Santé

Fêtes de famille : comment Léon Tolstoï peut nous apprendre à y survivre

Voilà enfin Noël qui arrive ! Cette fête tant attendue, synonyme de réjouissances et d’agapes, est aussi parfois l’occasion de malaises : tensions pendant le repas du réveillon, vieille tante acariâtre, beau-frère tête à claques… Autant d’éléments qui peuvent nous faire redouter notre famille. Pour tenter de vivre plus pleinement cet instant, nous nous sommes tournés vers Léon Tolstoï. En effet, le grand, l’immense écrivain russe a écrit, à la fin de « Guerre et Paix », les plus belles pages de la littérature mondiale sur la famille. À travers les exemples de Pierre et Natacha, de Nicolas Rostov et la princesse Marie, il nous fait mieux comprendre, avec son incroyable finesse, la subtile grandeur des rapports familiaux (ce qui est assez rare, ce sujet étant habituellement dédaigné par les écrivains). Comme l’explique l’académicien Dominique Fernandez dans son remarquable ouvrage « Avec Tolstoï » (éd. Grasset), le génie russe est l’écrivain du quotidien, des petits détails, « de la banalité de l’existence, dans ce qu’elle a de positif ou de négatif ». Il en montre toute la beauté, là où Dostoïevski, comme le rappelle Dominique Fernandez, « ne peint que des personnages extrêmes, des possédés, des criminels, des épileptiques… » Aussi l’auteur d’« Anna Karénine » est peut-être l’écrivain qui peut le mieux nous aider à changer notre regard, à gagner en sagesse et à nous faire apprécier vraiment cette période de l’année. Nous avons imaginé quelques situations types de Noël et tenté de les commenter avec son aide et celle de Dominique Fernandez. Bonnes fêtes !

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Ne jugez pas trop durement votre belle-soeur                                            

Le constat Au moment d’ouvrir les cadeaux, votre belle-sœur vous agace. Elle est tout en abnégation, entièrement tournée vers ses enfants, son époux (pas brillant). On dirait qu’elle n’a jamais entendu parler de féminisme. Au secours !            

La solution Voyez-la comme une aventurière qui s’ignore. Car il lui est peut-être arrivé ce qui arrive à Natacha Rostov dans « Guerre et Paix ». Jadis une jeune fille pétillante, drôle, fantasque, celle-ci est devenue une mère de famille installée, possessive, qui ne cherche plus à séduire. Loin de la juger, Tolstoï écrit : « On sait que l’être humain est capable de se laisser entièrement absorber par un objet aussi insignifiant qu’il soit. Et l’objet qui avait complètement accaparé Natacha était sa famille. Et plus profondément elle pénétrait de toute son âme, de tout son être ce monde, plus cet objet grandissait sous ses yeux. » Ainsi Natacha et votre belle-sœur ne se sont pas forcément affadies. Une passion invisible aux yeux des autres s’est emparée d’elles. « Chez Tolstoï, la vie, on la goûte dans ses moindres manifestations, constate Dominique Fernandez. Il a pour lecteurs des hommes et des femmes qui ont vécu et qui savent qu’il faut plus de courage pour s’acquitter de tâches quotidiennes sans éclat que pour tout jeter en l’air dans un accès de rage purificatrice. » Bien dit ! Au fil des pages, Tolstoï, ce chantre du quotidien, nous fait ainsi sentir que l’intensité qui habite une mère de famille pourrait bien égaler celle d’une artiste, d’une aventurière. Et si votre belle-sœur était une héroïne ?

Remettez votre cousin moralisateur à sa place                                               

Le constat À table, lors du réveillon, votre cousin écolo radical critique vertement McDonald’s et ceux qui s’y rendent. Il vante sa propre attitude, qui consiste à manger végan, à se déplacer à bicyclette, à faire son compost, etc. Vous vous sentez un peu coupable et nulle face à ce parangon de vertu.              

La solution Ne vous laissez pas impressionner par ce Monsieur Parfait ! Tolstoï avait la dent assez dure contre ceux qui se posent en modèles et assènent leur vérité aux autres. En effet, pour lui, nos pensées, nos « valeurs » ne sont que le reflet d’impulsions inconscientes. Ou, pour le dire autrement, nous ne choisissons pas nos « valeurs » après une réflexion approfondie. Non, nous allons spontanément vers certaines idées, certains modes de vie, et ensuite nous nous persuadons que c’est le meilleur système. Comme le dit Tolstoï, cité par Dominique Fernandez : « J’ai la passion de la terre. J’acquiers de la terre et toute une série de raisonnements se compose en moi et me démontre que c’est indispensable dans la vie. » Ainsi votre cousin, par son éducation, par son parcours, par son caractère a été attiré par le mode de vie écolo et végan (grand bien lui fasse). Du coup, il en a tiré une théorie comme quoi c’est le seul mode de vie valable. Mais il n’a pas à vous faire la morale.

Oubliez vos a priori sur Noël                                              

Le constat Vous n’avez jamais vraiment aimé Noël. Cette débauche de cadeaux, ces réunions en famille… Tout cela vous semble un peu faux, doucereux, théâtral. Comment cette année arriver à supporter les fêtes ?                                                                                      

La solution Apprenez à voir différemment le monde afin de le savourer (un peu). Nombre de personnages de Tolstoï opèrent, à un moment de leur vie, un changement et se mettent à regarder avec bienveillance la réalité. Ainsi Pierre Bézoukhov, à la fin de « Guerre et Paix », subit une vraie métamorphose. Lui, si tourmenté, si critique des autres, apprend à se satisfaire des choses simples. « Ah comme c’est bien, comme c’est merveilleux, se disait-il, quand on lui avançait une table bien servie avec un bouillon odorant. Cela même qui le torturait autrefois n’existait plus pour lui. Il avait appris à voir la grandeur, l’éternité, l’infini en tout. Il contemplait autour de lui la vie perpétuellement changeante, toujours grande, incompréhensible… » Cette transformation fait écho à ce qu’a connu l’écrivain. Comme le raconte Dominique Fernandez : « En pleine gloire, saisi d’un doute profond sur le sens de la vie et la valeur de son œuvre, Toltoï, ce riche aristocrate, rompt avec sa classe, avec son passé et cherche le salut dans la méditation religieuse et la communion avec les paysans. » Sans aller jusque-là, une attitude un peu plus humble pourrait vous apprendre à kiffer ce repas de Noël !

Redécouvrez votre conjoint                                              

Le constat Vous êtes un peu lassée de votre moitié. Ses blagues éculées, son numéro de charme, son stress à l’idée d’organiser le réveillon… Tout cela vous fatigue. Il n’est pas méchant, mais il vous use.             

La solution Et si vous vous souveniez de l’impalpable entente qui perdure, malgré tout, entre vous ? Il y a peut-être chez Tolstoï les plus remarquables pages sur la compréhension qui existe entre une femme et un homme. Ainsi, dans « Guerre et Paix », évoquant Natacha et son mari Pierre, il écrit ces lignes : « Natacha parlait avec Pierre comme on ne parle qu’avec son mari, c’est-à-dire en se comprenant l’un l’autre avec une clarté et une rapidité extrêmes, les pensées se communiquant par une voie contraire à toutes les règles de la logique… » Plus loin, Natacha regarde avec joie son époux expliquer quelque chose à un convive : « Elle ne s’intéressait pas à ce qu’il disait parce qu’il lui semblait que tout était extrêmement simple et qu’elle savait tout cela depuis longtemps (car elle connaissait toute l’âme de Pierre). » Ces lignes que Tolstoï a écrites sont d’autant plus fascinantes que son mariage avec Sophie a été un combat perpétuel pendant quarante-huit années (et treize enfants). Comme le rappelle Dominique Fernandez : ils ont connu « l’enfer d’un couple, quand les deux partenaires tout en ne pouvant se passer l’un de l’autre sont trop dissemblables pour se supporter… Tolstoï prêchait la chasteté et se conduisait au lit comme un bouc, prônait la pauvreté et la laissait, elle, gérer les problèmes financiers du ménage… ». Mieux vaut donc prendre en exemple les livres de Tolstoï plutôt que sa vie.

Écoutez votre vieille tante acariâtre                                                                                                     

Le constat Aïe, catastrophe ! Le plan de table, cette année, a fait que vous vous trouvez assise à côté d’une vieille tante ennuyeuse. Le genre à vous expliquer longuement comment elle a fait refaire sa véranda. Comment sortir de cet enfer ?

La solution Acceptez le caractère de votre tante, sans vouloir la changer, et elle se métamorphosera (en bien) ! Au sujet, encore une fois, du personnage de Pierre (le double de l’écrivain), Tolstoï nous explique : « Pierre montrait un nouveau trait de caractère qui lui valait les bonnes dispositions de tous : il reconnaissait à chacun le droit de penser, de sentir et de considérer les choses à sa façon, et qu’il était impossible de convaincre quelqu’un par des discours. Il admettait comme légitime la singularité des individus, laquelle auparavant le troublait et l’irritait. » Pierre obtient ainsi de bons résultats : une parente à lui, agressive et brutale, s’adoucit et « lui laissa voir les bons côtés de sa nature ». Comme le rappelle Dominique Fernandez, cette approche renvoie à l’approche de Tolstoï romancier, qui s’interdit de juger les gens : « L’écrivain observe et se limite à observer. Son œuvre est une description du monde, du monde matériel et du monde moral. Il décrit, du même pas tranquille qui l’emmenait au loin dans les profondeurs boisées de son domaine. » Adoptez ce regard neutre, et votre tante sera charmante !

Prenez votre Noël comme il est                                                  

Le constat Vous vous en voulez de ne pas avoir acheté assez de cadeaux ? Vous vous maudissez de ne pas avoir organisé un plus beau Noël ? Rien d’anormal. Les fêtes sont aussi un moment de stress où l’on se met la pression. Comment se détendre ?             

La solution Admettez que vous n’auriez pas pu faire autrement et vous serez gagnée par la sérénité. Tolstoï ne cesse de le répéter dans « Guerre et Paix » : nous ne sommes pas libres d’agir à notre guise. Même Napoléon ou Alexandre 1er, ces géants de l’Histoire, n’avaient aucune marge de manœuvre. Comme nous, ils étaient entièrement conditionnés, déterminés par les événements, par leur enfance, leur parcours… Bref, le libre arbitre, pour Tolstoï, n’existe pas. Dominique Fernandez explique que l’écrivain était très marqué par la vieille mentalité russe issue du peuple : « La conviction qu’il est inutile d’agir, que les hommes sont voués au néant et que prétendre diriger quoi que ce soit serait faire preuve d’une folle vanité. Les événements s’accomplissent comme ils doivent s’accomplir, indépendamment de la volonté et du pouvoir humains. » Appliqué à Noël, ce concept est assez reposant : nous n’avons plus de reproches à nous faire (quel soulagement !). Nous ne pouvions agir que comme nous avons agi. Qu’importe alors si cette dinde trop cuite est un petit Waterloo. Champagne !                                            

Dominique Fernandez sortira le 11 janvier un livre passionnant et original, « Le Roman soviétique, un continent à découvrir » (éd. Grasset).

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