Santé

Neurosciences, toutes puissantes : et si la clé du bonheur était notre cerveau ?

 « S’appuyant sur les dernières découvertes en neurosciences. » Cet argument choc semble s’être immiscé dans tous les domaines de nos vies contemporaines. Médecine, psychologie, éducation et même développement personnel… les neurosciences sont partout et brandies à toutes les sauces. Elles permettraient tour à tour de mieux comprendre la dépression, de lutter contre l’échec scolaire, d’éduquer nos enfants ou encore d’apprendre une langue étrangère sans difficulté. Depuis quelques années, elles ont acquis une autorité morale et sociale et sont de tous les débats d’une société qui veut que chacun développe son plein potentiel. Hugo Bottemanne, psychiatre, chef de clinique à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheur en neurosciences à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), définit les neurosciences ainsi : « C’est une discipline scientifique qui a pour objectif de comprendre le fonctionnement du cerveau. Elles ont été utilisées pour essayer de donner une dimension biologique à la psychologie et comprendre quels étaient les mécanismes naturels derrière les pensées, les émotions ou les comportements humains. Comment une émotion est-elle générée ? Comment une pensée apparaît-elle ? » Parmi les champs de recherche dont les neurosciences sont à l’origine, les neurosciences cognitives, qui se concentrent sur la perception, le langage, la motivation, les émotions ou la créativité, sont les plus connues du grand public. Et il faut dire qu’elles fascinent toujours plus.

Comprendre son cerveau

Anaïs Roux, psychologue spécialiste des neurosciences et autrice de « Neurosapiens. Comment utiliser votre cerveau pour vivre mieux ! » (éd. Les Arènes), a pour ambition de vulgariser le fonctionnement du cerveau. En 2020, elle a créé le podcast Neurosapiens, qui comptabilise plus d’un million d’écoutes à ce jour. « Les gens veulent se connaître et se comprendre pour mieux contrôler les émotions négatives générées par le stress et la peur. C’est dans cette optique qu’ils se saisissent des connaissances scientifiques pour être rassurés », explique-t-elle. Une analyse que partage Alain Ehrenberg, directeur de recherche au CNRS et auteur de « La Mécanique des passions.  Cerveau, comportement, société » (éd. Odile Jacob) : « Les neurosciences cognitives cristallisent dans un langage scientifique des idéaux sociaux majeurs de nos sociétés, comme la régularité, l’autonomie individuelle, la liberté de choix, et donc la nécessité de changement personnel pour vivre mieux dans une société d’individualisme de masse où il faut s’appuyer sur ses propres ressources. » Un nouveau terrain de jeu qui permet aujourd’hui non seulement d’expliquer certains comportements humains, de mieux comprendre les émotions, mais aussi de favoriser l’apprentissage. C’est par exemple la méthode de Céline Alvarez (son livre « Les Lois naturelles de l’enfant », paru aux Arènes, s’est écoulé à plus de 220 000 exemplaires), qui propose de laisser de côté les apprentissages fondamentaux au profit de quelques jeux et activités simples pour renforcer les « fonctions exécutives » de l’enfant, qui l’aideraient à mieux se concentrer. En entreprise aussi, les neurosciences séduisent : depuis 2021, la start-up Zenmon Drops s’appuie sur la discipline pour s’attaquer à la gestion des ressources humaines et à la qualité de vie au travail.

Peut-on se fier uniquement à notre cerveau ? 

Mais attention aux fausses promesses. L’essayiste Idriss Aberkane, conférencier devenu gourou du développement personnel (et figure de proue du mouvement antivax), est régulièrement accusé de mentir sur sa formation scientifique et de vendre des formations prétendument basées sur les neurosciences et vivement critiquées par les spécialistes. Le compte Instagram @Neurosciences-Officiel, suivi par 37 000 abonnés, propose de « [rejoindre] les neurosciences et de [ne pas rater] l’opportunité d’une vie ». Grâce à ses formations à la Neurosciences Academy, le compte promet un « super cerveau ». Sans que l’on sache vraiment de quoi il s’agit… Dans un autre registre, certains coachs en relations amoureuses proposent de trouver l’amour grâce aux neurosciences, voire de récupérer un ex. Plutôt alléchant. Comme sur la promesse d’apprendre l’anglais sans effort grâce aux neurosciences, Hugo Botte-manne se montre sceptique et parle d’une « nouvelle religion cérébrale rarement portée par les scientifiques eux-mêmes ». S’il salue la « révolution de compréhension » de phénomènes jusque-là mystérieux, comme la dépression, il regrette la « transformation de concepts issus de découvertes neuroscientifiques en termes psychologiques ou de vie quotidienne » : « Dans des pratiques de développement personnel, beaucoup de concepts sont totalement vidés de leur substance. D’autant que la plupart des expériences neuroscientifiques sont réalisées sur des modèles animaux avec des translations parfois trop rapides entre l’animal et l’humain. » Plus grave : en 2008, un tribunal de l’État indien du Maharashtra a condamné une jeune femme accusée d’avoir empoisonné son mari au cyanure, sur la base d’une expertise neuroscientifique. Et, aux États-Unis, plusieurs études ont montré que présenter à des jurés des images neuroscientifiques de cerveaux dans le cadre de procès biaise leur jugement.               

Que l’on parle de l’intégration des neurosciences cognitives dans les domaines de l’éducation, de la psychologie ou encore de la justice, toutes ces applications posent la même question : peut-on se fier uniquement à notre cerveau ? Non, répond Hugo Bottemanne : « L’individualisme qui a gagné nos sociétés fait que nous voulons rechercher la causalité de mécanismes qui nous touchent uniquement dans notre boîte crânienne. On a tendance à oublier toutes les autres formes de causalités sociales. » C’est ce qu’Anaïs Roux tente de transmettre aux auditeurs de Neurosapiens : « J’ai voulu faire de la vulgarisation, mais ces connaissances sur le cerveau ne sont pas toutes-puissantes et sont à prendre avec du recul et à intégrer dans une dynamique globale. Nous ne sommes pas prédestinés par notre cerveau. » Et heureusement, car il serait alors impossible de blâmer les autres pour nos propres échecs.

                                            

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