Santé

La question psy : « Je m’inquiète en permanence pour mes proches, comment lâcher prise ? »

« Bonjour Docteur, 

J’ai besoin de vous parler de ces angoisses qui me rongent depuis des années. Tout a commencé à l’adolescence. Dans mon groupe de copines, on avait toutes un rôle défini. Moi, j’étais très maternante. En soirée, je ne buvais pas d’alcool, j’avais tendance à raisonner et surveiller mes amies. Quand elles n’allaient pas bien, c’est vers moi qu’elles se tournaient. Mais ce rôle de « maman » me joue des tours, encore aujourd’hui.  

Je me fais sans cesse du souci pour mon entourage, aussi bien dans mon cercle amical que familial, amoureux ou professionnel. Si l’un·e de mes proches ne me répond pas dans l’immédiat au téléphone, je m’imagine automatiquement des scénarios catastrophe : « Il y a eu un accident  », « Il est malade. » Ces inquiétudes me causent beaucoup de stress : sur le moment, j’ai le cœur qui palpite, la boule au ventre, des sueurs froides. 

Avec ma mère, mon compagnon ou les personnes avec qui je ne crains pas de passer pour une détraquée, je n’hésite pas à les appeler 30 fois d’affilée jusqu’à obtenir une réponse. Quand j’ai enfin de leurs nouvelles, je m’emporte : « Tu ne te rends pas compte ? Ça fait des heures que j’attends que tu me répondes, je me suis fait des films ! » Je m’inquiète aussi pour mes petits neveux et nièces. En fait, je me dis que j’ai beaucoup de chance de les avoir, mais que ça ne tient qu’à un fil. De manière générale, je veux montrer à mes proches que je suis là et qu’ils peuvent compter sur moi si ça ne va pas. Mais j’ai aussi besoin qu’on me rassure. »  

« Chère Chloé,  

Ce que vous décrivez est très évocateur du trouble anxieux généralisé, mais il faudrait examiner d’autres critères pour poser un diagnostic. Quoi qu’il en soit, ces inquiétudes excessives et difficiles à contrôler sont l’une des caractéristiques principales du trouble anxieux, et concernent une grande partie de la population. 

Cette forme d’anxiété n’a pas de cause unique. La combinaison des facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux, peut engendrer le développement d’un trouble anxieux, ou des inquiétudes. Lorsqu’un proche ne vous répond pas, vous vous imaginez les pires scénarios. C’est la réaction typique des personnes anxieuses : se focaliser sur ce qui pourrait être annonciateur d’une menace, et foncer tête baissée sur l’interprétation la plus angoissante, en faisant fi de tout le reste. 

Plusieurs schémas psychologiques peuvent expliquer cette forme d’anxiété, qui semble vous peser au quotidien. Peut-être avez-vous déjà entendu parler de l’intolérance à l’incertitude ? Cette tendance à considérer comme inacceptable la possibilité qu’un événement négatif puisse se produire, malgré sa très faible probabilité. Pour essayer de vous rassurer, vous cherchez à savoir que tout va bien se passer, avant même qu’il se produise quoi que ce soit. 

Il y a aussi la croyance selon laquelle il serait utile de s’inquiéter. ‘Si je m’inquiète, je vais pouvoir tout prévoir, ou empêcher que des mauvaises choses se produisent.’ Ce schéma est aussi une manière de montrer que vous êtes une personne qui se soucie des autres, et qui est attentive aux autres.  

Autre type de pensée qui peut se manifester : l’attitude négative face au problème. C’est la tendance à dramatiser les problèmes, alors que ce sont juste des événements désagréables. Il y a une différence entre une adversité et une catastrophe. 

Quelle que soit votre mécanique psychologique, sachez qu’il est impossible de se rassurer parfaitement, parce que la malchance est imprévisible. Ce n’est pas contrôlable. La bonne question à vous poser serait : ‘comment ne pas gâcher mon bonheur par peur de le voir partir ?’ Embrassez vos émotions qui sont cohérentes avec la réalité, et essayez de mettre vos énergies au bon endroit. 

Pour y parvenir, je vous conseille la stratégie de présence, d’acceptation et d’engagement. Vous pouvez par exemple vous poser cette question : ‘sachant que la réalité est comme elle est, que puis-je faire d’utile pour aller dans la bonne direction ?’ 

Lorsque vous êtes sans nouvelles de votre maman, de votre compagnon ou d’une amie, observez ce qu’il se passe concrètement : quelle est la part de réalité, et quelle est la part de votre pensée ? Faites ensuite la part des choses entre ce sur quoi vous pouvez agir, et la manière dont il faut le faire. Si vous tentez de contrôler l’incontrôlable, non seulement les choses arriveront si elles doivent arriver, mais vous dépenserez aussi beaucoup trop d’énergie ! Comprenez que dans de nombreuses situations, soit on fait avec et c’est compliqué, soit un le refuse et c’est encore pire, mais l’option où l’on se sent parfaitement bien et où tout est merveilleux, n’existe pas.  

Vous avez parfaitement raison de penser que le bonheur est éphémère, parce que c’est vrai ! Les gens qu’on aime disparaîtront peut-être un jour, ou souffriront peut-être d’une maladie, qui sera peut-être grave. Le problème, ce n’est pas de ressentir des émotions face à cette éventualité, mais plutôt de chercher en permanence à les contrôler. Acceptez ce sur quoi vous ne pouvez pas agir, acceptez le fait d’être remuée émotionnellement, et essayez de mettre votre énergie et votre attention là où ça a un sens de les mettre. C’est-à-dire, dans le fait de passer des bons moments avec vos proches.  

Finalement, le fait de chercher en permanence à avoir un feedback de votre mère, votre conjoint, vos ami·es, vos collègues, empêche-t-il le malheur d’arriver ? Est-ce vraiment ‘utile’ d’agir ainsi ? Vous pourriez aussi vous demander si le caractère excessif de ce comportement, n’est pas en train d’abîmer ce qui est le plus précieux à vos yeux : la relation avec vos proches. Finalement, je vous conseille d’accepter d’être parfois anxieuse, et de faire ce qu’il y a de mieux pour aller dans la bonne direction.  

Pratiquer du sport, non pas pour anesthésier vos émotions, mais en étant dans une logique de bien-être, peut être une bonne alternative. En agissant ainsi, vous apprendrez progressivement à apprivoiser le fait d’être parfois anxieuse, à faire avec, et à dépasser ces émotions négatives, pour sortir des cercles vicieux. 

La méditation aussi, peut être une source extrêmement intéressante, comme travail de fond. (Attention à ne pas la pratiquer lorsque vous êtes complètement angoissée). C’est un bon moyen pour apprendre à stabiliser intentionnellement ce qu’il se passe ici et maintenant, être au contact de l’expérience, de vos émotions, sans forcément chercher à les contrôler ni à y échapper. Savoir qu’avec vos émotions, il est possible d’avancer et cheminer. » 

François Bourgognon, psychiatre et auteur de « Nuances » (éditions First), à paraître le 9 mars 2023. 

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