Santé

Les parents d’aujourd’hui manquent-ils d’autorité ? La polémique ultra-sensible

Elle séduit autant qu’elle clive. Depuis plusieurs mois, la psychologue pour enfants Caroline Goldman s’est engagée dans une « croisade médiatique » comme elle le formule elle-même. Dans ses livres, dont le best-seller « File dans ta chambre ! » (éd. Dunod), via son podcast ou à travers des interviews et tribunes dans la presse, la fille de Jean-Jacques Goldman dénonce les dérives d’une vision de l’éducation positive, véhiculée notamment par deux autrices à succès, la psychothérapeute Isabelle Filliozat et la pédiatre Catherine Gueguen. Leur erreur, d’après Caroline Goldman : en reprenant à leur compte cette pédagogie anglo-saxonne qui prône la bienveillance, elles en auraient escamoté un pan entier, pourtant essentiel au développement de l’enfant, celui touchant aux limites éducatives.

Des enfants perturbés                 

À rebours de ces positions, Caroline Goldman se pose en chantre d’une discipline raisonnée. En consultation, elle affirme recevoir de plus en plus d’enfants manifestant des troubles du comportement alors qu’ils sont par ailleurs en bonne santé psychique. Une épidémie de petits perturbés et de parents désemparés qu’elle impute à l’absence de repères et d’autorité. En réponse, la psychologue, également docteure en psychopathologie, propose la mise en place du « time out », en français l’exclusion temporaire des enfants dans leur chambre, une « mise au coin » avec des règles et un cadre qu’elle détaille dans une feuille de route à destination des parents. Rien de bien sorcier, vous dites-vous. Et pourtant, depuis quelques mois, les pro et anti s’écharpent par médias interposés. En octobre 2022, Caroline Goldman signait avec 350 spécialistes de l’enfance une tribune dans les colonnes du « Figaro » au moment où le Conseil de l’Europe évoquait une éventuelle remise en question du time out dans ses textes. Le mois dernier, 280 psychologues et pédiatres dénonçaient dans « Le Monde » le recours à cette punition. Difficile pour les néophytes de se faire une opinion. Reste que la réception des idées de Caroline Goldman interpelle : son podcast de 25 épisodes atteint déjà les 2 millions d’écoutes. Aussi, c’est droite dans ses bottes, forte de son succès et de ses soutiens que nous l’avons retrouvée chez elle, à Montrouge (Hauts-de-Seine), où elle a aussi son cabinet. Rencontre avec une psy au cœur de la polémique, mais déterminée « à aller au front pour le bien des enfants ».                

ELLE. Vous dites recevoir des enfants de plus en plus perturbés. Quels symptômes vous ont alarmée ?                

CAROLINE GOLDMAN. Je constate une explosion des troubles du comportement chez des enfants qui ne vont pas mal par ailleurs. Que ce soit au niveau de la construction du socle identitaire, de la sécurité affective ou de l’estime de soi. Mais ils débordent : tout ce qu’ils veulent, ils le font, et tout ce qu’ils pensent, ils le disent. Ils arrachent les cheveux de leurs frères, hurlent des insanités, interrompent la maîtresse, etc. Et lorsqu’on demande aux parents comment ils réagissent, beaucoup nous disent : « On lui fait un câlin et on lui explique que c’est mal. C’est ce qu’on a lu et entendu dans les médias. » Ils citent les mêmes sources : les livres d’Isabelle Filliozat, les interviews de Catherine Gueguen. Aujourd’hui, ces cas de figure représentent 75 % de mes consultations !               

ELLE. Vos constats sont-ils partagés par d’autres professionnels ?                

C.G. Oui, par beaucoup de pédopsys, des chefs de service, des professeurs de psychologie clinique enfants/ados qui reçoivent au quotidien des enfants en souffrance. Alors que mes détracteurs sont historiens, sociologues ou pédiatres, et n’ont aucune idée de comment on soigne la souffrance psychique. Chacun son boulot.           

ELLE. Pourtant, parmi les signataires de la tribune du 24 mars dans « Le Monde », qui dénonce votre promotion d’une « éducation coercitive et violente », on trouve de nombreux psychologues…                

C.G. Ce sont essentiellement des psys pour adultes. Savent-ils ce qu’est une enfance violentée ? Accueillent-ils quotidiennement les confidences d’enfants battus, agressés sexuellement, oubliés, humiliés ? Je fréquente ces enfants et ne peux m’empêcher de penser à eux et à l’indécence qu’ils éprouveraient face à ce débat.               

ELLE. Dans cette tribune, les signataires vous reprochent d’appliquer le time out à des enfants de 1 an qui n’auraient pas la maturité pour comprendre une telle punition…             

C.G. Je parle d’interdire progressivement la désobéissance à partir de 1 an quand l’explication et la mise en garde n’ont pas suffi. Les auteurs de cette tribune oublient le « décor » dans lequel le time out doit être pratiqué. Dans mon livre, je rappelle à chaque fois les vertus de l’attachement et du « renforcement positif ». Par ailleurs, la quête de limites correspond tout à fait au stade de développement des enfants qui vont bien à partir de 1 an.               

ELLE. Comment se manifeste l’absence de limites ? Les parents sont-ils trop permissifs ?              

C.G. Ce sont, par exemple, des câlins en cas de crise. C’est totalement loufoque. L’objectif de l’éducation, c’est d’acclimater l’enfant aux codes afin qu’il se débrouille sans nous. Il faut de la cohérence entre le foyer et le monde extérieur. Il y a aussi la répétition à l’infini de l’instruction – « Il ne faut pas faire ci, il ne faut pas faire ça » –, cela donne des enfants sur lesquels les mots glissent. Chez un enfant, la raison ne peut pas freiner la pulsion. Parmi les autres conseils que donnent mes détracteurs, il y a celui de respirer. C’est le parent qui doit se calmer et sortir de la pièce si la crise ne passe pas ! L’enfant, dans sa toute-puissance, décide du scénario.

« Quand l’enfant se rend compte des limites, il est immédiatement apaisé. »

ELLE. Pourquoi est-ce si néfaste selon vous ?              

C.G. Si l’on en croit cette éducation positive dévoyée, il faut ajuster le monde à la pulsionnalité de l’enfant et jamais l’inverse. Cela donne des enfants impopulaires, rejetés parce qu’ils font leur loi. Leur pensée n’est pas contenue, on leur a dit « tout est possible », alors ils ont du mal à se concentrer, sont dans un état d’excitation permanent.              

ELLE. Cela génère-t-il de la souffrance pour l’enfant ?              

C.G. Adultes et enfants se retrouvent sur un pied d’égalité. Mais un enfant n’a pas la maturité psychique pour décider et cette éducation positive provoque chez lui des angoisses. Ces enfants ont souvent des phobies. Un des grands classiques, c’est de ne pas oser aller à l’école. Ils craignent de déborder, d’être mal ajustés aux autres.              

ELLE. Comment expliquer que cette pédagogie ait été en partie dévoyée ?              

C.G. Parce que des idéologues sans qualification ont préféré raconter une magnifique histoire. En devenant parent, on se dit : « Ce qui se passe dans certaines familles est détestable. Je vais faire mieux. » Et puis, quand l’enfant a 1 an, il vous regarde, jette ses petits pots, ça fait quarante-sept fois que vous les ramassez. Vous lui avez expliqué de toutes les façons possibles. Vous n’avez aucun doute sur l’amour que vous lui portez. Mais un rendez-vous d’un autre type s’impose. Ce constat n’est pas sans culpabilité. Claude Halmos le dit : « L’éducation positive française est un marché qui surfe sur la culpabilité. »              

ELLE. Si c’est une fausse route, comment expliquer que cette vision de l’éducation positive ait autant infusé ?             

C.G. Les psys ont une responsabilité : il n’y a pas de conseil de l’ordre, pas de fédération qui puisse s’exprimer et apporter un contrepoint. Avant moi, Claude Halmos, Daniel Marcelli, Didier Pleux, Marcel Rufo ou Philippe Duverger sont déjà montés au créneau en pointant les dangers de l’absence d’autorité parentale. Mais ce qui a manqué, c’est le time out, une façon de métaboliser, par des conseils très pragmatiques, un retour à l’autorité. Il faut guider les parents. Le texte du Conseil de l’Europe définit bien la parentalité positive avec les trois composantes d’amour, d’explication et de limites éducatives.                     

ELLE. Tout n’est donc pas à jeter dans l’éducation positive ?                

C.G. Non, je suis évidemment pour l’amour, la tendresse et les explications, c’est fondamental. Quel psy pour enfants ne le serait pas ? La psychanalyse a identifié ces apports fondamentaux depuis plus de cent ans avec des auteurs comme Winnicott ou Melanie Klein.               

ELLE. Quelles sont les vertus du time out ?                

C.G. L’enfant se rend compte des limites qu’il cherchait. Il est immédiatement apaisé. Il apprend à isoler sa pulsion sur une scène psychique interne sans nuire aux autres. Il est protégé aussi de l’agressivité qu’il pourrait recevoir en retour de la part de ses frères et sœurs, voire de ses parents. Ne pas mettre de limites à un enfant, c’est prendre le risque des coups, des cris, des mots violents, de la rancœur, et de détériorer un lien dont l’enfant a tellement besoin par ailleurs.               

ELLE. Certains de vos détracteurs vous qualifient pourtant de psy de réacs, vos positions ont été reprises par plusieurs journaux marqués à droite…               

C.G. Je suis porteuse d’une parole qui n’est pas consensuelle. Je dis que les enfants ne sont pas des créatures angéliques, qu’il faut les punir, les laisser parfois pleurer derrière la porte. J’ai eu peur de passer pour la pire psy du monde, mais j’ai pour moi de dire la vérité. Je fais ce métier pour soigner, pas pour faire de l’idéologie.               

ELLE. Vous qui venez d’une famille qui connaît la notoriété, comment réagissez-vous à l’idée de devenir une psy médiatique ?                

C.G. Ça m’intéresse aussi peu que ça intéressait mon père. C’est même une conséquence plutôt désagréable. Mais la reconnaissance de mes pairs, elle, m’importe beaucoup.               

ELLE. Votre mère était psy pour enfants, votre grand-mère passionnée de psychanalyse, et votre sœur est pédiatre. C’est une affaire de famille ?               

C.G. Les femmes de ma famille sont soit psychologues pour enfants, soit pédiatres. Ma mère était psy en crèche et en PMI. Pour la petite histoire, elle a rencontré mon père à 17 ans et ne savait pas quoi faire. Ma grand-mère paternelle qui n’a pas pu faire d’études était brillante et passionnée par Freud. C’est elle qui lui a conseillé de faire psycho. Vous savez, chez nous, on adore les enfants, on en fait beaucoup [elle en a quatre, ndlr] et c’est très joyeux. On est passionnés par le déploiement des potentialités, par l’amour aussi.                

ELLE. Quelle éducation avez-vous reçue ?                

C.G. La répartition des rôles était assez caricaturale. Ma mère était le pôle d’amour, qui avait tendance à ne pas nous frustrer. Mon père avait une fonction intimidante mais juste, qui permettait une grande richesse de relations. C’est-à-dire qu’il était chaleureux, stimulant sur le plan intellectuel, libre dans son rapport à la fantaisie et au partage. Je suis convaincue que c’est en faisant respecter l’ordre qu’on laisse la place à tout ce qui est merveilleux.

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