Santé

Quels sont les mécanimes de la réussite ? Un essai lumineux analyse le talent

Si on nous serine avec nos régions qui ont du talent, les vrais talents, eux, ne sont pas légion. Marie Curie, Mbappé, Mozart, Beyoncé, ces bons génies qui depuis l’enfance nous protègent du haut de leur poster accroché dans nos chambres, nous inspirent, nous émerveillent… et nous écrasent. On attribue leurs exploits tantôt à un don, tantôt à des capacités de travail surhumaines, souvent aux deux. Et on se berce d’un storytelling trop beau pour ne pas être vrai. Au point d’oublier que leur réussite les dépasse plus qu’on ne le croit. Et si le talent n’existait pas ? C’est ce que soutient la neuroscientifique Samah Karaki dans « Le talent est une fiction » (éd. JC Lattès). Il est temps de déboulonner les idées reçues sur cette notion source d’anxiété et de fausses fiertés.                                                                                        

LE GÉNIE, C’EST DANS LES GÊNES : faux

Dès leurs premiers areuh, on guette des signes de prédisposition chez nos petits. Tel braille avec une justesse inégalée ? Aucun doute, il a l’oreille absolue. Pourtant, une récente étude menée par la psychologue japonaise Ayako Sakakibara conclut que cela aussi peut s’apprendre. « On ne peut pas tous devenir des super-musiciens pour autant, tempère Samah Karaki. Ce qui est intéressant, c’est que les gènes associés à l’oreille absolue sont liés aux compétences auditives, on les trouve, par exemple, chez les gens qui parlent le mandarin, il y a un aspect culturel. » Il est loin, le mythe d’un destin cartographié dans nos chromosomes. « Aujourd’hui, on sait que le code génétique fonctionne comme une recette qui interagit avec l’environnement. Des sœurs Haim à Maria Anna et Amadeus Mozart ou Angèle et Roméo Elvis, de Serena et Venus Williams aux Jackson Five, on a pourtant un doute. « C’est qu’on fait le raisonnement à rebours. Devant ces exemples exceptionnels, on déduit que c’est héréditaire. Mais, dans les familles, on hérite aussi de codes sociaux. Pratiquer la musique peut être une manière de se sentir appartenir au groupe. » C’est ainsi que le « prodige » Amadeus et son génie oublié de sœur avaient un point commun de taille : papa Mozart, non seulement musicien, mais aussi pédagogue, qui avait inventé sa propre méthode d’apprentissage.

© Jon Furniss Photography/AP/Sipa

LE TRAVAIL FINIT PAR PAYER : faux                              

Mais alors, si rien n’est écrit, cela veut dire qu’on peut s’élever à la simple force de nos menus poignets ? Exceller au 400 m haies, révolutionner le twerk ou devenir virtuose de la cornemuse ? D’après la théorie développée par le psychologue Karl Anders Ericsson, dix mille heures seraient suffisantes pour maîtriser n’importe quelle compétence. Entendons-nous par « suffisantes », cela représente trois heures de pratique par jour pendant dix ans. Heureusement, Samah Karaki est là pour brosser dans le bon sens le poil qui nous pousse dans la main. Twerker un jour férié, il faut avoir envie. Or, l’envie elle-même ne dépend pas que de nous. « On dit souvent que quand on veut on peut, moi, je préfère dire que quand on peut on veut », affirme-t-elle. Quèsaco ? Nos désirs eux-mêmes seraient façonnés par notre environnement. D’où l’importance du travail mené ces dernières années pour réinventer nos imaginaires. Si je sais qu’une femme peut devenir Marie Curie, j’aurai plus de facilité à désirer devenir scientifique et résister aux inévitables moments de découragement… Mais, même alors mes dix mille heures pourraient ne pas suffire à faire de moi une virtuose. Samah Karaki cite l’exemple de Maradona. Un joueur manifestant les mêmes dispositions, mais qui serait né au Japon, n’aurait pas atteint le génie du champion argentin. La faute au futsal, ce dérivé du football qui se joue sur des terrains plus étroits, développé en Amérique du Sud pour des raisons économiques. Cette pratique a permis à tout un continent de développer la technicité de ses passes. Le travail ne conduit à l’excellence qu’allié à des dispositifs pédagogiques performants. Or, ces dispositifs sont le fruit d’une histoire collective dont nous ne sommes pas responsables. Alors, on glande ? Non, surtout pas. Enfin, on fait comme on veut. Mais on apprend à tirer moins de gloire de nos réussites et moins de honte de nos échecs.

“AUX ÂMES BIEN NÉES, LA VALEUR N’ATTEND POINT LE NOMBRE DES ANNÉES” : vrai

Le « New York Magazine » a fait sensation en décembre dernier avec une « une » sur les « nepo babies ». Comprenez : les enfants du népotisme. Zoë Kravitz, Lily-Rose Depp ou Maude Apatow y figuraient dans leur berceau autour d’un titre catchy : « Elle a les yeux de sa mère. Elle a aussi son agent. » L’Amérique redécouvrirait-elle Bourdieu ? Cela ne fait plus de mystère, au-delà du capital financier, le capital social et culturel joue un rôle clé dans le succès. Pourtant le débat continue d’enflammer Hollywood. « C’est normal que les parents donnent des avantages à leurs enfants quand ils en ont, analyse Samah Karaki. Ce qui pose question, c’est quand Lily-Rose Depp prétend qu’elle s’est faite par elle-même. Elle pourrait plutôt dire : “Oui, j’ai eu cet avantage, mais j’en ai fait quelque chose.” » Car, de ces inégalités non plus les « nepo babies » ne sont pas responsables. Au fond, le regard de Samah Karaki est d’une grande compassion. Elle reproche à nos fiertés mal placées de nous éloigner de la liberté. « Reconnaître les avantages qu’on a eus, y compris l’amour que l’on a reçu, n’enlève rien à la singularité de nos trajectoires. On a une part dans nos choix, même s’il ne faut pas l’exagérer. Notre marge de manœuvre est fine, mais elle ne peut s’exprimer que quand on a accepté le déterminisme. » De Lily-Rose Depp à Corneille, il n’y aurait que ce tout petit pas.

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