Le guide sexo : Les poils, ces grands incompris de notre vie érotique

Ça y est, il fait froid. Sous nos pantalons de corduroy et nos gros pulls, nous laissons la fourrure naturelle de nos jambes, de nos aisselles et de nos sexes reprendre doucement ses droits. C’est la trêve hivernale de l’épilateur, des bandes de cire, ou de ce fichu rasoir rose payé plus cher que le bleu. À l’abri des regards inquisiteurs, nos tibias soyeux, le triangle sombre de notre pubis se reposent dans une paix veloutée ; on cesse enfin d’arracher frénétiquement des bouts de nous-mêmes. On laisse notre peau au repos. À moins que…

À moins que soudain une rencontre, ou bien la prévision d’une soirée à deux, nous fasse miroiter l’opportunité de nous retrouver à poil avec un homme. Et se retrouver à poil, quand on est une femme hétérosexuelle, passe quasi-systématiquement par la rituelle dépilation. Pourquoi diable cette entreprise douloureuse et agressive pour notre corps est-elle donc perçue comme un passage obligé de notre vie sexuelle de femmes ?

Bonjour la pilophobie

Nos poils sont une partie de notre corps normale. Mais nous sommes nombreuses à considérer que leur densité est forcément problématique, pathologique, antithétique avec notre féminité. Pourtant, en dehors de certains problèmes hormonaux — le syndrome des ovaires polykystiques par exemple — il n’y a pas de pilosité « normale » ou « pathologique » chez les femmes. Rebecca Herzig explique dans son livre « L’Épilation à travers les âges » qu’« il n’y a pas de standards cliniques internationaux, c’est une ligne qui change constamment. Avec la pilosité, il n’y a pas de vrai ou faux, tout est une question de norme culturelle. »

En Occident, la norme culturelle est bien cruelle avec nos poils. Elle nous vaut nombre de réflexions désagréables, que ce soit dans l’espace public, ou dans l’espace intime de nos ébats érotiques. Liberté Pilosité Sororité est un collectif fondé par Noémie Renard, autrice féministe et chercheuse en biologie, qui a mené en 2019 une grande enquête auprès de 6458 femmes. Les résultats confirment à quel point la pilophobie est répandue : près des trois quarts des femmes répondantes a déjà subi des réactions négatives à cause de leur pilosité, que ce soit de la part d’un∙e conjoint∙e, d’un∙e ami∙e, d’un∙e membre de la famille ou d’une personne extérieure au cercle proche…

Pourquoi tant de haine ?

Cette pilophobie touche plus particulièrement les jeunes femmes : parmi les moins de 20 ans, plus de 8 sur 10 rapportent une expérience négative. Dans son livre « Défense du poil », le journaliste Stéphane Rose raconte qu’il a longtemps tenu dans le magazine « Girls » la rubrique « paroles de mecs ». Il allait dans la rue tendre son micro à des garçons âgés de 15 à 18 ans, afin de recueillir leur parole sur des sujets touchant à la sexualité. Lorsqu’il leur a demandé : « Qu’est-ce qui est rédhibitoire pour vous chez une fille ? » il a récolté des réponses de cet acabit : « Ce qui me dégoûte le plus chez une meuf, c’est si elle a la chatte poilue. C’est presque comme si elle se manquait de respect à elle-même, et je ne peux pas coucher avec une fille qui ne se respecte pas ». Ou encore : « Les poils me dégoûtent, n’importe où sur le corps sauf les cheveux. Pour les poils c’est des trucs de vieilles, de mamans. » Stéphane Rose note que dans la presse people, on n’est pas plus tendre. Des articles tels que « Amy Winehouse ne croit plus en l’épilation : bon appétit » ou « Britney Spears a du poil sous les bras : épilation obligatoire ! » ne font pas vraiment souffler un vent de liberté sur nos aisselles et nos toisons pubiennes…

Le climat pilophobe est tellement virulent, qu’il pousse même au harcèlement : quand en 2017, le mannequin Arvida Byström pose pour Adidas, jambes poilues, elle est la cible d’un tel déchaînement de violence, qu’elle témoigne sur Instagram : « J’ai littéralement reçu des menaces de viol en DM. » Difficile dans ce contexte de garder un regard positif sur notre corps de femme lorsque nos poils osent… exister ! L’enquête de Liberté Pilosité Sororité relève que nous sommes près de 8 femmes sur 10 à qui notre pilosité inspire au moins une émotion négative ; la honte étant la plus fréquente… Tristement, la honte de ses poils est ressentie par environ la moitié des femmes.

Moins de poils, mais aussi moins de sous !

Les dégâts de la pilophobie ne sont pas que psychologiques : notre estime de soi prend cher ; notre portefeuille aussi. L’injonction à être parfaitement glabre pour aspirer à une vie sexuelle avec des hommes a un impact financier significatif pour les femmes. Même lorsqu’elles choisissent la méthode la moins dispendieuse et la plus rapide : le rasage. D’après une enquête de 2008, « au cours de leur vie, les femmes américaines qui se rasent dépensent, en moyenne, plus de 10000 dollars et consacrent presque deux mois entiers à simplement s’occuper de leurs poils ».

Dans « Quand la beauté fait mal » l’autrice américaine Naomi Wolf évoque la triple journée de travail des femmes (third shift en anglais) : en plus de leur travail rémunéré et des tâches domestiques, les femmes doivent encore consacrer du temps à leur apparence.

Les poils, ces alliés de notre santé sexuelle

« Quand la beauté fait mal »… littéralement. Physiologiquement. En plus d’être un processus douloureux en soi, l’épilation entraîne une foultitude d’effets secondaires pour ainsi dire inévitables. Rendez-vous compte : dans l’enquête de Liberté Pilosité Sororité déjà évoquée, seulement 2,3 % des répondantes ont déclaré n’avoir jamais rencontré d’effets secondaires ou de blessures en retirant leurs poils ! L’effet secondaire le plus courant sont les poils incarnés, (pour plus de 82,6 % des répondantes), suivi par les coupures, éraflures ou irritation (74,7 %) et les démangeaisons (63,5 %).

Voilà des désagréments que l’on peut facilement corréler à la dépilation. Mais il y a d’autres désagréments intimes que nous n’identifions pas spontanément comme étant liés au rasage ou à l’arrachage de nos poils. Ce sont alors les gynécologues qui nous alertent : lorsque nous nous épilons totalement la vulve, nous sommes plus exposées aux cystites, nous développons plus facilement des infections cutanées (boutons, rougeurs, plaques). Nous sommes également sujettes aux mycoses, qui ont tendance à prospérer sur une peau irritée.

Il faut dire que les poils pubiens que nous traquons avec tant de zèle jouent un rôle dans l’équilibre de notre intimité. Selon la Dr Jen Gunter, spécialiste de santé féminine aux États-Unis et autrice de « The Vagina Bible », les poils forment « une barrière mécanique et une protection pour la peau ». Elle explique que s’épiler ou raser cette zone peut créer des traumatismes microscopiques, et favoriser les infections ; y compris l’herpès, le virus du papilloma humain et la syphilis. L’épilation définitive (au laser ou à la lumière pulsée) suscite quant à elle des douleurs, rougissements, ecchymoses, enflures, cloques, brûlures, infections… et peut être à risque de réactivation des virus de l’herpès.

La subtile sensualité du poil

Restons dans la physiologie, mais concentrons-nous sur un autre aspect primordial de notre santé sexuelle : notre plaisir. Au lit, nos poils ont du talent : ils jouent le rôle de récepteurs tactiles, et peuvent donc être vecteurs de sensations érogènes. Dans « Sexpérience », Isabelle Filliozat et Margot Fried-Filliozat expliquent que la base de chaque poil est entourée de fibres nerveuses sensorielles, qui sont « de véritables fibres de la caresse ». Activés par les mouvements du poil, les fibres nerveuses réagissent surtout aux frôlements lents et subtils. Lorsque l’on agace, tiraille, masse notre toison, lorsque l’on survole nos poils pubiens sans aller au contact de la peau, cela suscite d’agréables frémissements, des frissons délicats… On prend le temps d’explorer, de titiller, dans la mouvance intime duslow sex. Et toute cette tendresse est transmise à l’insula postérieure, la région du cerveau impliquée dans les émotions positives ! La conclusion ? Pour vivre heureuses, couchons poilues !

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