Santé

Nadège, 44 ans, fait la grève du sexe depuis cet été : « Le sexe pour régler les problèmes, apaiser les tensions, c’est fini »

Cette semaine sort le nouveau livre d’Ovidie : « La chair est triste hélas ». Dans ce premier texte de la collection « Fauteuse de trouble », menée par Vanessa Springora chez Julliard, Ovidie évoque sa grève du sexe, ou plutôt sa « sortie de la sexualité́ » il y a quatre ans. Figure du féminisme pro-sexe en France, ex-réalisatrice de films pour adultes et autrice de nombreux essais et documentaires à la croisée du sexe et du féminisme, Ovidie écrit dans ce dernier livre, son plus intime à ce jour : « Un jour, je n’ai plus pu », « Un jour, j’ai arrêté le sexe avec les hommes ».

C’est aussi ce que raconte Nadège dans le témoignage de cette semaine. Depuis son entrée dans la sexualité, elle aime aimer, elle aime le sexe. Pourtant, un jour, une prise de conscience : elle réalise qu’elle a grandi puis mûri avec l’idée que sa sexualité de femme pouvait servir. Servir à apaiser les tensions, à fluidifier la communication, à faire rouler la relation de couple, en somme. Elle dit stop. Elle commence une grève du sexe, et découvre l’empouvoirement de pouvoir écouter sa tête, son corps, son sexe, et dire : Non.

« J’ai grandi entourée de mes deux parents, tous les deux cathos, et profs de biologie. Ils étaient à l’aise avec la nudité : le corps, le sexe, n’étaient pas tabou. L’été, on partait en vacances dans les Landes faire du naturisme, on était tous tout nus. Ils avaient beaucoup de rapports sexuels, je les ai souvent entendus. J’ai grandi avec cette idée que le sexe a une place importante dans le couple, dans la vie familiale.

Quand je suis arrivée à l’adolescence, ma mère a commencé à me parler de sexualité plus directement. Elle m’a expliqué que les hommes avaient plus de besoins sexuels que les femmes. Et que donc, quand on est une femme, passer à la casserole, pour que son mari soit plus sympa, pour que l’ambiance à la maison soit plus agréable, pour avoir la paix, en somme… Eh bien c’était normal. Pas de quoi en faire un drame ! Bon…

Je commence à avoir des rapports avec des garçons, c’est très agréable ! Puis je vis une première fois pénétrative avec un homme dont je suis amoureuse. J’ai 17 ans, lui 24. Cette première fois se passe très bien, les fois suivantes aussi ! Avec cet amoureux, on reste ensemble 3 ans, on emménage à Paris, on fait l’amour tout le temps, c’est le bonheur.

Une douleur banalisée

Je tombe enceinte. Je subis une IVG à 19 ans. Ça, c’est un traumatisme. En fait, je n’ai jamais été traumatisée dans l’intimité, je n’ai jamais été agressée, abusée ou violée, je n’ai eu que de belles expériences sexuelles. Pour moi, le sexe, ça a toujours été quelque chose de positif. En revanche, j’ai vécu de vrais traumas sexuels dans la sphère médicale. Ce sont des gynécos, des infirmières qui m’ont fait mal. Et en plus, double peine, ma douleur a été banalisée.

Parfois c’est vrai que ça n’est vraiment pas agréable

À̀ 20 ans, ce premier amoureux me quitte… Je rencontre rapidement d’autres hommes, je continue d’avoir une sexualité régulière et active, agréable. À̀ 22 ans, je rencontre le père de mes enfants, Cédric. Sexuellement, avec Cédric, c’est génial. On s’installe ensemble. Je tombe enceinte à 23 ans, et voilà̀ : on a une petite fille. On est super contents, tout va bien. À̀ 25 ans, je tombe enceinte de notre deuxième enfant. Et c’est à ce moment-là, au début de ma grossesse, que je découvre que Cédric m’a trompée. Je suis enceinte de trois mois d’Emmanuel. Juliette a un an et demi et… le monde s’écroule. Qu’il ait pu coucher avec une autre, c’est affreux. Je n’en parle à personne, parce que j’ai honte de ce qu’il m’arrive. J’ai l’impression d’avoir échoué, d’avoir raté quelque chose. Je finis quand même par en parler à ma mère. Elle me dit : « les hommes ont d’autres besoins que nous, c’est tout à fait normal… Ne t’inquiète pas ! »

Ça ne me convient pas vraiment, comme explication, mais bon, de toute façon, qu’est-ce que je peux faire ? J’ai 25 ans, j’ai une petite fille, je suis enceinte et donc… on reste ensemble, la vie continue ! On n’a jamais trop parlé de ce qui s’était passé avec Cédric. Cédric est quelqu’un qui communique peu. Notre couple perdure. Sexuellement, c’est toujours super. Mais après la naissance de mon second, je commence à avoir des douleurs lors des rapports. Parfois, c’est vrai que ça n’est vraiment pas agréable. Au début, je n’ose pas lui en parler. Puis finalement, je le lui dis. Mais bon, ça n’a pas vraiment d’effet sur nos pratiques. Je suis embêtée par ces douleurs. J’en parle à ma gynéco, mais apparemment, il n’y a pas de raison physique que j’aie mal… C’est sûrement dans ma tête…

Mon corps, mon choix

Les années passent. Tranquillement. Les douleurs s’estompent, disparaissent. Je n’y pense plus. Et puis, un jour, on a un rapport dont je me rappelle très bien… J’ai mes règles, je n’ai pas envie de faire l’amour. Je me dis : bon, c’est pas si grave. Je passe outre, et on fait l’amour, évidemment sans protection. Et… je tombe enceinte. Là, c’est une catastrophe pour Cédric qui ne veut pas de troisième enfant. Il veut absolument que j’avorte. Il me dit très clairement que si je le garde… Il me quitte. Ayant déjà avorté une fois à 19 ans, je sais que deux avortements, ça n’ira pas. Et puis j’ai 29 ans, on est une famille, tout va bien, on n’a pas de problèmes financiers… Je ne vois pas de raison valable de faire subir à mon corps une autre IVG. Je me dis : en fait, si j’avorte pour lui, je sais que notre couple, c’est fini. Du coup, je décide de garder cet enfant.

Cédric me fait la gueule pendant neuf mois. Pendant toute la grossesse, il ne m’adresse pas la parole. Le jour de l’accouchement, il m’accompagne. Ça se passe bien. Il rencontre sa fille, Justine, il est très content finalement d’avoir ce bébé. Tout est bien qui finit bien, la vie se poursuit tranquillement. On a toujours une vie sexuelle très active. Alors, ce n’est pas tous les jours, mais trois ou quatre fois par semaine sans problème.

Ça m’arrive de faire l’amour avec lui alors que je n’en ai pas envie

Et puis, peu à peu, on s’éloigne. Toute la famille déménage dans le sud, mais Cédric continue de bosser à Paris. Parfois il est absent trois semaines, un mois. Quand il rentre, je stresse : il ne faut pas que j’aie mes règles, il faut que j’aie envie de faire l’amour. La vie sexuelle commence à devenir moins naturelle. Le souci c’est que Cédric, s’il ne fait pas l’amour, c’est quelqu’un qui peut être très chiant et très désagréable ! Donc ce que me disait ma mère : passer à la casserole pour avoir la paix… eh bien je commence à faire ça. Deux fois sur trois, j’ai envie. Mais une fois sur trois, je n’en ai vraiment pas envie. Souvent, je ne regrette pas, parce qu’au final je prends du plaisir et c’est chouette. Mais il arrive quand-même aussi que j’aie ces douleurs qui reviennent, et que je passe un moment vraiment pas cool. Dans ces cas-là, je dis : non, là, ça fait mal, j’arrête.

Il y a deux ans, ça fait 20 ans qu’on est ensemble avec Cédric, et c’est un peu tendu entre nous. Je n’ai plus de boulot, notre grande fille a quitté la maison, les enfants grandissent. Il y a plein de choses qui font qu’entre Cédric et moi, ça commence à merdouiller gentiment, mais sérieusement. Un jour, on a une discussion, on se prend la tête et on parle de nos rapports sexuels. Il me dit que pour lui… j’ai quand même un petit souci à ce niveau là. Parce que voilà, on ne fait l’amour que trois ou quatre fois par semaine.

Je lui dis : Non mais tu te rends compte ? Ça fait plus de 20 ans qu’on est ensemble ! Est-ce que toi, tes potes font l’amour tous les jours avec leur nana ? Moi en tout cas, mes copines, je n’en ai pas beaucoup qui sont avec le même mec depuis 20 ans. Et la plupart ne font pas l’amour tous les jours ! Pendant cette discussion, je lui dis que ça m’arrive de faire l’amour avec lui alors que je n’en ai pas envie. Parce que j’ai envie que l’atmosphère soit cool à la maison, parce qu’effectivement, s’il n’a pas « tiré son coup », il est chiant ! Je lui dis ça sans façon, parce que pour moi, c’est entendu, tout le monde fait ça !

Adieu les pincettes ?

Cédric tombe des nues. Il ne comprend pas. Lui s’il n’a pas envie de faire un truc, il ne le fait pas. Il ne prend pas de pincettes pour dire non ! Donc pour lui, c’est vraiment un choc. Pendant plusieurs jours, je le sens vraiment déstabilisé. Et arrive le moment où j’ai envie de faire l’amour. Je viens vers lui et il me dit : non. C’est plus la peine qu’on fasse l’amour. Ça sert à quoi ? De toute façon, si ça se trouve, tu n’as pas envie, tu fais ça pour me faire plaisir. Ça ne sert à rien, ça ne sert plus à rien…

J’ai découvert qu’on pouvait dire non

Face à Cédric, je me rends compte d’un truc fou : on peut dire non au sexe ! Cédric peut utiliser l’absence de sexe pour faire passer un message, pour dire qu’il n’est pas d’accord, pas content ! Au bout d’un mois, Cédric me fait comprendre qu’il veut reprendre une activité sexuelle avec moi. Mais moi… Je trouve que notre situation n’a pas évolué. Je n’ai pas envie. Et… j’ai découvert qu’on pouvait dire non. Que j’ai le droit de dire non, parce qu’en fait c’est mon corps, et que là, Cédric, il me saoule !

Je décide que je fais la grève du sexe. Je décide que le sexe pour régler les problèmes, apaiser les tensions, c’est fini. Du coup, il y a de grosses tensions dans notre couple. Cédric m’explique que pour lui, on peut se prendre la tête toute la journée, mais faire l’amour le soir, c’est un moment de détente. Pour moi, ce n’est pas OK ! S’il me fait chier toute la journée, moi le soir, je n’ai pas envie de m’envoyer en l’air ! La tête et le corps, c’est un tout. Après toutes ces années, je m’affirme. C’est une victoire, à 40 ans passés de me dire : mais en fait, je peux faire ce que je veux avec mon corps, avec ma tête ! Et même si c’est le père de mes enfants, même si je l’aime, il n’y a pas de raison. J’ai le droit que mon corps ne soit pas instrumentalisé, j’ai le droit de dire Non.

Je me réapproprie mon corps

Je ne fais toujours pas l’amour avec Cédric. Je ne sais pas où ça va aller entre nous, mais je ne veux pas reprendre une sexualité avec lui tant qu’on n’aura pas communiqué et réglé nos problèmes. Je pense beaucoup à ma grande fille qui a 21 ans. J’espère qu’elle n’a pas le même schéma que moi dans sa vie sexuelle de jeune femme. Je n’ai pas eu une vie affreuse, je n’ai pas de grave traumatisme par rapport à mon corps, au sexe… Mais quand même, je trouve ça incroyable, cette pression qu’on vit quand on est une femme. Même si c’est sur le tard… Heureusement que je me suis rendue compte qu’on fait ce qu’on veut de notre corps ! »

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