Le guide Sexo : Douleurs pendant les rapports, avoir mal n’est pas normal

J’ai passé la première décennie de ma vie sexuelle à avoir mal pendant les rapports. L’intromission se passait bien, mais lorsque le rapport s’accélérait, j’avais une sensation de brûlure intense. Comme je voulais que le sexe se conclue, je serrais les dents jusqu’à la jouissance de mon partenaire, et je déguisais mes grimaces de douleur en soupirs de plaisir. Une fois qu’il avait éjaculé et qu’il s’endormait, la brûlure en moi perdurait plusieurs heures. Il m’arrivait de pleurer en silence.

Il y aurait beaucoup à dire sur l’injonction inconsciente à faire jouir son partenaire et sur la validation masculine que je recherchais – en faisant passer son plaisir avant mon bien-être. Mais ce dont je veux vous parler aujourd’hui, c’est de douleur.

Douleur, honte : la double peine

Cette douleur pendant les rapports, j’en avais fait un tabou. Je la cachais à mes partenaires, par peur de passer pour une « chochotte », d’être qualifiée de « mauvais coup ». Je n’en parlais pas non plus avec mes copines quand on échangeait des anecdotes sur nos aventures sexuelles. Quant à l’idée de consulter qui que ce soit du corps médical, elle ne m’a même pas effleurée ! La vie sexuelle des femmes est couramment dépeinte comme étant pavée d’épreuves toutes plus pénibles les unes que les autres : de la douleur des menstruations, à celle, supposée obligatoire, de la première fois, en passant par la douleur de l’enfantement… Il me semblait normal, ou du moins pas grave, de souffrir pendant le sexe.

Toutes ces années, j’ai donc pris mon mal en patience. Lorsque j’ai eu vingt-cinq ans, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai parlé de cette douleur à mon gynécologue. Las, il m’a simplement suggéré d’utiliser du lubrifiant.

Mal diagnostiquées, mal traitées

Comme je l’ai découvert plus tard, je suis loin d’être la seule à éprouver ces douleurs, que l’on appelle des dyspareunies. Nous sommes jusqu’à 45 %, selon une étude publiée en 2020 dans le « Journal of Sexual Medicine », à connaître une dyspareunie à un moment donné de notre vie. L’enquête sur la sexualité en Francenote d’ailleurs que les femmes plus jeunes ou plus âgées sont les plus concernées (47 % des femmes de 18 à 24 ans et 43 % de celles de 60 à 69 ans). Malgré leur forte prévalence, les dyspareunies restent sous-diagnostiquées et insuffisamment traitées. Seulement 25 % des femmes concernées consultent un médecin !

Pourtant, comme nombre de troubles qui affectent la sexualité, ces douleurs impactent significativement notre qualité de vie. Une étude parue dans le « Journal of Obstetrics and Gynecology » en 2020 démontre que lorsque nous souffrons de dyspareunie, nous sommes aussi plus à risque de dépression et d’anxiété. Logique : nous vivons souvent ces douleurs comme un échec.

Si ces douleurs nous gâchent la vie, pourquoi souffrons-nous en silence ? D’une part parce que bien souvent, nous ne savons pas qu’avoir mal… Ce n’est pas normal. Mais aussi parce que, lorsque nous osons en parler au corps médical, notre parole n’est pas toujours accueillie de façon satisfaisante. Les soignants et les soignantes, qu’il s’agisse des médecins généralistes, des gynécologues ou des sages-femmes, sont notoirement mal formés sur les dyspareunies et leurs prises en charge.

La douleur des femmes sous-évaluée en raison des biais sexistes

« C’est dans votre tête », « C’est parce que vous ne lâchez pas prise », « Si vous faites un petit effort, ça ira » … Voilà ce que de nombreuses patientes ont pu entendre lorsqu’elles ont parlé de leur dyspareunie au corps médical. Eh oui… Quand nous souffrons, nos douleurs de femmes sont plus susceptibles d’être considérées comme « émotionnelles » ou « psychologiques » plutôt que « physiques ». Ce qui peut conduire à une prise en soin… à côté de la plaque.

Une étude publiée en 2018 dans le « Journal of Pain Research » révèle que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se voir prescrire des sédatifs ou des antidépresseurs pour la douleur, plutôt que des analgésiques. Selon une seconde étude, publiée en 2020 dans le « Journal of Women’s Health », les femmes voient plus souvent que les hommes leur douleur rejetée ou sous-traitée par les professionnel.le.s de santé. L’article suggère que des biais sexistes inconscients conduisent les professionnel.le.s de santé à considérer la douleur des femmes comme moins grave, ou plus exagérée que celle des hommes.

Comprendre notre corps

C’est mon cheval de bataille : mieux comprendre notre corps nous empouvoire, et nous permet de prendre en charge pro activement notre santé sexuelle. Regardons de plus près pourquoi nous avons mal, et vers où nous tourner pour y remédier.

Les dyspareunies sont des douleurs liées aux rapports sexuels. Les sensations sont de plusieurs types : brûlure, coupure, abrasement, ou bien inconfort plus diffus. Dans la majorité des cas, nous souffrons au moment de la pénétration phallo vaginale, et l’inconfort se prolonge après le rapport. Ces douleurs peuvent avoir toujours été là — nous n’avons pas le souvenir de ne pas avoir eu mal pendant le sexe — elles sont dites dans ce cas « primaires ». Ou bien elles sont survenues à la suite d’un événement, médical ou personnel, et elles sont « secondaires ».

Les dyspareunies touchent des endroits différents de notre sexe. Elles peuvent être superficielles ou profondes. Lorsqu’elles affectent le vestibule vulvaire (cette zone située entre nos lèvres internes qui accueille le méat urétral et l’entrée du vagin) ou encore le clitoris, on parle de vulvodynies. D’autres douleurs se localisent à l’entrée du vagin. Elles peuvent être causées par des « brides » : soit une bride formée par l’hymen, qui peut être coupée lors d’un geste chirurgical bénin et rapide. Soit une bride qui se crée après un accouchement, là où on a été recousue. Ces douleurs post-partum concernent presque la moitié des femmes. On y remédie en massant la bride avec de la crème ou de l’huile, à l’extérieur et à l’intérieur du vagin, afin de l’assouplir.

Quand notre périnée cherche à nous protéger

Autre facteur important de dyspareunie : le vaginisme. Le vaginisme est un trouble qui rend la pénétration (d’un pénis, d’un jouet, d’un doigt, d’un spéculum…) dans le vagin impossible — ou extrêmement douloureuse. En cause : une contraction musculaire réflexe et prolongée des muscles du plancher pelvien. Cette contraction est inconsciente (la volonté ne peut rien y faire) et intervient même lorsque l’envie de faire l’amour est forte. C’est un trouble qui est le plus souvent d’origine psychologique… mais pas toujours ! Il peut aussi être secondaire à des lésions chirurgicales, radios thérapeutiques ou à des infections génitales à répétition. Si les muscles de notre vagin sont complètement contractés, rien ne sert de forcer. Vivre une sexualité non-pénétrative peut être joyeux et satisfaisant. Toutefois, si le vaginisme est un motif de souffrance psychologique, c’est une prise en soins pluridisciplinaire qui est recommandée : psychothérapie ou sexothérapie, kinésithérapie périnéale, sophrologie ou hypnose…

Quand la taille compte

Nous avons aussi parfois des douleurs plus profondes, dans le fond du vagin. Dans ce cas, la pénétration fait mal au niveau du bas-ventre, dans certaines positions telles que la levrette, ou l’enclume. Cette douleur peut être caractéristique de l’endométriose ou de l’adénomyose. Dans ces pathologies encore trop souvent non-diagnostiquées, des cellules d’endomètre sont retrouvées en dehors de l’utérus, dans toute la zone pelvienne. Elles créent des adhérences douloureuses, notamment lors des rapports sexuels, ou bien lorsqu’on a ses règles et qu’on va à la selle. Autre facteur de douleur profonde : un utérus rétroversé, c’est-à-dire basculé vers le rectum plutôt que posé sur la vessie. Nous sommes 20 à 30 % à avoir un utérus rétroversé, ça n’a rien de pathologique. C’est juste une différence anatomique.

Pendant le sexe, pour ne pas aller appuyer là où ça fait mal, les positions pénétratives moins profondes sont les plus favorables : cuillères, levrette couchée, amazone, andromaque… Très utile, un anneau de confort sexuel peut aussi venir faire tampon en raccourcissant un pénis qui s’aventurerait trop loin. Composé de plusieurs anneaux qui s’emboîtent, à nous de choisir le nombre qui nous convient. Un, deux, trois quatre, plus on en met à la base du phallus, moins il entre en nous. Notre partenaire garde tout de même des sensations tout le long de la hampe… et ses deux mains libres !

On n’y pense pas forcément…

La contraception que nous prenons peut aussi causer des gênes diverses lors des rapports sexuels. Pour certaines d’entre nous, le stérilet se révèle douloureux dans certaines positions pénétratives profondes. Un changement de contraception hormonale peut aussi nous impacter. Dans ces cas-là, il est souhaitable de planifier une consultation avec notre médecin ou notre sage-femme pour discuter d’une méthode contraceptive plus adaptée.

Parfois, ce sont certaines pratiques qui ne nous conviennent pas : pénétration qui arrive trop rapidement, trop brutalement, amant marteau-piqueur… L’anxiété d’avoir mal peut encore majorer la douleur, en empêchant de lubrifier naturellement et en contractant nos muscles. L’angoisse d’angoisser : un cercle vicieux que nous les anxieuses connaissons bien.

Notre corps essaie de nous dire quelque chose

Quelle que soit la façon dont la douleur se manifeste, si nous avons mal, surtout : halte là. Ne forçons pas, ne nous forçons pas. Que la cause de notre souffrance soit gynécologique, psychologique, ou qu’elle soit liée à une autre pathologie ailleurs dans notre corps, écoutons notre sexe et ce qu’il cherche à nous dire.

La première chose à faire est de consulter un ou une gynécologue ou sage-femme en qui nous avons confiance. Pour la vulvodynie, un ou une dermatologue spécialiste des muqueuses est une bonne option. Pour le vaginisme, un ou une kinésithérapeute périnéale est parfaitement indiquée, ainsi que le recours à la psychothérapie et/ou à la sexothérapie. D’après les études, la sexothérapie comportementale et cognitive en particulier se révèle très aidante pour de nombreuses femmes concernées par le vaginisme. Quelle que soit la profession de santé vers laquelle nous nous tournons, si la consultation ne se passe pas bien, rappelons-nous : nous avons le droit de poser nos limites, d’exprimer que nous ne nous sentons pas entendues ou pas bien prises en soin, et nous pouvons aller frapper à une autre porte. Notre corps est important.

Autre piste, pour échanger, s’informer : les associations de patientes. « Les Clés de Vénus » est la référence dans le domaine. Créée pour lutter contre les tabous qui entourent les douleurs sexuelles féminines, ses bénévoles s’engagent pour aider les femmes et leurs partenaires dans leur parcours de guérison. Elles proposent notamment un annuaire coopératif de soignants et soignantes compétentes pour diagnostiquer et traiter les dyspareunies.

Explorer d’autres voies, retrouver le plaisir

Le rétablissement, c’est aussi accepter certaines limitations de notre corps, et se construire en les contournant. Quand c’est la pénétration qui fait mal, bonne nouvelle (ou rappel joyeux) : on peut avoir une sexualité épanouie sans intromission de quoi que ce soit dans notre vagin ! Les femmes concernées par le vaginisme utilisent plus spontanément du lubrifiant, se concentrent sur la stimulation du clitoris externe ; et atteignent souvent plus l’orgasme que des personnes sans dyspareunie. Si je ne souffre pas de vaginisme, je me retrouve dans ce parcours. Les vibros sont entrés dans ma vie aux alentours de mes vingt et un ans. Ce grand classique qu’est le Rabbit m’a enseigné que la pénétration profonde peut être délicieuse si mon clitoris est suffisamment stimulé, et si la face antérieure de mon vagin est massée avec lenteur — et non pas limée. Il m’a fallu quelques années avant d’oser inclure les sex-toys dans ma sexualité partagée. Lorsque je l’ai fait, ça a tout changé, j’ai joui beaucoup plus souvent avec les hommes ! Le plaisir a progressivement remplacé la douleur.

Je n’ai plus mal. Ou plutôt : quand j’ai mal, je propose immédiatement de changer de position, ou je sors mon Magic Wand. Ce n’est plus un tabou. Ça ne m’empêche plus de prendre du plaisir. Si cette piste vous intéresse, il y a une foule d’idées de pratiques non pénétratives à explorer dans le livre de Martin Page « Au-delà de la pénétration », et sur le compte Instagram « Jouissance Club ».

Lorsque la douleur concerne non pas la pénétration vaginale mais la vulve, cela peut être l’occasion d’expérimenter une sexualité non génitale — une compétence que je trouve bienvenue lorsque les vaginoses ou les mycoses frappent à répétition. Je vous conseille d’aller voir du côté des pratiques BDSM. Ou encore de tenter l’orgasme des mamelons… Ce qui est passionnant avec le sexe, c’est qu’on n’a jamais fini de découvrir de nouvelles sensations !


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