Santé

Le guide sexo : Comment inviter le dialogue du consentement dans nos interactions sexuelles ?

« Un homme et une femme vivent une aventure » : ces gens pourraient tout à fait partir escalader le Mont Blanc, mais les images qui se forment dans nos têtes tournent automatiquement autour du sexuel et de l’interdit : on pense à une aventure extraconjugale, torride. Notre imagination convoque le déchaînement des pulsions : cette aventure est forcément passionnée, passionnelle.

Hommes, femmes : le mode d’emploi est périmé

Si on n’était pas sur le site de Elle, mais dans un film, la scène de sexe qui s’ensuivrait ressemblerait à peu près à ça : l’homme plaque la femme contre le mur, elle va dire quelque chose, il pose son index sur ses lèvres, elle fond… Il la déshabille fébrilement, il arrache sa culotte, gros plan sur ses mains d’homme qui maintiennent ses poignets de femme, leur corps à corps ressemble à une lutte, et il la prend, là comme ça, direct ! Et bien sûr, elle a-do-re ça.

À quand l’éducation sexuelle obligatoire pour les réalisateurs de film ?

Baisers volés, harcèlement pendant 90 minutes de film jusqu’à ce qu’elle cède, cailloux jetés aux fenêtres en pleine nuit, enlèvement… voilà les images d’Épinal de l’aventure charnelle hétérosexuelle au cinéma, à la télé. J’ai beau être rodée, avoir visionné un bon nombre de scènes de sexe à l’écran ; je continue de trouver ça fou, le nombre de films faits par des hommes qui, apparemment, ignorent que les femmes ont besoin de temps – ou de lubrifiant – avant d’être pénétrées. Année après année, je continue de tomber de ma chaise devant le nombre de films fait par des hommes apparemment convaincus que leurs deux mains n’ont rien de mieux à faire que de tenir nos poignets… alors qu’une pénétration sans stimulation externe du clitoris a 80 % de chances de nous laisser froides, ou de nous faire mal !

Mais surtout, ce qui me laisse bouche bée… c’est le nombre de films qui érotise le fait d’outrepasser gaillardement les limites des femmes. De « Blanche Neige » à « Love Actually » ou « Parle avec Elle », de « À Bout de souffle » aux trois volets de « 365 jours » sur Netflix, les histoires de désir hétérosexuel ont pour piliers les transgressions aussi variées que répétées du corps des femmes. Comment diable en est-on arrivé à confondre collectivement l’intensité érotique… avec la violence ?

Douche froide

Cette violence, érotisée, romantisée, demeure enchâssée dans nos imaginaires érotiques. Pourtant, ce n’est pas sexy la violence. C’est la honte, le silence, le corps gelé, les murs gris du commissariat, l’hypervigilance, les séances de psy. On devrait le savoir, maintenant ! On a vécu ensemble #MeToo, il y a cinq ans. Et on s’est rendu compte à quel point les relations sexuelles, entre hommes et femmes pouvaient être traumatiques, mortifères… Depuis octobre 2017, le temps passe, mais le nombre de violences sexistes et sexuelles ne baisse pas.

Quand on est une femme – et tout particulièrement quand on est une femme racisée, trans, en situation de handicap – entrer en relation sexuelle, affective, conjugale avec des hommes demeure trop souvent dangereux ; les chiffres des féminicides et des viols conjugaux restent, à cet égard, tristement évocateurs. En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol est estimé à 94 000 – il s’agit là d’une estimation minimale. Dans presque un cas sur deux, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. L’enquête VIRAGE (Violences et rapports de genre) relève qu’une femme sur trois en période de séparation déclare des violences, une sur cinq des violences graves ou très graves. À l’heure où j’écris, début décembre, 102 femmes ont été tuées depuis le début de l’année 2022 par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Est-ce qu’il ne serait pas temps de réagir, et de réécrire ensemble le script de l’aventure charnelle hétérosexuelle ? De la rendre à la fois inspirante, érotisante… et safe ?

Pour une romance alternative

Proposition : et si on substituait au fantasme de posséder quelqu’un, ou d’être possédé.e, le fantasme de comprendre son corps ? Si on vivait notre désir comme une curiosité intense, une envie dévorante de savoir ce qui fait du bien à cette autre personne ? Plutôt que de nous regarder dans le blanc de l’œil en espérant que l’autre devine ce qu’on aime, osons nous poser des questions ! Intéressons-nous !

Rembobinons

Imaginez cette même aventure entre un homme et une femme, cette même rencontre sexuelle, non pas comme le choc de deux pulsions, non pas comme un rapt du corps et de la raison par un sexe sur l’autre… mais comme un cheminement prudent. Ce cheminement, c’est ce que le philosophe Paul Ricœur appelle le « chemin du consentement ». Les détours du dialogue avec l’autre – mais aussi du dialogue avec soi-même – font que progressivement, on ne se contente pas d’admettre, mais on adhère pleinement à un choix : le choix de l’intimité sexuelle ensemble.

Le dialogue avec soi-même ? Oui. Prenons le temps de nous demander : ai-je vraiment envie de cette relation sexuelle ? Ou est-ce que je me sens obligée ? Parce que sinon je vais me sentir coupable ? Quant au dialogue avec l’autre, il interroge avec les mots, les gestes, les yeux : est-ce que c’est le bon moment pour toi ? Est-ce que tu es à l’aise ? Est-ce que je te fais te fait du bien ? Nos premiers jeux de main, nos mots à l’oreille l’un·e de l’autre, doucement ou crûment, posent les bases d’un accord entre nous.

La spontanéité en danger ?

« Un accord ? Donc… Un contrat ? ! Heu… Ce ne serait pas un peu tue l’amour ? » Eh bien, tentez l’aventure. Jouez ensemble ce dialogue du consentement. Et imaginez que pendant que vous vous posez des questions, vous commencez à mêler le geste à la parole, les mains aux cheveux, les langues aux langues :

« Je peux t’effleurer le cou ? Ok, je t’effleure le cou… la nuque… Et le dos ? Comme ça ? Ça te plaît ? Et… tu aimerais que je te pince les tétons ? Non ? Haha ! Ok je ne fais pas. Tu as envie de m’embrasser ? Vas-y ! Oui tu peux me sucer la langue. De quoi j’ai envie ? Mmmm… J’ai envie que tu me plaques contre le mur ! » Et puis la conversation peut aller plus loin : sex-toys ou pas ? Vibrants ? Ou juste pénétrants ? Et… salive ou lubrifiant ? Sexe oral ? Reçu ? Donné ? Les deux ? Et les fessées ?

Est-on là dans une démarche qui menace la tension sexuelle ? Phagocyte le désir ? Personnellement, je suis convaincue que non.

Et même, je trouve que la beauté du dialogue du consentement réside dans le fait qu’il ne se borne pas à constater le désir : il le fait advenir, il l’invente. Selon la jolie formule de la féministe américaine Gloria Steinem : il « érotise l’égalité ». Oser inviter le dialogue du consentement dans nos fantasmes et nos interactions sexuelles, c’est ouvrir une possibilité excitante de partir à l’aventure de nouvelles façons de jouir… mais sans risquer de faire violence ni à soi, ni à l’autre.

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