Santé

Le guide sexo : le parcours de la combattante de la stérilisation au féminin

Notre vie sexuelle est faite d’érotisme, de plaisir, de rencontres et d’explorations, mais aussi d’événements plus prosaïques : attendre sur les toilettes le pipi d’après l’amour, faire du shopping de culottes de règles et d’ovules antifongiques, passer une échographie endovaginale… Notre vie sexuelle, c’est tout ce que vit notre sexe. Et quand on y réfléchit bien, notre vulve vit tout un tas de péripéties ! Il y a des hauts et des bas, des joies et des douleurs. Bien sûr, il y a les rapports, les moments de plaisir solo, mais il y a aussi les examens périnéaux, l’accouchement.

La gynécologie, une composante clé de notre vie sexuelle

Moi qui n’ai pas eu d’enfant et qui suis suivie depuis quinze ans par un gynécologue très doux, j’ai pris conscience sur le tard de l’impact des violences gynécologiques et obstétricales sur nos vies sexuelles. Le compte Insta « Stop VOG », « Le livre noir de la gynécologie » de Mélanie Déchalotte, ou encore le documentaire d’Ovidie « Tu enfanteras dans la douleur » ont été des chocs pour moi. J’ai lu et vu des femmes pleurer en racontant un examen gynécologique qu’elles ont subi, en se remémorant leur accouchement, et j’ai compris que oui : un spéculum, la main gantée d’un.e soignant.e peuvent violer. Quelle qu’ait été l’intention des soignant.e.s à l’origine du geste ; quand elles n’avaient pas donné leur consentement, les femmes touchées étaient traumatisées de façon aussi durable et intense que lors de n’importe quelle autre violence sexuelle.

Prendre en soin notre sexe fait partie de notre vie sexuelle. Une belle relation de soin avec des personnes compétentes et à l’écoute va nous permettre de traiter les petits tracas ou les grandes douleurs qui impactent notre bien-être sexuel… et d’améliorer notre bien-être général. L’Organisation Mondiale de la Santé considère notre santé sexuelle comme « fondamentale pour la santé et le bien-être général des personnes, des couples et des familles »… et même « pour le développement social et économique des communautés et des pays ». La gynécologie, bien pratiquée, peut changer nos vies, et même le monde ! Mais à l’inverse, lorsqu’on ne trouve pas l’attention, le respect, la bienveillance que l’on attendait, lorsque la relation de confiance est rompue avec une personne qui approche notre sexe, lorsqu’on en est réduite à nos organes… la blessure intime peut être profonde.

C’est pour ces raisons que je veux aborder dans ce guide sexo notre vie gynécologique comme une partie intégrante et importante de notre vie sexuelle.

« T’en mieux, c la sélection naturel »

Et justement. Une intervention gynécologique, la stérilisation par ligature des trompes, a récemment fait le buzz. Les composantes de ce buzz, je ne les connais que trop bien : d’une part, une jeune femme qui parle librement de son corps, de son sexe et de sa liberté d’en disposer comme elle l’entend. En l’occurrence, cette jeune femme s’appelle Artoise. Elle raconte face caméra pour le média « Konbini », qu’elle s’est fait ligaturer les trompes à 23 ans. Elle est contente de cette stérilisation, se sent soulagée de la charge contraceptive, libérée de l’angoisse de tomber enceinte alors qu’elle sait ne pas vouloir d’enfant, et est même ravie de pouvoir désormais évacuer cette injonction faite aux femmes d’enfanter.

On ne se rend pas compte à quel point le féminisme dérange encore violemment

En face d’Artoise, un homme d’extrême droite. Il a de la visibilité, il est député, et il s’émeut : « je pense à toutes ces femmes qui veulent avoir des enfants et qui n’y arrivent pas »… Comme si nos utérus étaient des vases communicants ! Comme si être malheureuse d’être mère sans l’avoir choisi venait annuler le malheur de ne pas réussir à tomber enceinte ! Puis l’homme politique devient lyrique : « Qu’avons-nous fait de notre société pour en arriver là ? ». En écho, une avalanche de posts qui jugent le choix d’Artoise « triste », « dangereux », « extrême », « écervelé »… « honteux » et j’en passe. Lorsqu’on n’a pas fait personnellement la démarche d’exposer son intimité de femme sur Internet, je sais qu’on ne se rend pas forcément compte à quel point le féminisme dérange encore violemment. Je vous montre : voici la teneur des milliers de commentaires postés par des hommes et des femmes sous le témoignage d’Artoise. « Y a des gens qui mérite pas de se reproduire de tte façon donc t’en mieux ta fais le bon choix ». « Y a des mineurs qui regardent ». « Fais toi ligaturer la bouche ». Et répété à l’envi : « tu t’en mordras les doigts », « faudra pas venir se plaindre », « on en reparle à 35 ans », « elle va le regretter »…

Ne nous y trompons pas…

Comme souvent dans ces cas-là, on a tendance à espérer : oui mais ça, ce sont les intolérants, ceux qui crient le plus fort… mais c’est une minorité. En se disant ça, on refuse de regarder en face la dimension systémique, généralisée, du sexisme. Le « Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes » le rappelait dans son premier Baromètre Sexisme, en 2022 : il existe « un décalage constant entre d’un côté le vécu du sexisme, persistant, systémique et massif et la conscience qu’il faut y répondre, quasiment unanime ; et de l’autre l’incapacité à le déceler réellement, notamment lorsqu’il se manifeste au quotidien. Le sexisme est à la fois perçu comme un fléau à combattre, et vécu comme un état de fait quasi imperceptible ».

C’est notre droit

« Elle va le regretter »… Cette croyance, elle est sexiste, et elle est largement partagée. Y compris par de trop nombreux soignants et soignantes. Selon la loi française, toute personne majeure qui veut se faire stériliser, homme ou femme, est dans son droit depuis 2001. Il suffit d’avoir 18 ans, et il n’y a aucune condition de nombre d’enfants : on peut très bien être nullipare, et donc n’avoir jamais enfanté. La seule condition préalable est un délai de réflexion de 4 mois entre la demande de stérilisation et sa confirmation. Pourtant, pour les femmes, accéder à une stérilisation par ligature, électrocoagulation ou ablation des trompes est une gageure.

Le parcours de la combattante

Dans son livre sorti la semaine dernière « Mes trompes, mon choix ! », la journaliste Laurène Lévy rassemble quelques-uns des témoignages des femmes, si nombreuses, à avoir été éconduites par la gynécologie lorsqu’elles ont voulu bénéficier d’une contraception définitive par stérilisation tubaire. Elle cite Sophie, qui raconte dans « Les Inrocks » avoir contacté plus de vingt médecins : « ils m’ont tous envoyé chier. Certains m’ont dit que ce n’était pas d’un gynéco dont j’avais besoin, mais d’un psy… ». Elle partage le témoignage d’Élodie, 23 ans, sur France 3, dont le médecin généraliste l’a traitée de « folle »… Elle rappelle que sur « Konbin », on trouvait déjà en 2020 le témoignage d’Octavie et d’Ophélie… éloquent : il a fallu trois ans à Octavie pour accéder à une stérilisation… sept ans à Ophélie. Si vous pensiez qu’être un peu connue, avoir des contacts pouvait aider, détrompez-vous : même Chimène Badi a confié à la télé en 2021 — elle avait 38 ans — n’avoir pas réussi à se faire stériliser… Une demande formulée depuis ses 29 ans.

Et Laurène Lévy d’ironiser : « Les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent, c’est bien connu. Elles sont généralement incapables de prendre une décision et, si elles pensent ne pas ou ne plus vouloir d’enfant, leur « horloge biologique » les rattrapera. »

Certains gynécologues imposent à leurs patientes de passer en consultation d’éthique clinique avant de passer sur la table d’opération

Chez les gynécologues qui acceptent d’accéder aux demandes des femmes, la pression est telle d’être si rares, que la tendance est : ceinture-bretelles. La peur qu’on vienne leur reprocher cette pratique contraceptive encore peu répandue en France est palpable. Certains gynécologues demandent un certificat psychologique aux femmes. D’autres un accord écrit du conjoint ! Pour ma part, j’ai constaté que des gynécologues imposent à leurs patientes de passer en consultation d’éthique clinique avant de passer sur la table d’opération. J’ai assisté dans une clinique à une de ces consultations : il s’agit d’un entretien d’une heure visant à évaluer la demande de la patiente. Trois personnes (deux soignants non-gynécologues, et un acteur de la société civile bénévole) posent à la patiente des questions qui partent un peu dans tous les sens : « Comment avez-vous vécu votre grossesse ? Avez-vous été harcelée au collège ? Et si votre enfant veut un petit frère ou une petite sœur ? Avez-vous fait le deuil de la maternité ? Savez-vous que le rapport au corps de la femme est différent quand la « machine » ne marche plus ? Vous avez fait le deuil de la capacité à être mère ? C’est pour la planète que vous faites ça ? » On pourrait presque en rire, si ce n’était pas triste à pleurer de constater que, dans ce même établissement de santé, les hommes qui veulent faire une vasectomie n’ont pas à passer par le même interrogatoire.

Infantilisation à gogo

Certificats, évaluations, attestations… Ces précautions d’un autre âge (et complètement injustifiées légalement) sont d’autant plus difficiles à comprendre que les chiffres viennent prouver que les femmes sont peu nombreuses à regretter leur stérilisation : en Europe, seulement 3 à 7 % des patientes déclarent regretter l’opération, et seulement 2 à 3 % de ces 3 à 7 % lancent des démarches de réimperméabilisassions des trompes. Un regret bien inférieur au regret chirurgical en général, qui avoisine les 14 %… Inférieur également au regret parental, estimé autour de 13 % !

« Pour beaucoup de médecins, les patients cessent d’être des adultes quand ils entrent dans leur cabinet. » confirme le médecin féministe et écrivain Martin Winckler, dans un long article publié sur son blog. « Beaucoup (trop) de patients voient les médecins leur imposer leurs préjugés au lieu de les accompagner dans leurs décisions. Or, les droits des patients ne sont pas des gadgets. […] Si une personne est réputée apte à exercer son métier, à choisir son compagnon, sa compagne ou son lieu de résidence et à participer activement à la vie du pays en payant des impôts et en choisissant ses bulletins de vote, cette personne n’est pas moins apte à choisir quand et si elle aura un jour ou non des enfants !!! »

Heureusement, si accéder à la stérilisation tubaire nous tient à cœur, nous pouvons compter sur d’autres médecins aussi engagés que Martin Winckler, et sur la sororité et l’entraide entre femmes. Un site et un groupe Facebook proposent des listes de gynécologues pratiquant la stérilisation tubaire y compris sur des femmes jeunes et sans enfants. On peut aussi y consulter les témoignages de personnes qui sont passées par cette intervention. Pour échanger, vous informer, trouver un praticien ou une praticienne, rendez-vous sur le groupe Stérilisation Volontaire (ligature, Essure, vasectomie) et sur le site Gyn & Co.

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