Misungui Bordelle témoigne sur l’éjaculation féminine : « Je squirte et j’enseigne le squirt »

Misungui Bordelle est dominatrice professionnelle, éducatrice sexuelle et actrice de porno féministe depuis une quinzaine d’années Misungui a de l’expérience en matière d’éjaculation féminine : elle la pratique – notamment lors de ses performances dans des films de porno alternatif – et elle organise des ateliers en petits groupes sur le sujet. De la découverte de son corps à la transmission de son savoir expérientiel, elle nous raconte les émissions fontaine.

La découverte du Squirt

« Depuis aussi longtemps que je me souvienne, je me suis masturbée. Mes souvenirs les plus anciens remontent à quand j’avais six ou sept ans : je me frottais, sur des peluches, entre autres. Parfois, quand je me frottais très fort, je pouvais avoir la vulve un peu échauffée, voire irritée. Dans ces cas-là, il arrivait parfois que du liquide en sorte en grande quantité de moi. Je ne trouvais ça ni positif, ni négatif, je me disais simplement que c’était un réflexe de mon corps lié au fait que j’avais un peu trop forcé… et qu’il fallait une sorte de pompier pour éteindre l’incendie !

C’est beaucoup plus tard que j’ai compris ce qu’il se passait. J’étais étudiante, je faisais un master en études de genre. Je m’intéressais alors, dans le cadre de mon mémoire, au féminisme pro-sexe, à ces militantes et à ces performeuses qui utilisent leur corps et leur sexualité pour des revendications politiques. C’est comme ça que je suis tombée sur Diana, Porno Terrorista. Elle était de passage à Paris, et elle donnait un atelier démonstration sur le squirt à la Mutinerie. J’y suis allée, et au fur et à mesure de son cours magistral sur l’éjaculation féminine… Ça m’est monté au cerveau ! Je me suis dit : Ah oui ! C’est ça qui m’arrive en fait !

Une fois que j’ai compris que je vivais quelque chose qui avait un nom, qui était une expérience partagée par d’autres personnes, je me suis mise à éjaculer beaucoup plus souvent. Ça arrivait toujours lorsque j’étais seule, car j’éjaculais par frottement, et personne ne m’avait jamais frottée comme il le fallait pour que ça arrive. Lorsque j’étais avec mes partenaires, nous avions une sexualité plutôt pénétrative, et la pénétration avec un pénis ou des doigts — puisque je suis bisexuelle — n’avait jamais déclenché d’éjaculation chez moi. J’ai commencé à m’intéresser à ce qu’était l’éjaculation féminine, à son mécanisme, et surtout à comment on pouvait faire pour mieux la maîtriser. Je voulais pouvoir décider quand je trempais mes draps ! J’ai avalé toute la littérature existante à l’époque, c’est-à-dire pas grand-chose. Et j’ai commencé à faire plus attention aux sensations que le squirt me procurait.

Explorer son corps et ses sensations

Un jour, quelques années plus tard, je faisais une séance de Shibari avec un de mes partenaires. Il m’avait attachée et il avait bloqué un Magic Wand contre mon sexe. Ça m’a fait jouir, et après l’orgasme, le vibro qui était coincé là a continué à faire des vibrations fortes contre ma vulve. C’était une sensation particulière, à la fois désagréable et agréable ! Et dans cette sensation-là, j’ai éjaculé. C’est comme ça que j’ai identifié ce qui déclenchait cette sensation si particulière qui faisait que j’éjaculais. À partir de là, j’ai exploré, d’abord avec le Magic Wand, puis seulement avec mes mains, et peu à peu, j’ai réussi à maîtriser mon squirt. Maintenant, je peux éjaculer sur commande en cinq secondes ! Bon, il faut quand même que je sois hydratée… En tout cas, c’est à partir de ce moment-là que ça a commencé à être empouvoirant pour moi. Je me suis vraiment approprié mon éjaculation, et c’est devenu mon superpouvoir.

En revanche, ça n’a jamais été quelque chose de particulièrement orgasmique pour moi. Au niveau des sensations purement physiques, ça me procure moins de plaisir que l’orgasme clitoridien. Bien sûr, les sensations peuvent être agréables. C’est un peu comme quand on a très envie d’uriner, et que finalement, au bout d’un long moment à se retenir, on a enfin l’occasion de faire pipi… C’est extrêmement agréable d’uriner à ce moment-là, mais ce n’est pas non plus un orgasme. En plus de cette sensation de soulagement très fort, il peut y avoir un sentiment de puissance, parce qu’il peut y avoir une contraction du corps et en même temps une expulsion qui est quelque chose de spectaculaire et qui peut amener des sensations de type explosions, relâchement… Mais c’est déjà une interprétation symbolique de ma part. En fait, pour moi, l’intérêt de cette pratique est plutôt dans toute la symbolique qu’on va mettre dedans, et dans la dynamique que l’on va avoir avec son ou sa partenaire.

De manière générale, quand j’explique à un ou une partenaire que ça m’arrive d’éjaculer, il y a plutôt de la curiosité et une forme d’enthousiasme. Parfois tellement d’enthousiasme, même, que j’ai plutôt eu à expliquer que non, ce n’était pas l’orgasme ultime et qu’il ne fallait pas absolument me faire éjaculer pour être un « bon coup » à mes yeux ! À un moment, j’ai eu un partenaire à qui ça plaisait beaucoup de recevoir mon éjaculation sur le visage, et même de la boire. Ça a été l’occasion pour moi d’explorer le fait d’éjaculer dans une dynamique empouvoirante, là aussi.

Une expérience différente pour chaque femme

Comme j’anime depuis cinq ou six ans des ateliers sur le squirt, j’ai rencontré des dizaines et des dizaines de femmes qui éjaculent. Et elles ont toutes une expérience et un ressenti très différent ! Il y a des femmes qui aiment éjaculer quand elles se masturbent seules et qui y prennent un plaisir dingue, mais qui n’y arrivent pas avec leur partenaire. Il y a des personnes qui n’y arrivent pas seules, mais qui y arrivent avec un partenaire et qui trouvent ça génial. Il y a des personnes à qui ça arrive et qui trouvent ça vraiment désagréable et qui ont juste envie que ça s’arrête. Il y a des personnes un peu comme moi qui ne trouvent pas ça désagréable, mais qui ne trouvent pas non plus ça fou, et qui vont simplement l’utiliser comme un des outils dans leur boîte à outils de créativité sexuelle.

Mes ateliers d’éducation sexuelle sont à la fois théoriques et pratiques. J’essaye de transmettre mes connaissances en éducation sexuelle d’une manière directe, concrète, pour pallier une éducation qui me semble trop scolaire, avec des livres et des schémas qui ne font pas vraiment sens quand il s’agit de la chair. On n’arrive pas forcément toujours à faire le lien entre un concept abstrait et son propre corps.

Quand on parle de squirt, on parle toujours du « viens par ici » et donc des deux doigts qui exercent une pression vers la zone G. Dans toute la littérature féministe que j’ai trouvée sur la question de l’éjaculation féminine, dans la plupart des comptes Instagram d’éducation sexuelle, je n’ai rien trouvé d’autre. Selon moi, c’est une technique qui effectivement fonctionne, mais qui est très désagréable pour moi. C’est comme si on voulait me forcer à uriner. Ça me fait mal ! Et en plus, le fait d’avoir quelque chose à l’intérieur de mon corps quand j’éjacule, ça me gêne. Ça bloque, ça coince, ça m’empêche de complètement expulser tout ce que je veux. À un moment donné, j’avais essayé avec mon partenaire d’éjaculer avec l’aide d’un Magic Wand, alors qu’il avait son pénis à l’intérieur de mon vagin, et j’ai eu beau essayer, essayer, essayer, inéluctablement, au moment de l’éjaculation, soit ça me bloquait, soit j’expulsais son pénis avec mon périnée ! C’est la spécificité de ma technique personnelle, basée sur la stimulation externe, qui m’a donné envie de proposer des ateliers sur le squirt.

Dans cet atelier, je fais une démonstration. Une fois que j’ai montré comment je faisais, on rentre dans les détails de l’anatomie et de la physiologie. Je ne propose pas aux participantes de pratiquer pendant l’atelier parce que j’estime que ce n’est pas pertinent. Si on n’a pas déjà éjaculé chez soi, toute seule dans son coin, on ne va pas éjaculer en rond, en groupe, devant des gens qu’on ne connaît pas ! Et si on a déjà éjaculé, on n’a pas besoin d’éjaculer pendant l’atelier. En revanche, je donne des tips, j’explique vraiment bien comment ça fonctionne pour moi. J’explique aussi d’autres méthodes, comme la méthode pénétrative. Ensuite on a une longue discussion ensemble, parce qu’en général, il y a au moins la moitié des personnes qui viennent qui ont déjà expérimenté le squirt. Ça crée une conversation intéressante entre personnes qui n’ont pas expérimenté et personnes qui ont expérimenté. Il n’y a pas que mon point de vue, il y a aussi celui des personnes qui participent. C’est très riche. »

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