconnu. Il s’est mis sur son dos comme un gros chat, occupe-toi de mes croquettes, de me gratter le ventre, de me nettoyer la litière… J’avais 25 ans, je me suis enfuie sans me retourner. » Depuis, elle en a 56 et l’assure, aucun soupirant ne l’a fait changer d’avis. Il y a des amours passagères, mais un foyer partagé, une famille, non, jamais.

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« Je ne suis pas une nonne »

« J’ai tenté l’expérience de la vie à deux une seule fois et décidé qu’on ne m’y reprendrait plus. Et je m’y suis tenue… ce qui ne signifie pas que je suis une nonne. J’ai des histoires longues, courtes, éclairs, mais c’est toujours chacun chez soi. Les bribes de vacances en couple ne se sont jamais très bien passées d’ailleurs. Peu importe l’amoureux du moment, je ne suis pas faite pour ça. »

Fils à maman

« La plus longue de mes relations justement, ça a été avec ce premier fiancé, celui avec qui j’avais accepté d’emménager. On était étudiants, ensemble depuis cinq ans, dans une relation à distance pimentée par nos incessants allers-retours. C’est lui qui a finalement proposé de sauter le pas et de prendre un appartement ensemble, à Versailles. À partir de là, on a tenu six mois. Cet homme qui était brillant attentif, amusant et joyeux, je l’ai découvert macho, gros pacha élevé par une mère au foyer dont il était le bijou. Comptant sur moi pour les repas, le linge, ambiance “vas-y femme, prends le relais, prends ton rôle ». On devait se marier, j’ai tout annulé et je suis partie. Sans jamais le regretter. » 

Partager son territoire

 « Tolérer quelqu’un 24 heures sur 24 au milieu de mon espace, je n’avais pas le mode d’emploi. J’ai cru devoir tout partager avec mon futur mari et j’ai détesté ça, aussi. Je n’ai pas aimé devoir l’attendre, je n’ai pas aimé ses amis, il n’a pas aimé les miens. Comme je trouvais bizarre de s’isoler dans l’appartement, je manquais d’air et sortais dès que possible. Je ne comprends pas les gens qui ont besoin des autres à ce point parce que j’ai été habituée très jeune à m’occuper de moi-même, comme à me suffire à moi-même. »

Indépendance précoce

« Au départ je suis fille unique, et mes parents sont très absents, ils travaillent beaucoup. Je me revois rentrer de l’école seule, préparer mon goûter seule et aller aussitôt dans ma chambre faire mes devoirs. J’ai 7 ou 8 ans, personne ne vérifie, mes parents me font confiance, je suis une très bonne élève, on me responsabilise dès la primaire. Autre époque, autres mœurs, les parents ont davantage d’autorité mais sont moins flippés, à la fin des années 70 on ne parle quasiment pas de pédophilie, ni de harcèlement via les réseaux sociaux évidemment. »

Une chambre à soi 

« J’ai l’impression de faire déjà ma vie. Je cultive mes moments de solitude avec bonheur, ma chambre est mon espace privilégié, je n’aime pas qu’on y pénètre. Je chéris le calme, les livres, la musique – je joue du piano. Mes copains sont dehors à ma portée, je les rejoins quand je veux pour jouer. En sachant qu’à un moment, j’aurai besoin de me retrouver avec moi-même, dans mon espace. Ce besoin-là je l’ai identifié très jeune et il ne m’a jamais quittée. » 

Aucune attirance pour le mariage 

« Bizarrement les hommes de ma famille – mon père, mon grand-père – m’avaient conseillé de ne jamais me marier mais plutôt d’être une femme libre et indépendante. Ça tombait bien, je n’ai jamais eu aucun fantasme de mariage. Ni pour la cérémonie en elle-même, ni pour l’engagement à vie avec un seul et même homme. »

Questions et désapprobation

« Les questions sont venues plutôt après la trentaine, pas de ma famille qui avait donc compris que je n’allais pas choisir la voie traditionnelle. Plutôt de collègues, ou d’inconnus dans des dîners qui ont marqué leur surprise voire leur désapprobation en découvrant mon statut ! Mais j’étais tellement en phase avec mes désirs que j’en parlais avec facilité et aplomb. »

Poncifs navrants

« J’ai travaillé dans le corps diplomatique dans plusieurs pays. C’est dans ce contexte, lors d’interminables dîners dans lesquels j’arrivais seule – plutôt mal vue par les épouses de diplomates d’ailleurs – que j’ai subi quelques interrogatoires en règle, assez insupportables. Par exemple, les femmes disaient : “oh quel dommage, pas d’enfant, tu vas vieillir seule” ou “ah bon mais tu ne peux pas en avoir ?” Et les hommes “une belle fille comme toi mais comment est-ce possible ?” ; “tu ne peux pas être totalement femme alors, si tu n’es pas mère” ; “tu ne connaîtras donc pas ce qu’est l’amour véritable”… Et autres poncifs navrants qui en disent tellement long sur la place des femmes dans le schéma patriarcal qui nous domine. »

Éluder et mentir 

« Ce choix de vie interpelle, dérange, intrigue. J’ai le plus souvent répondu posément et poliment que c’était ma décision, mais sans convaincre la plupart du temps. Parfois j’ai éludé, fatiguée de devoir m’expliquer. Tellement lassée que je me suis inventé quelquefois une infertilité, ce qui créait un silence gêné et abrégeait la conversation. »

La stupeur des latin lovers 

« Aujourd’hui je suis brand consultant, je vis au Portugal et je me vois encore expliquer à un nouvel amoureux pourquoi je n’ai jamais souhaité me marier ou être mère. Dans les pays latins, ce sont – plus qu’ailleurs – des passages obligés dans la vie d’une femme. Dire à un Argentin ou un Portugais qu’on n’a jamais été mariée, passe encore… Mais qu’on n’a jamais voulu être mère… c’est la stupeur et l’incompréhension ! Cette idée que l’amour peut se vivre autrement, qu’on peut trouver du sens et une forme de bonheur à se réaliser seule, est encore inconcevable pour beaucoup de gens. Qui considèrent que c’est une vie par défaut, pas un choix de vie tout court. » 

Panne, maladie et bouteille de vin

« Si j’ai des trucs lourds à porter ou une panne de voiture alors oui à ce moment-là je regrette peut-être la présence d’un mec. Ou encore lorsque j’ouvre une bouteille d’un bon vin, je sais que je ne vais pas pouvoir la finir seule. Plus sérieusement j’ai le souvenir d’avoir été très malade lors de séjours à l’étranger et d’avoir eu peur. Malade et seule c’est la vraie tuile. L’autre truc pénible c’est de ne pas pouvoir débriefer autant que je le voudrais au fil de mes réflexions ou de mes joies avec quelqu’un, mais ça pourrait être un ami et pas forcément un mari ou un amoureux. »

Le cliché de la fille unique

« Mes amitiés sont triées sur le volet, je ne suis pas quelqu’un qui ouvre large. J’ai détesté les colonies de vacances parce que je déteste les dynamiques de groupe. Je préfère les petits comités, où on peut vraiment se parler… Les filles uniques on te montre toujours du doigt, on te taxe d’égoïsme, tu ne saurais pas partager, pas donner. Le reproche du narcissisme, du côté autocentré, on me l’a balancé mille fois, ça me heurtait quand j’étais petite. Je me rassurais avec d’autres enfants uniques qui comme moi étaient assez partageurs, ne méprisaient pas les autres. On peut être très entouré et n’avoir aucune générosité, ne pas s’intéresser aux autres. Moi je me sens au contraire curieuse, attentionnée, généreuse, humaine, j’espère que mes copines diraient ça de moi. »

La malédiction maternelle

« La vie solo et l’absence de désir de maternité, pour moi c’est lié. C’est allé de pair depuis toujours et là le schéma familial entre en jeu. Mes parents étaient davantage un couple que des parents. Ma mère très belle, très coquette, mon père un mec important. J’aurais aimé me sentir plus protégée, défendue, qu’on intervienne pour moi. J’ai interpellé mon père là-dessus, plus tard. Ma mère, elle, était plutôt froide, défaillante sur le plan de la tendresse, de l’affection. J’ai été très en colère pendant de longues années, à l’adolescence c’était le pugilat… Notre relation s’est pacifiée tardivement. J’ai compris qu’elle a fait ce qu’elle pouvait, ayant eu elle-même une mère épouvantable, lunatique. Si on réfléchit à mon rapport à la maternité, ça a quand même orienté les choses. J’avais peur de reproduire ça, cette sorte de malédiction. Je ne voulais pas risquer la difficulté et le malentendu d’un tel rapport mère-fille. » 

Mon père ce héros

« Parallèlement, j’étais fusionnelle avec mon père, tellement génial, le mec le plus important de ma vie. Mais c’est un jeu auquel je n’ai jamais gagné, ni face à ma mère, ni avec les autres hommes ensuite, parce qu’aucun n’était à la hauteur du modèle. Ça en dit long des deux côtés. »

Tendre en amitié

« Je n’ai pas pris le contrepied du schéma parental non plus. Ça aurait pu être ça aussi : me créer une immense famille. Alors je n’attribue pas toute la responsabilité de mon choix à mes parents. Le manque de tendresse, peut-être la plus grande blessure de ma vie, j’en ai senti l’impact dans mes amitiés, ce choix de m’entourer de filles très maternelles, très proches de leurs enfants, généreuses, douces. » 

Hédonisme et océan 

« Mes petits plaisirs sont aussi les plus grands ! Je cultive l’hédonisme et cherche le plaisir tout le temps et dans tout. Je vis à mon rythme selon mes envies. Je n’ai pas de comptes à rendre, je n’ai pas à transiger. Je suis une contemplative et la contemplation se vit mieux seule à mon sens. Je vis au bord de la mer. Le seul spectacle de l’océan me rend heureuse. C’est une grande chance. »

Orgasme contemplatif

« Ma plus grande joie solo est aussi mon plus grand moment de solitude. C’était au Cap, en Afrique du Sud, où j’ai vécu quelques années. Un moment suspendu, hors du temps, dans un espace immense vidé de toutes présences humaines sur des centaines de kilomètres, entre montagnes, ciel et océan. En quittant la route je suis arrivée par une piste de sable près d’une petite maison blanche abandonnée au milieu de nulle part. Le silence était total, l’air était chaud et doux, il y avait comme une sorte de petit lac ou lagon et quelques Springboks se baladaient lentement au loin. Rien ni personne d’autre à 360° autour. J’ai eu comme un flash, une décharge de bonheur intense, une sensation unique, orgasmique, une connexion avec l’univers et la nature qui m’entouraient. Je faisais partie d’un tout. Je ne sais pas combien de temps ça a duré mais c’est le plus grand moment de ma vie. Et je ne suis pas persuadée que j’aurais pu le percevoir aussi fort avec qui que ce soit à côté de moi. »

Réhabiliter la solitude

« C’est vraiment le mot qui fait peur à tout le monde. La solitude non choisie, subie, parce que tu as été trahie, c’est la pire des choses. Mais quand on aime être seul, c’est une force immense. Être diagnostiquée HPI à 45 ans m’a fait beaucoup de bien aussi. Ça a levé beaucoup de souffrances et d’incompréhensions, et m’a permis d’éclairer cette connexion que je ressens et recherche avec le monde qui m’entoure. Cette possibilité d’être hyper réceptive aux éléments comme aux arts, aux joies puissantes qu’ils me procurent. »

Libre à tout prix

« Jusqu’à présent j’ai eu la vie que je voulais. Être libre à tout prix : de voyager, de changer de vie, de métier, de langues, d’aller et venir, de ne pas rendre de compte, de ne pas m’enfermer dans une routine, d’aimer plusieurs fois. Et tout ceci m’a semblé très tôt totalement incompatible avec la vie de famille. Petite, à la question, qu’est-ce que tu voudras faire quand tu seras grande, je répondais « partir ailleurs » ça ne s’invente pas !”

Ne pas se projeter

« Je ne me représente pas l’avenir. Aujourd’hui je suis au Portugal, demain je ne sais pas. Par expérience, tout ce que je prévois ne se réalise jamais vraiment. J’espère vieillir comme j’ai vécu, seule et heureuse de l’être avec quelques bons amis autour, au plus près de l’océan, de la nature des arts et de la musique, de la bonne nourriture, du bon vin… »

Un futur menaçant

« Mes inquiétudes actuelles sont davantage liées à la santé fragile de mes parents, je souhaite être là pour eux, ainsi qu’aux enjeux climatiques et sociaux, à la montée de l’extrême droite. Comment ne pas être intranquille dans une époque gouvernée par l’injustice, la violence, l’inégalité des richesses, la destruction des écosystèmes et de la biodiversité… Je me félicite plus que jamais de ne pas avoir eu d’enfants auxquels laisser une planète en déliquescence. Je serais terriblement triste et inquiète pour eux. »

Divorcer et se déployer

 « Les femmes de mon âge ont souvent eu tort de penser qu’elles ne pouvaient pas exister en dehors d’un homme et d’une famille. À la cinquantaine, lorsque je les vois divorcer, elles prennent des ailes et se concentrent sur leurs désirs à elles, comme si elles s’étaient oubliées. Mais je ne peux pas parler au nom des femmes, ni même au nom de celles qui vivent en solo. On a toutes des raisons personnelles d’avoir fait ce choix, quand c’en est un ! En revanche je peux dire que dans mon existence j’ai rencontré de nombreuses femmes, célibataires ou pas, formidables, intelligentes, fortes, courageuses, profondes, complexes, sensibles. Et in fine… peu d’hommes dotés de ces qualités-là. » 

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