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Le guide sexo : La grève du sexe peut-elle faire avancer les droits des femmes ?

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« Délivrons-nous du mâle », « La révolution sera féministe », « Ce ne sont pas les femmes qui sont fragiles, ce sont leurs droits ! » : voilà quelques-unes des pancartes brandies dans les cortèges de ce mercredi 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Et puis cette banderole : « Si on arrête, tout s’arrête ».

#OnArreteToutes

L’idée de la grève féministe est d’une simplicité radicale : si la moitié de l’humanité s’arrête de travailler, de s’occuper des hommes et des enfants… alors peut-être qu’on écoutera enfin les femmes et leurs revendications ! En France, le mouvement de grève féministe #OnArreteToutes est lancé le 8 mars 2020 par Suzy Rojtman, du Collectif National Droit des Femmes. #OnArreteToutes s’inscrit dans une longue tradition féministe : en France, Louise Michel appela à la grève des femmes en 1882, Hubertine Auclert lança quant à elle en 1880 une grève de l’impôt : « Je n’ai pas de droits, donc je n’ai pas de charges, je ne vote pas, je ne paye pas » écrivit-elle au préfet.

Ces mouvements de grève des femmes, lorsqu’ils sont suivis, peuvent faire basculer un pays, une société. En 1975, les Islandaises se mettent en grève. Elles sont 90 % à rejoindre le mouvement ! Elles revendiquent l’égalité des chances et des salaires dans le travail professionnel, ainsi que la reconnaissance de leur travail domestique gratuit. Aujourd’hui, l’Islande est un des pays au monde où l’égalité de genre a le plus progressé.

En 1991, une grève féministe a, là aussi, un impact décisif en Suisse. Les femmes revendiquent l’égalité des salaires, le congé maternité et le droit à l’avortement. C’est un succès : elles obtiennent en 1996 le vote d’une loi sur l’égalité au travail et en formation, dans les années 2000, le droit à l’avortement et le congé maternité de 14 semaines.

« Faisons la grève de l’amour pour forcer les hommes à faire la paix »

Si la force de frappe d’une grève générale féministe est séduisante, ne pas se rendre à son travail ou ne pas s’occuper de sa progéniture peut être très difficile à organiser pour l’immense majorité des femmes. Depuis les années 2000, une forme de grève féministe plus ciblée s’impose régulièrement : la grève du sexe.

Boycottons le sexe jusqu’à ce que nous retrouvions notre indépendance physique

L’idée ne date pas d’hier. Au Vème siècle avant JC, Aristophane raconte avec truculence comment Lysistrata, exaspérée par l’obstination belliqueuse des hommes, convainc des femmes de la Grèce entière de refuser tout rapport sexuel à leur mari, jusqu’à ce qu’enfin ils fassent cesser la guerre du Péloponnèse.

La grève du sexe lorsque l’IVG est menacée

Deux mille quatre cent trente ans plus tard, aux États-Unis, c’est pour faire cesser la guerre contre les droits reproductifs des femmes qu’Alyssa Milano, figure de proue du mouvement #MeToo, lance à son tour une grève du sexe. On est en 2019, et son objectif est de faire barrage à une loi très restrictive promulguée par l’État de Géorgie contre l’avortement. « Nos droits reproductifs sont supprimés », tweete-t-elle. « Tant que les femmes n’auront pas un contrôle légal sur leur corps, nous ne pouvons pas risquer de tomber enceintes. Rejoignez-moi, boycottons le sexe jusqu’à ce que nous retrouvions notre indépendance physique. »

En 2021, la lutte continue contre une nouvelle loi anti-avortement, au Texas cette fois. L’actrice Bette Midler « suggère aux femmes de refuser d’avoir des relations sexuelles avec des hommes jusqu’à ce que le Congrès leur garantisse le droit de choisir ». Elle cite l’écrivaine féministe Gloria Steinem : « Si les hommes pouvaient tomber enceints, l’avortement serait sacré ».

Malheureusement, les appels à la grève du sexe des Américaines ne font pas l’unanimité, elles peinent à mobiliser. Et, revers décisif : la Cour suprême des États-Unis annule vendredi 24 juin 2022 l’arrêt Roe v. Wade, ouvrant ainsi la voie aux États pour interdire aux femmes de se faire avorter. Des manifestations contre la décision de la Cour suprême ont lieu un peu partout dans le pays, et des femmes continuent, malgré tout, à appeler à la grève du sexe. Ou est-ce à une forme de prudence, qu’elles appellent ? « Si nous ne pouvons plus faire l’amour en sachant que nous aurons un choix après, pourquoi le faire ? », s’exclame l’une d’entre elles au micro du New York Post.

Pourquoi les grèves du sexe ne nous rassemblent-elles pas ?

Au temps d’Aristophane, dans la pièce de théâtre « Lysistrata », lemale gazeantique fait pousser aux femmes de hauts cris à l’idée de devoir se passer de sexe. Elles ont beau craindre pour la vie de leurs maris et de leurs fils partis aux combats, subir les privations induites depuis des décennies par la guerre… Elles refusent de se passer de leurs « objets de satisfaction » (oui oui, Aristophane faisait des jeux de mots en grec ancien qui stimulent encore la créativité des traducteurs aujourd’hui). Même une fois qu’elle est parvenue à convaincre les femmes de s’engager ensemble dans cette grève du sexe, Lysistrata doit encore déjouer les ruses de certaines épouses en mal de sexualité partagée, qui invoquent toutes sortes d’excuses pour prendre la poudre d’escampette et aller s’offrir une partie de jambes en l’air. Au final, tout est bien qui finit bien, Spartiates et Athéniens sont si torturés par l’envie de sexe, qu’ils finissent par conclure la paix dans la joie, les chants, et on imagine, les orgasmes.

Deux mille quatre cent trente ans plus tard, les réactions des féministes françaises à l’appel d’Alyssa Milano ne sont pas si différentes de celles des épouses imaginées par Aristophane. Ainsi Marlène Schiappa, alors Secrétaire d’État chargée de l’Égalité hommes femmes, écrit-elle en réponse à la #sexstrike que : « Faire la grève du sexe c’est aussi se priver soi-même. Menacer de grève du sexe en réaction aux régressions du droit à l’IVG, c’est comme nous punir nous-mêmes une deuxième fois. Il est temps de considérer que les femmes aussi ont droit à une sexualité libre et épanouie et de cesser d’envisager la sexualité des femmes comme quelque chose qui aurait pour but d’être agréable pour… les hommes ! »

Les femmes ont droit à une sexualité libre et épanouie sans envisager un but agréable pour les hommes

Que ce soit au temps d’Aristophane ou de Marlène Schiappa, je suis quand même surprise que l’on ne se rappelle pas que la sexualité partagée n’est pas notre seule source de plaisir. Notre sexualité solo est d’ailleurs bien plus pourvoyeuse d’orgasmes que celle que nous partageons avec des hommes !

Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe, professeure de science politique à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et autrice du Corps des femmes. La bataille de l’intime, apporte dans 20 Minutes des arguments que je trouve plus intéressants pour expliquer son hostilité à l’idée d’une grève du sexe : « Cette proposition fait un lien entre la grossesse et le rapport sexuel consenti : elle invisibilise donc complètement l’IVG qui fait suite à un viol. Ensuite, Alyssa Milano parle de « ne pas prendre le risque » d’une grossesse. Cela entretient l’idée que la contraception passe par l’abstinence et qu’elle ne dépend que des femmes. Par ailleurs, elle sous-tend une représentation hétéronormée de la sexualité comme étant à finalité reproductive et à destination des hommes ».

De la grève du sexe au prix Nobel de la paix

Pour autant, en dehors de nos pays occidentaux, les grèves du sexe peuvent permettre de franches avancées, voire des révolutions. En 2003, au Libéria, dans un contexte de guerre civile, Leymah Gbowee lance une grève du sexe qui durera plusieurs mois, afin que la voix des femmes soit entendue dans le processus de paix. Au fil de cette grève, le rôle de Leymah Gbowee devient crucial. Voyant les pourparlers tourner au vinaigre, elle conduit des centaines de femmes à l’intérieur de l’hôtel où se déroulent les négociations. Lorsque les hommes tentent de quitter la salle, Leymah Gbowee et ses alliées leur barrent la route et menacent d’arracher leurs vêtements. Au Libéria, voir une femme mariée ou âgée se mettre délibérément à nu est une terrible malédiction… ce qui explique le caractère très dissuasif de leur geste.

Finalement, le 18 août 2003, l’Accord de paix global d’Accra est finalement signé, mettant fin à quatorze ans de guerre au Liberia. Deux ans plus tard, le mouvement des femmes conduit à l’élection d’Ellen Johnson Sirleaf à la présidence du Liberia : elle devient la première femme élue à la tête d’un pays d’Afrique. En 2011, Leymah Gbowee a été récompensée par le prix Nobel de la paix aux côtés de Sirleaf et Tawakel Karman. Interrogée plus tard sur l’efficacité de la grève du sexe, elle explique : « La grève du sexe est le titre médiatique qui vend le plus, mais la vérité est que l’arme la plus impressionnante du mouvement des femmes était le souci de clarté morale, la persévérance et la patience. Ça nous a pris trois ans de manifestations et de démonstrations non violentes, des années dans la rue, à demander l’attention des officiels et des médias. Puis nous avons lancé la grève du sexe. » Pour elle, c’est à ce moment-là que leur voix a pu être relayée par les médias, et que les femmes de toutes les communautés et religions ont décidé de se mobiliser.

Inspirées par la victoire de Leymah Gbowee, dix associations kenyanes appellent les femmes à une grève du sexe en 2009. Leur espoir : éviter que le pays, divisé entre le président et le premier ministre, se déchire, et enclencher des réformes sans cesse repoussées. Un mari, outré, attaque en justice les initiatrices du mouvement, car selon Afrik.com, « après que sa femme s’est refusée à lui sept jours de suite, il espère bien obtenir réparation pour les maux que le boycott lui a selon lui causés : anxiété, stress, douleurs au dos et autres problèmes de concentration et de sommeil ». Mais les souffrances atroces de cet homme n’arrêtent pas les kenyanes, et là aussi, les femmes grévistes ont gain de cause. Le ministre de l’économie finit par annoncer : « Nous avons décidé d’accélérer les réformes constitutionnelles et les réformes concernant la justice et la police. J’espère que les femmes du Kenya n’auront pas à reprendre le boycott ».

Alors, la grève du sexe peut-elle faire avancer les droits des femmes ? On dirait bien que oui. Mais comme n’importe quel élan féministe véritablement collectif. Si nous nous soulevons en masse pour nos droits ; nous le savons, l’histoire nous l’a prouvé, nous obtenons des avancées. Nous sommes nombreuses, nous sommes fortes, et… en cas de grève du sexe hétéro, nous avons des sex-toys et nos doigts agiles pour tenir.


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