Santé

Pour Noël, j’offre une lettre d’amour à mes enfants

« C’est mon cadeau ? C’est pas mon cadeau quand même ! » J’imagine déjà la tête de mon Chevelu de 14 ans quand je lui tendrai un simple courrier au Réveillon de Noël. 

Le Chevelu attend fermement le dernier jeu vidéo à la mode. Il l’aura, mais cette lettre est mon véritable cadeau. J’ai eu besoin de cinq minutes pour commander « Cyber Punk 2077 », mais j’ai passé plusieurs heures à rédiger les mots que je vais lui transmettre et autant de temps à concocter la version destinée à la Princesse brutale qui lui sert de petite sœur. 

A leur âge, à Noël, je collectais les billets de 100 francs pour m’offrir le CD de Vanessa Paradis, des places de cinéma et du papier à lettres fantaisie. Aujourd’hui, ils écoutent toute la musique qu’ils veulent — et même celle qu’ils ne connaissent pas — depuis leur compte Spotify Family. Le cinéma est fermé mais Netflix, Youtube et Twitch ont de toute façon leur préférence. Quant aux lettres, je ne crois pas qu’ils en aient écrit d’autres que celles envoyées au Père Noël quand ils étaient plus petits.

Les Noëls passent, une chose ne change pas

Qu’offre-t-on aux enfants des années 2020, noyés dans les objets, captivés par les écrans, dotés de tous les trésors qui m’importaient à leur âge ? Mes enfants sont-ils capables de se souvenir des cadeaux des Noëls précédents ? Moi-même, je ne m’en souviens pas. 

Mais il y a une chose qui ne change pas. Ils auront toujours besoin d’avoir confiance en eux. La confiance en soi peut se transmettre par l’optimisme ou la valorisation des succès. Moi, j’ai voulu leur parler de leurs qualités.

Il y a un moment que je trouve émouvant dans la petite enfance : celui où l’on met le doigt pour la première fois sur un trait de caractère de notre petit. Avant il était juste « un bébé », puis un jour on commence à noter qu’il gigote beaucoup par rapport à la fille d’Elise, qu’il a très peur d’une chose qui indiffère son petit cousin ou qu’il mange comme un ogre comparé au gamin de Jacques. Le bébé n’est plus « un bébé », il devient notre enfant, on le reconnaît, on est capable d’en parler en détails, de lui trouver des particularités.

Dix ou douze ans plus tard, quand commence l’adolescence, les enfants sont devenus un monceau de particularités. Avec des traits de caractère que nous apprécions et d’autres qui nous plaisent moins — parfois beaucoup moins. Pourtant, eux entrent dans une phase où ils ne vont cesser de s’interroger sur leur identité. Qui sont-ils ? Qu’est-ce qui les distingue des autres ? Ils se trouvent nuls. Et puis personne ne s’intéressera à eux. D’ailleurs, ils n’y arriveront pas : à se faire des copains, à réussir à l’école, à percer dans leur sport… Une petite musique que chaque individu a entendu en soir à un moment ou un autre.

Plus que n’importe qui, je sais ce qui m’émeut en eux

L’heure de leur offrir une lettre d’amour est venue. Plus que n’importe qui, je sais leur parler de ce qui m’émeut en eux. J’ai vu grandir durant toutes ses années les goûts qui les caractérisent et les rendent merveilleux à mes yeux. Pour une fois, il est bon de fermer les yeux sur l’insupportable insolence de la Princesse brutale, ou les habitudes de chapardeur de chocolat du Chevelu. Ils vont en entendre parler aussi longtemps qu’ils habiteront chez moi et certainement après, mais aujourd’hui, je veux leur rappeler qu’ils sont formidables, beaux, intelligents. Que cette petite remarque que le Chevelu a faite l’autre jour montre toute sa finesse, et que telle façon d’agir témoigne, chez ma Princesse brutale d’une volonté hors normes. Je voudrais pour une fois prendre le temps de caresser chacune de leurs aptitudes et leur dire qu’ils sont de belles personnes, loin des cris du quotidien, des batailles du confinement, des – rares – punitions.

Je voudrais qu’ils commencent 2021 en se sentant sereins, munis de tout ce qu’il faut pour affronter la vie et y prendre plaisir. Qu’ils se sentent armés. «  Affronter », « armer »… Le champ lexical devient guerrier ? Y a t il un danger ?

2020 n’y est pas pour rien, en effet. Il n’y a pas que leur entrée dans l’adolescence qui m’a donné envie d’écrire ces lettres. Cette année, plus que n’importe quelle autre, nous nous sommes demandé ce qui était « essentiel ». Cette année, plus que n’importe quelle autre, nous avons rogné sur nos libertés, considéré la plus petite cellule sur laquelle nous replier. Enfermés, nous avons rêvé de grands espaces, de fêtes, d’embrassades, de contacts. Cette année, plus que n’importe quelle autre, nous avons aussi envisagé la mort. 

Mon amour à nul autre pareil

J’ai pensé à tout ce que je n’avais pas eu le temps de dire à mes enfants, tout ce que je voulais être sure qu’ils sachent si je disparaissais. J’ai pensé à ce que je voulais qu’ils gardent de moi, pour toujours. Mon amour à nul autre pareil. Ma certitude qu’ils trouveront leur place dans l’existence. Que vivante ou non, je serai à leurs côtés.

Et alors que l’annus horribilis se termine, je prends le temps d’observer leurs gestes, leurs rires, leurs sujets de préoccupations (Quand sort la prochaine saison de « L’Attaque des titans » et de « Stranger Things » ? Verra-t-on Mamie à Noël ?). Je vois des enfants qui vont bien, sont heureux de vivre, ont aimé revenir à l’école. Je veux leur dire que je les aime, qu’ils sont pleins de qualités et, enfin, consigner ce bonheur ordinaire de les avoir près de moi. Il faut archiver ce bonheur, qu’on se souvienne ensemble de ce qui importait pour nous à ce moment, et du plaisir que nous avons eu à vivre ensemble après tous ces événements. Cette lettre, je souhaite qu’ils la rouvrent dans dix ans et qu’ils se disent : « C’était aussi ça 2020, finalement. On a été heureux. » 

[Edit 2021] Et alors ? Est-ce que ça marche ? J’ai écrit ce texte avant Noël 2020 et il m’a semblé intéressant de raconter la suite un an plus tard. Comment ont réagi mes enfants ?

J’ai imprimé la lettre de chacun, je l’ai mise dans une enveloppe et le jour de Noël, je leur ai donné au réveil. J’ai attendu dans la cuisine. Mon fils est apparu en premier. Il m’a entourée de ses grands bras, lui qui maintenant me dépasse, et a répété longtemps « Merci, merci, merci. » « Je la garderai toujours ta lettre, maman », a-t-il lâché en desserrant son étreinte. Plus tard, la Princesse brutale est venue en trombe toute excitée : « Mais c’est génial ce que tu as écrit ! »

Un an plus tard, je sais qu’ils ont toujours ma lettre. Le Chevelu m’en a demandé une autre pour ce Noël, je lui ai répondu que ce n’était pas un exercice qui se dupliquait. Quand je me souviens de ce jour-là, de leur ravissement et de leur tendresse, je me rends compte que c’est d’abord à moi que j’ai fait un cadeau.

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