Santé

« J’ai testé la digital detox » : Alix Girod de l’Ain raconte sa semaine sans smartphone

« Vous avez passé 3 h 48 par jour en moyenne cette semaine sur cet appareil ». C’est ce message qui a tout déclenché. En plus, juste après, il y avait des félicitations : « C’est 11 % de moins que la semaine dernière ! ». La honte. D’autant que j’ai la sale réputation – méritée – de ne jamais téléphoner à personne. Tout ce temps, c’est 10 % de messages du boulot, 15 % d’alertes infos (le plus souvent « 10 choses que vous ignoriez sur les Sagittaires »), 35 % de groupes WhatsApp avec des noms kitsch (« familylove »), et je préfère ne pas calculer combien de temps de rêvasserie sur les réseaux sociaux ou de lignes de bonbons explosées dans le métro. Et si j’essayais de m’en passer, pendant une semaine ? Si je me concentrais sur des choses importantes, comme écrire enfin un foisonnant roman russe ? C’est parti pour un test de l’extrême.

Lundi

Avant tout de chose, préparer ma détox. Arrêter le smartphone, ce n’est pas comme arrêter la clope ou le Gin-to, ça ne dépend pas que de moi. Il faut que je prévienne tout le monde de ce silence à venir, sans ça on va croire que je suis morte ou pire, mal polie. Je crée donc un groupe WhatsApp avec tous mes contacts, soit 512 personnes, en leur demandant de m’envoyer un mail ou de m’appeler sur mon fixe (« dont j’ai oublié le numéro, mais vous l’avez sans doute ») en cas d’urgence. Sur les 512, 425 quittent immédiatement le groupe et 72 environ me demandent qui je suis, dont quelqu’un avec qui j’ai couché, au XXe siècle certes mais c’est quand même rude pour mon estime. Seules les attachées de presse me répondent avec des pouces en l’air, les choupinettes. Après, j’exhume mon vieux répertoire de téléphone, histoire de ne pas devoir écrire à la main les numéros dont j’aurai besoin cette semaine. Aïe. Certains commencent par TRO (cadéro), généralement associés à des membres de ma famille morts avant la fin de la guerre froide. Bon, je ne vais pas y couper, je commence à recopier les contacts les plus importants. Au bout d’un long, très long moment (qui est vraiment capital dans ma vie ? c’est vertigineux), mon fils m’informe que tous ces numéros sont en double dans mon ordinateur, il suffit de taper « contact » dans la barre de recherche. Je réponds juste « Gnagnagna monsieur je sais tout ! ». Après, je passe un peu de temps sur Instagram pour être bien à jour avant ma diète numérique (j’ai l’impression que c’est grossier, de ne jamais regarder ce que les copains postent) et après avoir pris la température du monde (tiens, il fait 6 °C à Ushuaia), je finis sur « localiser », histoire de vérifier que tous les membres de ma famille sont bien au chaud, à Paris. Rien à voir avec une perte de temps, donc. Le soir, je regarde combien de minutes j’ai passé sur mon smartphone dans la journée : 5 h 47. C’est chronophage, quand même, une détox numérique. J’éteins mon appareil puis je demande à mon mari de le cacher à un endroit connu de lui seul. Direction dodo, sans rien scroller avant de fermer les yeux. Eh bien vous savez quoi ? Ça ne me manque pas du tout.

Mardi

Sans le réveil du portable, j’ouvre un œil à 8 h 25, trop tard pour la gym de 8 h 30. Tant pis, je paierai la séance que je dois, mais pas via l’application Lydia, puisque je ne l’ai plus non plus. Pff. Faute de news sur le mobile, je mets la télé sur les chaînes infos afin de préparer la conférence de rédaction de 10 h 30, et ce grand écran allumé en plein jour me donne une chouette impression d’Ehpad. Déjà, il est temps de filer au journal. Dans le métro, j’ai pris un livre mais tous ces gens aux visages penchés vers leurs petits appareils me donnent des distractions. Pauvres, pauvres addicts ! Je suis fière de moi, à peine perturbée par le fait que je n’ai aucun moyen de savoir si mon record sur Ruzzle a été battu, ni si Leonardo di Caprio a retrouvé l’amour ni s’il va pleuvoir quand je sortirai à Pont de Levallois. Le reste de la journée se passe bien, si ce n’est que je fouille sans arrêt mon sac en cherchant quelque chose avant de me dire « Arrête, pauvre cloche » et de ressentir une forme de tristesse bizarre.

Mercredi

Tout va bien, malgré une insomnie que je n’ai pas pu combattre avec ma routine habituelle – fumer une clope en dansant seule dans le noir sur des musiques déprimantes – car pour des raisons que j’ignore, Spotify ne se lance pas sur notre enceinte depuis mon ordinateur. Pas grave, je remplace Leonard Cohen par un petit fond de Cognac. Dans la journée, je réinstalle notre vieux téléphone fixe, que j’avais dégagé en 2009 pour qu’on arrête d’essayer de me vendre des fenêtres. C’est bête parce qu’aujourd’hui, j’ai besoin de changer au moins deux fenêtres chez moi mais on ne m’appelle plus, je dois être fichée S chez les télévendeurs. Assez vite je touche du doigt les limites du filaire en 2022 : absolument personne ne décroche à mes appels, de peur de se voir proposer un compte formation, j’imagine. Je laisse bien des messages vocaux, mais qui les écoute, de nos jours ? Même les attachées de presse ont arrêté, les choupinettes. Dans la journée, je n’arrive à joindre que ma mère, qui décroche en me demandant qui est mort, pour qu’on la dérange devant « Questions pour un Champion ». C’est vrai que l’heure ne s’affiche pas, sur un fixe, je n’avais pas fait gaffe. Après une avoinée bien méritée, je fouille ma mémoire pour me rappeler si on sort, ce soir. Oui, je crois bien qu’on doit dîner chez les B., j’en demande confirmation à Didier, mais il me regarde avec ses beaux yeux agrandis d’horreur, qu’est-ce qu’il en sait ? Je me fais la réflexion que les épouses G.O. comme moi, sont en quelque sorte les smartphones sur pattes de leurs mecs. Mais du coup, la fin de soirée est très détente pour moi. Comme je ne peux ni commander un Uber, ni un scooter électrique, ni une trottinette, ni appeler en bas de l’immeuble de nos amis pour avoir le code, je laisse Didier tout faire. Impression d’être une enfant. Ou un mari, donc.

Jeudi

Fierté du matin : j’ai résisté à l’appel de la délinquance, en ne piquant pas le smartphone de Didier pendant qu’il était sous la douche. C’est à peine si j’ai regardé, en biais dans le lit, quand il a fait défiler ses alertes au réveil. Je me sens libre, et forte, même si mon expérience comporte des mini-bémols : sans les applications Frichti et Epicery, j’ai dû faire les courses de bouffe moi-même. Bizarre de devoir attendre à une caisse, de porter moi-même des sacs de légumes au quatrième étage, mais je me dis que ça compensera toute cette gym que je loupe depuis que je n’ai plus d’alertes. Hier, j’ai interviewé une célébrité, sans pouvoir l’enregistrer évidemment – mon vieux magnéto qui pèse 800 g n’a plus de piles – mais ça n’a aucune importance, ça m’a permis de prendre des notes à la main, ça fait si longtemps que je n’avais pas vu ma propre écriture ! Non, vraiment, je ne vois que des avantages à cette vie sans smartphone. Envolée, cette terreur que mon correcteur automatique envoie des messages pornos de ma part à mes chefs (souvenir d’un « après 25 ans de bite, manquerait plus que je ne maîtrise pas le métier ! ») Finie, la fameuse FOMO (fear of missing out soit la peur de manquer quelque chose), à tel point que j’ai décidé de corser l’expérience en éteignant la box à la maison. Plus d’internet, plus de télé et alors ? No news is good news ! Je m’endors après avoir lu deux pages d’un foisonnant roman russe, en plaignant les gens d’être accros aux fumerolles de l’air de temps et à la dictature de l’actu.

Vendredi

Ma mère m’appelle sur mon fixe dès potron-minet. Aïe. Il semblerait que la reine d’Angleterre soit morte hier. Ce ne m’étonnerait pas que le journal ait un tout petit peu cherché à me joindre. Je fonce chercher mon portable que Didier avait caché, comme prévu, dans les croquettes du chien. Et là, bon, c’est l’enfer, pardon, la vie qui reprend.

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