Ma famille, mes proches et moi : Fabienne, 51 ans : « J’en arrive parfois à me demander si j’aime encore ma fille »

« Ma fille a 34 ans, elle vit en région parisienne, seule, et ne m’appelle jamais (ou presque) », témoigne Fabienne. « Et lorsque je lui passe un coup de fil, elle me répond – souvent sèchement – qu’elle est pressée et promet de me rappeler rapidement, ce qu’elle ne fait évidemment pas ». Cette infirmière libérale de la région lyonnaise a beau se creuser la tête, elle ne comprend pas pourquoi sa fille unique la rejette avec autant d’acharnement.

Tout ou rien du tout

« Lorsqu’elle était petite, Marie était très câline et nous étions complices, voire fusionnelles », se souvient-elle. « Je l’emmenais partout avec moi, y compris en tournée et j’avais beaucoup de mal à la confier à quelqu’un, même pour aller au cinéma. Mon mari me disait souvent que j’étais trop accrochée à elle et qu’il fallait que je la lâche. Il était convaincu qu’elle allait un jour ou l’autre me le faire payer et me rejeter ».

Patrick ne pensait pas si bien dire. « Notre relation s’est dégradée lorsque Marie est entrée dans l’adolescence », précise la quinquagénaire. « Elle était constamment dans la provocation, ne fichait plus rien en classe et multipliait les reproches envers nous, même si les plus violents étaient toujours dirigés contre moi. Ses mauvais résultats scolaires, ses déboires amoureux, ses kilos en trop… Tout était de ma faute. Je m’étais mal occupée d’elle, je l’avais étouffée, je ne la comprenais pas et interprétais toujours mal ses propos… : j’avais tout faux. Elle savait appuyer sur le bouton sensible et quoi dire ou quoi faire pour me blesser. Avec son père, elle se conduisait différemment. Elle le méprisait et résistait à son autorité – elle était capable de l’ignorer et de ne pas lui adresser la parole pendant des semaines – mais elle pouvait aussi, parfois, être dans un rapport de séduction et se mettre à minauder avec lui devant moi, dans l’unique but, j’en suis sûre, de m’exaspérer ».

Vers une remise en question

Ce sont alors des conflits à n’en plus finir. À croire que Marie n’a qu’une idée en tête : pousser sa mère à bout. « J’ai tout essayé », soupire Fabienne. « Être sévère ou compréhensive, rien ne fonctionnait. Quoi que je disais, quoi que je faisais, elle levait systématiquement les yeux au ciel, ou me jetait un regard empli de haine et partait dans sa chambre en claquant la porte derrière elle ». Certaines journées virent au cauchemar et atteignent des sommets, comme cette fois où Marie sort dans la rue en hurlant que Fabienne n’est plus sa mère.

J’en étais arrivée à traîner les pieds pour rentrer le soir tellement j’appréhendais de la voir.

La mère de famille est à bout. Elle se dit qu’elle a raté quelque chose dans son éducation, mais quoi ? Devait-elle obligatoirement payer ce trop-plein d’amour qu’elle avait déversé sur elle ? Elle avait peut-être fait des erreurs – tous les parents en font -, mais elle ne méritait quand même pas ça.  « Quand je me regardais dans ses yeux, j’avais le sentiment d’être une mauvaise personne, presque une marâtre », raconte-t-elle. « C’est triste à dire, mais j’en étais arrivée à traîner les pieds pour rentrer le soir tellement j’appréhendais de la voir. À certains moments je me demandais je l’aimais encore, même si je chassais très vite cette pensée de ma tête ».

La solution de lâcher prise pour mieux se retrouver

Quand elle s’épanche auprès de Patrick, lui, lui conseille de ne pas jeter d’huile sur le feu. Il fallait bien, martelait-il, « que jeunesse se passe ». Tant que Marie ne dépassait pas certaines limites et ne lui manquait pas de respect – points sur lesquels il resterait intransigeant, promettait-il à chaque fois – il valait mieux qu’elle le prenne sur elle et qu’elle ne dise rien. Il était sûr et certain que tout cela finirait, avec le temps, par passer. « C’était un peu facile à dire pour lui », déplore Fabienne, un poil amère. « Quand il rentrait (tard) le soir, Marie avait souvent déjà dîné et s’était retranchée dans sa chambre. Ce n’était pas lui qui subissait cette guérilla quotidienne ».

Pour se protéger, Fabienne suit néanmoins les conseils de son époux et baisse, autant que faire se peut, les armes. « Je ne voulais pas être constamment en guerre, alors je choisissais les bons combats », explique-t-elle. « J’exigeais de Marie qu’elle me prévienne quand elle comptait découcher et, si possible, qu’elle me dise chez qui elle passait la nuit, mais je fermais les yeux sur sa façon de s’habiller ou de se maquiller ».

Une indifférence croissante

Contrairement aux pronostics de Patrick, la crise d’adolescence de Marie perdure et les rapports entre les deux femmes ne s’améliorent pas. Après avoir raté deux fois son baccalauréat, la jeune fille décroche le fameux sésame et monte à Paris pour faire du théâtre. Elle ne reviendra jamais dans le Rhône. « Au début, elle nous donnait des nouvelles – le strict minimum, évidemment – une ou deux fois par mois », se souvient Fabienne. « Mon mari s’est tout de suite accommodé à ce rythme. Mais moi, j’avais envie de plus. Je voulais tout, sauf rompre le lien avec elle, alors je n’arrêtais pas de dire à Marie que c’était formidable ce qu’elle faisait et que j’étais extrêmement fière d’elle. Il n’empêche : elle ne pouvait pas s’empêcher d’être méchante avec moi. J’avais l’impression que tout ce qui sortait de ma bouche était ridicule et lui faisait honte ».

Les échanges se sont peu à peu espacés. « Je ne sais rien de sa vie », confie Fabienne. « Ma fille est devenue une étrangère pour moi. J’essaie de me rassurer en me disant qu’elle sera sans doute un jour mère et qu’elle aura alors, peut-être, envie de renouer vraiment le contact avec moi. C’est ce que je souhaite le plus au monde ».

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