Le guide sexo : À bas les stéréotypes pour une vie sexuelle épanouie à la ménopause

Pour écrire les articles de ce guide sexo, j’ai mon rituel. Je commence par me faire une chicorée, puis je pose les deux kilos et demi de mon manuel de « Médecine sexuelle » sur mon bureau, et je me documente sur mon sujet. Cette semaine, j’étais partie pour écrire sur la ménopause. J’ai donc ouvert mon bouquin au chapitre dit… Mais là, en tournant ses pages pleines d’ « hypo-œstrogénie » et de « bouffées vasomotrices »… je n’ai pas ressenti la joie et la fascination habituelles à la perspective de m’approprier toutes ces connaissances. Au contraire, je me suis dit : c’est stop.

L’âge n’est pas une maladie !

Pourtant, connaître et comprendre son corps, je suis pour ! Dans la lignée des féministes nord-américaines qui ont écrit « Notre corps, nous-mêmes », je suis convaincue que la connaissance de notre anatomie et de notre physiologie est source d’empouvoirement. Mais pour autant, je n’ai pas envie d’aller dans le sens de la pathologisation de nos corps de femmes. Je vous donne un exemple : je trouve important de décrire l’anatomie du clitoris, car elle est encore trop peu enseignée, que ce soit à l’école ou à la fac de médecine (à ce sujet, le combat de l’activiste Jessica Pin est éclairant) – et cette lacune est dommageable pour notre santé sexuelle.

En revanche, quand on s’intéresse à la sexualité féminine après cinquante ans, c’est tout l’inverse, on ne tombe plus que sur des informations… médicales. Est-ce un souci ? Pour moi, oui. Car vue avec des lunettes médicales, la ménopause n’est pas une transformation normale liée au vieillissement ; elle devient une « carence hormonale », une « défaillance endocrinienne », un bouleversement qui altère notre qualité de vie… engendre des risques, et peut entraîner des problèmes de santé.

Un traitement médiatique angoissant

Dans son livre « La fabrique de la ménopause », publié aux éditions du CNRS, la chercheuse en sciences sociales Cécile Charlap montre à quel point, pour les médecins comme dans les médias, le vieillissement féminin est associé aux « troubles », aux « risques », à la « pathologie ». Eh bien, merci pour les perspectives réjouissantes ! De phénomène naturel, notre avancée en âge s’est métamorphosée en maladie qu’il faut traiter. Évidemment, ce discours alarmiste provoque des anxiétés dont on se passerait bien.

Cette angoisse que crée la pathologisation du corps féminin a été étudiée par une autre brillante chercheuse en sciences sociales, Aurore Koechlin. Dans son ouvrage « La norme gynécologique, ce que la médecine fait au corps des femmes », elle note que le suivi gynécologique peut provoquer une inquiétude diffuse chez les femmes, surtout à partir de la ménopause, lorsque les dépistages sont plus fréquents : « le risque colonise l’ensemble du corps, qui devient un corps défaillant, un corps faillible, un corps qui va forcément faillir. Le suivi gynécologique impose aux patientes de vivre avec le risque au quotidien. »

La fin des menstruations est un heureux événement

Heureusement, Cécile Charlap nous offre un changement de lorgnette (en même temps qu’une jolie possibilité d’évasion) en évoquant les nombreuses sociétés non occidentales pour qui la fin des menstruations est un heureux événement : la ménopause peut y représenter une prise de pouvoir, une ouverture du champ des possibles, l’avènement d’une sexualité enfin libérée de la fertilité… Elle cite l’exemple des Baruyas en Nouvelle Guinée, ou encore des Beti au Cameroun : les femmes qui n’ont plus de règles y ont un statut social plus valorisé que celui des femmes fertiles, qui les rapproche de celui des hommes.

Cécile Charlap évoque aussi ces sociétés pour qui la ménopause est carrément… un non-événement. Ainsi, dans la langue japonaise traditionnelle ou encore dans la langue maya, il n’existe pas de mot pour la désigner ! Ces cultures parlent du vieillissement sans qu’il soit fait de distinction entre les hommes et les femmes. Pour les Japonaises, le blanchissement des cheveux ou les douleurs corporelles – que vivent tous les individus quel que soit leur sexe – sont des phénomènes corporels bien plus signifiants que l’arrêt des menstruations.

Libido en berne. La faute aux hormones… ou aux hommes ?

Retour en France. Dans le contexte médicalisé et anxiogène qui est le nôtre, il peut s’avérer difficile d’avoir la libido guillerette quand on passe le cap de la cinquantaine… La psychanalyste Catherine Grangeard a dédié un livre, « Il n’y a pas d’âge pour jouir », à la sexualité féminine de celles qu’on appelle les « seniors ». Un terme qui la fait bondir : « Comment une femme peut devenir senior ? Devenir « Monsieur », en espagnol ! C’est ahurissant. Donc à un certain âge, on n’est plus une femme… » Catherine Grangeard interroge les mots, mais aussi la fatalité de la baisse de la libido au moment de la ménopause. Pour elle, la diminution de l’appétit sexuel n’a pas pour seule cause les bouleversements hormonaux. La monogamie sur le long terme, et la vie en couple peuvent aussi émousser le désir. Elle cite ainsi la Dr Holly Thomas, de l’University of Pittsburgh School of Medicine : « Quand une femme rencontre des difficultés dans sa vie sexuelle, la situation avec son partenaire entre en ligne de compte. Le plus surprenant étant qu’autant de femmes se disent perturbées sur le plan du désir sexuel par la dysfonction érectile de leur partenaire ».

Des rapports sexuels hétéros phallocentrés

Je ne partage pas la « surprise » de la Dr Thomas… J’émets même l’hypothèse que l’ « orgasm gap » se creuse peut-être plus encore avec les années qui passent. Je m’explique : nous avons tendance à vivre nos rapports sexuels hétéros de façon phallocentrée – tout commence par l’érection du pénis et s’achève avec son éjaculation. Cette pratique du sexe hétéro est aussi très pénétrocentrée – s’il n’y a pas un pénis qui pénètre un orifice, ce n’est pas du sexe ! Comme en témoignent les chiffres de l’ « orgasm gap », cette conception de l’intimité hétéro est pénalisante pour les femmes, puisque nous avons en grande majorité besoin d’une stimulation externe du clitoris pour jouir (donc d’une stimulation du gland du clito avec les doigts, la langue, un sextoy, ou encore le gland du pénis s’il n’est pas en train de nous pénétrer). Le problème de ce schéma sexuel est le suivant : au fil des ans, si le phallus se retire progressivement du jeu… Que reste-t-il ?

Si le propriétaire de ce pénis n’a pas appris à se servir de sa bouche, de ses mains, ou bien s’il perçoit les sextoys comme des rivaux… alors les relations intimes vont devenir de moins en moins satisfaisantes, pour sa partenaire comme pour lui. D’où l’intérêt, avant et après cinquante ans, de multiplier les plaisirs, de faire la part belle aux jeux de langue, de doigts, et à l’imagination érotique dans notre sexualité partagée. Voyons loin !

S’aimer sans temps mort et jouir sans entraves

Il est amusant de constater que la libido des femmes quinquagénaires, une fois libérées du couple hétéro, se porte comme un charme. Dans « Sorcières, la puissance invaincue des femmes », Mona Chollet raconte cette anecdote : « Lorsque l’actrice Monica Bellucci, à cinquante et un ans, confiait trouver quelque chose de “très érotique” à la puissance dégagée par des hommes âgés comme Mick Jagger, Paris Match s’ébahissait, incrédule : “Est-ce qu’il faut en déduire que vous avez autant de désir aujourd’hui qu’à vingt ans ?” » Hé oui ! Incroyable mais vrai : même si la norme dominante a décidé́ que les femmes ne sont plus séduisantes après quarante-cinq ans… leur libido ne disparaît pas pour autant dans un nuage de fumée.

Camille Froidevaux-Metterie établit un constat similaire dans « Le Corps des femmes, la bataille de l’intime » : « La ménopause marque bien la fin de quelque chose, […] il s’agit d’accepter de se trouver désormais en dehors du groupe des femmes procréatrices, c’est-à-dire aussi en dehors du groupe des femmes désirantes. » À cinquante ans, il faudrait renoncer non seulement à être « objet » de désir (un deuil difficile à faire pour certaines femmes, comme l’avait tristement révélé la tribune pour la liberté d’importuner)… mais aussi renoncer à être « sujet » de désir ! Car : « aux yeux du monde, la ménopause fonctionne comme une interdiction : elle marque la fin du désir légitime. »

Susan Sontag expliquait dans les années 1970 le drame qui se joue, avec l’attribution arbitraire de cette date de péremption féminine : « Le moment où [les femmes] commencent à̀ être disqualifiées en tant que personnes sexuellement attirantes est précisément celui où elles arrivent à̀ maturité́ du point de vue sexuel. Le “deux poids, deux mesures” du vieillissement les prive de ces années, entre trente-cinq et cinquante ans, qui pourraient être les meilleures de leur vie sexuelle. »

À bout des tabous

En toute franchise, je trouve que Susan Sontag aurait pu rajouter une bonne louche d’années et aller jusqu’à soixante-quinze ans à l’aise ! Mais je lui pardonne bien volontiers, car elle a le chic de ne pas nous laisser sur un constat amer. Je la laisse donc conclure avec cet extrait du « Double standard of aging » : « Les femmes ont une autre option. […] Elles peuvent se laisser vieillir naturellement et sans honte, protestant ainsi activement, en leur désobéissant, contre les conventions nées du “deux poids, deux mesures” de la société́ par rapport à̀ l’âge. Au lieu d’être des filles, des filles aussi longtemps que possible, qui deviennent ensuite des femmes d’âge moyen humiliées, puis des vieilles femmes obscènes, elles peuvent devenir des femmes beaucoup plus tôt – et rester des adultes actives, en jouissant de la longue carrière érotique dont elles sont capables, bien plus longtemps. Les femmes devraient permettre à̀ leur visage de raconter la vérité qu’elles ont vécue. Les femmes devraient dire la vérité. »

Continuer la lecture

Quitter la version mobile