Santé

« J’en ai beaucoup voulu à mon mari » : comment prendre soin de son couple après une fausse couche ?

La perte d’un bébé en début de grossesse peut chambouler une relation. Le 8 mars 2023, l’Assemblée nationale a voté en faveur de la proposition de loi déposée par la députée Sandrine Josso, pour un meilleur accompagnement des femmes victimes de fausses couches. Une avancée qui devrait également aider les couples dans cette période de deuil. Parce qu’une fausse couche – interruption spontanée de la gestation qui survient au cours des cinq premiers mois – peut renforcer un couple, mais aussi le fragiliser. Selon un rapport publié par la revue médicale « The Lancet » en 2021, 23 millions de fausses couches se produisent chaque année dans le monde, soit environ 15% des grossesses. Et d’après une enquête réalisée par des chercheurs américains, publiée dans la revue « National Library of Medicine » en 2010, les femmes ayant vécu une fausse couche ont un risque significativement plus élevé que leur couple se sépare. 

Emma*, 30 ans, a découvert qu’elle était enceinte en septembre 2022, quelques jours après son mariage. Très heureuse à l’idée de devenir maman pour la seconde fois, elle l’a alors annoncé à une partie de son entourage. Mais tout a basculé à son retour de voyage de noces, quand elle a appris que le cœur de son bébé s’était arrêté. « Mon monde s’est écroulé, je ne comprenais pas », confie la jeune femme. « Mon mari, lui, exprimait peu ses émotions. Plusieurs fois, entre deux coups de mou, je lui ai demandé comment il allait. Il m’a répondu qu’il était triste, mais ne s’étendait pas sur le sujet. » Un fossé s’est rapidement creusé au sein du couple.  

« Un peu plus tard, mon conjoint a pris la liberté d’annoncer à une personne plus ou moins proche que j’avais fait une fausse couche. Ça a remué le couteau dans la plaie », poursuit Emma, qui a ensuite subi des complications. « Je saignais beaucoup. Malgré mes douleurs, mon mari m’a laissée à la maison, en me disant qu’il avait besoin de penser à autre chose. J’ai fini aux urgences, et je lui en ai beaucoup voulu d’avoir pris ça à la légère. » 

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Déculpabiliser les femmes 

Ce décalage de perception et de vécu est très fréquent, notamment au sein des relations hétérosexuelles. C’est ce que constate Christine Krautter, conseillère conjugale et familiale, et vice-présidente de l’association Agapa, qui accompagne les personnes touchées par une interruption de grossesse ou un deuil périnatal. Pour cause, « la femme vit la grossesse, avec les symptômes qui l’accompagnent, puis la perte dans sa chair. Le deuxième futur parent peut se sentir démuni, ne sachant pas comment accompagner sa compagne », explique la spécialiste. « Les femmes victimes de fausse couche ont souvent le sentiment d’être seules à vivre ça. Il n’y a généralement pas beaucoup de partage dans le couple à ce moment-là, ni de projections communes. Les femmes qui souffrent ont parfois du mal à le partager avec leur conjoint·e. » 

C’est également ce qu’a traversé Margaux, 31 ans. En couple depuis trois ans, la jeune femme a arrêté son contraceptif en mars 2022, dans le but de tomber enceinte. Son souhait s’est réalisé deux mois après, mais le fœtus s’est envolé au bout de trois mois de grossesse. « Je ne me suis pas tellement sentie soutenue par mon conjoint, parce que lui avait commencé le travail de deuil avant moi, lorsque la gynécologue nous a annoncé qu’il y avait un risque de fausse couche. Ça l’a affecté, mais il s’en est remis plus vite. » Deux mois plus tard, Margaux a subi une deuxième fausse couche, sans savoir qu’elle était enceinte. Là encore, la jeune femme s’est sentie très seule. « Quand je suis allée à l’hôpital pour évacuer les débris, mon conjoint est resté au travail, pensant que ses réunions étaient plus importantes », livre-t-elle. Progressivement, une distance s’est installée entre eux. « J’ai acheté des livres sur la fausse couche, il les a vus mais ne m’en a jamais parlé. Quand je lui disais que j’avais rangé les affaires qu’on nous avait offertes, il changeait de sujet », poursuit Margaux. « Je me suis beaucoup interrogée sur notre relation. » 

« Je n’ai pas osé en parler à mon conjoint, et me suis retrouvée complètement seule » 

Une omerta qui a bien failli fissurer leur couple. « Chacun se renseignait de son côté sur Internet, mais nous n’en discutions pas ensemble », poursuit Margaux. Et ce manque de communication n’est pas rare dans ce genre de situation. « Pour les pères, le début de grossesse est quelque chose d’assez abstrait. Quand ça s’arrête, ils peuvent se dire que c’est un accident de parcours, mais que ça recommencera. Le discours que les femmes entendent déjà beaucoup autour d’elles, notamment par les médecins », souligne Christine Krautter. « Chez la sage-femme ou à l’hôpital, on m’a répété plusieurs fois “ce n’est pas grave, ça arrive à plein de femmes, la prochaine fois ça ira”, confirme Margaux. Je pense qu’inconsciemment, les professionnels de santé m’ont mis une pression sur le deuil, et je me suis dit que ma tristesse n’était pas légitime. » Une culpabilisation qui l’a terrée dans le silence. « Par effet boule de neige, je n’ai plus osé en parler à mon conjoint, et me suis retrouvée complètement seule. » 

Après trois mois de tabou autour de ces deux fausses couches, les non-dits entre Margaux et son conjoint ont fini par éclater. « Nous étions au restaurant avec des amis, il a eu une remarque qui ne m’a pas plu, et sur le retour, je lui ai déballé tout ce que je ressentais. Nous avons discuté pendant trois heures, et j’ai compris que son comportement était une façon pour lui de fuir la situation. En fait, il était plus affecté que ce que je pensais. Quand il m’a laissée seule à l’hôpital, c’est qu’il ne se sentait pas prêt à voir un gynéco retirer, avec une pince, tout ce qui restait de notre espoir », rapporte-t-elle. « Cette conversation nous a apaisés, et a tout remis sur les rails. » Et les futurs parents attendent un heureux événement : « Aujourd’hui, notre relation va très bien. Je suis enceinte de dix semaines, nous sommes beaucoup plus sereins. » 

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Libérer ses émotions 

Après une interruption accidentelle de grossesse, le partenaire a tendance à intérioriser ses émotions. « Beaucoup d’entre eux vont réagir en voulant soutenir leur femme, en étant peut-être moins à l’écoute de ce que ça provoque en eux », observe Christine Krautter. Amélie, 39 ans, essayait d’avoir un second enfant depuis plus d’un an, lorsqu’elle a subi sa première fausse couche en avril 2021, à quatre semaines d’aménorrhée. Une épreuve douloureuse, qui s’est répétée neuf mois plus tard. « Lors de la première échographie, tout allait bien. J’ai entendu le petit cœur de mon bébé », se souvient cette femme mariée depuis 20 ans. À l’occasion des fêtes de fin d’année, Amélie et son mari ont annoncé la bonne nouvelle à leur famille et leurs amis. Puis, début janvier 2022, ils se sont rendus tous les deux à l’hôpital pour la deuxième échographie. Le petit cœur ne battait plus.  

« Mon mari et moi l’avons vécu différemment. Il ne se sentait pas légitime d’avoir la même tristesse que moi, du fait de ne pas avoir porté le bébé. Je lui ai dit qu’il avait autant le droit que moi d’éprouver du chagrin, et qu’il fallait extérioriser. Ça lui a fait du bien que je lui dise ça, et nous avons beaucoup discuté par la suite. »  

Christine Krautter conseille en effet de se confier sur ses ressentis avant que tout n’explose. « Il est important de pouvoir partager ses émotions, pouvoir dire à l’autre ses besoins, ne pas rester chacun avec ses ressentis, et ne pas s’enfermer dans ce silence ou ce malentendu », insiste l’experte. « Il faut pouvoir dialoguer au sens fort du terme, et ne pas laisser les non-dits sous le tapis. Sinon, on risque de s’enfermer dans les incompréhensions et les jugements, et ça peut détruire la relation. » 

« Il ne faut pas écarter le papa dans le deuil » 

Amélie et son mari ont su s’écouter et se soutenir, pour ressortir plus forts de cette épreuve extrêmement douloureuse. « La fausse couche, on l’a vraiment vécue ensemble. Quand je me tordais de douleurs, mon mari me tenait dans ses bras. Ça a été mon pilier et, sans lui, je ne me serais jamais relevée », déclare-t-elle, avant d’ajouter : « Je pense qu’il ne faut pas écarter le papa dans ce deuil, parce que lui aussi perd un enfant. Il est important de l’inclure dans ce qu’on vit, et de se reposer sur lui quand on a des douleurs ou qu’on est triste. » Plus d’un an après cette deuxième fausse couche, Amélie et son mari ont retrouvé le sourire. « On s’est lancés dans un nouveau projet, celui de devenir famille d’accueil. Agrandir notre famille d’une autre manière, sans prendre de risque pour ma santé. » 

« Ses mots ont été indispensables pour surmonter cette épreuve » 

Comme dans toute relation, quel que soit le motif de la crise, la communication reste la clé. Sabine, 37 ans, était mariée depuis trois mois quand elle a fait une première fausse couche en novembre 2021, à quatre semaines d’aménorrhée. « J’ai perdu du sang, et les douleurs sont allées crescendo. Aux urgences, je ne tenais même pas assise. Malgré les anti-douleurs, mon corps se cabrait, j’avais des spasmes et mes jambes tressaillaient », se souvient-elle. Sabine et son conjoint ont surmonté cette épreuve ensemble, main dans la main. « Je me suis sentie totalement soutenue par mon époux. Lors de mon arrêt de travail, il a aménagé son emploi du temps au travail pour venir à la maison déjeuner à mes côtés, même si je ne mangeais rien, ou pour rentrer plus tôt le soir. J’ai trouvé son attitude très protectrice, et mon amour pour lui a grandi davantage », confie-t-elle. Plus d’un an après, en février 2023, Sabine est retombée enceinte, avant de perdre à nouveau son bébé. Une deuxième fausse couche bien plus difficile à surmonter psychologiquement. « La fausse couche a été une vraie torture mentale. Là encore, les mots de mon époux ont été indispensables pour traverser cette épreuve. Notre couple s’est solidifié, grâce à nos valeurs communes et à notre communication. Mes fausses couches lui ont permis de mieux comprendre la femme, le cycle féminin ainsi que le processus de la grossesse. »   

Christine Krautter recommande également aux couples de se tourner vers des proches de confiance, ou des professionnels après une fausse couche. « Les femmes peuvent aussi partager avec d’autres femmes, par le biais d’associations et de groupes de paroles, pour voir qu’elles ne sont pas seules, et qu’elles sont légitimes dans leur souffrance », ajoute-t-elle. L’association Agapa, notamment, organise des cafés rencontres pour échanger sur son vécu. « Il est aussi possible d’y participer en couple, pour exprimer et partager ses émotions. » 

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