Santé

Régler sa crise de la cinquantaine au musée : « Les tableaux m’ont permis de me sentir vivante »

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ELLE. Dans votre livre, un psy vous prescrit des œuvres d’art. Ça vous est vraiment arrivé ?  

Martina Chyba. La plus grosse partie de fiction dans ce livre, c’est le psy. Il n’existe pas, je l’ai inventé. C’est l’une des rares choses qui n’existe pas vraiment dans ce roman. En réalité, je me suis auto-prescrit des tableaux quand j’étais dans une phase compliquée, comme toutes les personnes qui arrivent à l’âge de 50 ans.    

ELLE.  Qu’est-ce qu’il se passe à 50 ans ?     

M.C. Tout arrive en même temps. Les premiers petits pépins de santé, vos enfants qui grandissent (et ça ne se simplifie pas forcément quand ils deviennent jeunes adultes), vos parents qui vieillissent et qui meurent, votre boulot, où vous êtes disqualifié·e parce que vous êtes considéré·e comme senior et vos amours qui sont extrêmement compliquées. Un couple sur deux est divorcé à cet âge-là. Refaire quelque chose avec les lourdes valises du passé, c’est assez compliqué et rencontrer quelqu’un aussi.   

Alors, après mon divorce, je me suis dit qu’avec deux adolescents et un travail très prenant, je ne pouvais plus passer tous mes week-ends au supermarché, à faire tourner la boutique. Essayer de récupérer le dimanche pour me relancer dans un combat effréné le lundi ne marchait plus non plus. Comme je suis assez passionnée de Beaux-Arts, je me suis auto-prescrit des tableaux une fois par mois. Le week-end, je choisissais un musée en sélectionnant les œuvres que je voulais voir.   

ELLE. En quoi consiste cette thérapie par l’art, comment on prescrit des tableaux ?   

M.C. Je recommande aux gens de se renseigner sur les tableaux avant d’aller au musée et choisir ce qu’ils vont voir, parce que marcher deux heures dans un musée sans rien regarder, ça ne sert à rien. On peut aussi repérer le meilleur café du coin, aller à la boutique souvenir et s’acheter une carte postale ou une petite boîte à bonbons à 3€, que l’on garde après sur soi, comme un doudou. On en fait vraiment un moment pour soi.  

Pour ressentir quelque chose, il faut y aller dans le bon état d’esprit. Il faut y croire un peu pour que cela fonctionne, un peu comme l’hypnose. Si vous allez au musée avec la conviction que cela va vous apporter quelque chose, votre regard se posera sur l’œuvre avec un bon œil. D’ailleurs, il est scientifiquement prouvé que l’art peut améliorer la santé mentale. Cela touche les neurotransmetteurs et agit sur notre cerveau.   

ELLE. Cela peut paraître inaccessible…  

M.C. J’écris dans le livre que « je ne fais pas l’historienne de l’Art ». L’objectif n’est pas de savoir dans quel courant entre telle peinture, en quelle année elle a été peinte, son contexte, la technique etc… C’est plutôt se demander quel nerf ce tableau peut toucher chez moi. Je trouve que c’est une démarche très intéressante quand on la ritualise complètement.   

Très souvent, les gens pensent que les Beaux-Arts servent à briller dans les salons. En fait, tout le monde a dessiné dans sa vie, tout le monde a déjà fait de la peinture ou fabriqué un pot en terre cuite. L’art fait partie de des premières choses que l’on qu’on expérimente. Évidemment, c’est dur de de lâcher prise devant un tableau sans se dire qu’on n’y comprend rien. Mais in fine, c’est le premier témoignage qui reste de l’humanité. C’est infiniment émouvant de se dire que des gens ont mis sur la toile, ou dans du marbre la condition difficile dans laquelle on se trouve. Il y a fatalement, si l’on cherche bien, quelque chose qui va nous toucher.  

ELLE. Cette thérapie par les tableaux, il vaut mieux la faire seul·e ou accompagné·e ?  

M.C. Je ne crois pas qu’il y ait de règles. Quand on est seul·e, on est confronté·e à l’œuvre. Certes, je trouve très intéressant d’échanger après, je le fais parfois avec des amis ou avec mon compagnon, mais venir seul·e est une expérience à part. Il n’y a pas d’échappatoire : vous êtes venu·e pour ça, vous pouvez absorber l’énergie que l’artiste a mis dans l’œuvre. Je n’aurais pas amené quelqu’un avec moi chez le psy, alors je préférais aller au musée seule. Au début, c’était vraiment de moi à moi. Parce que lorsqu’on est accompagné·e, on fait des compromis.  

ELLE. Concrètement, qu’est-ce que vous retirez de cette « muséothérapie » ?  

M.C. Elle m’a d’abord permis de me sentir vivante. À partir d’un certain âge, notamment lorsque surviennent les questions de ménopause, on en vient à se dire : « Je vais mettre le clignotant, aller au garage et attendre que ça passe ». Mais on doit continuer à avancer. L’art nous confronte à des questions importantes. Quand on est à dans la chapelle Sixtine, on ressent quand même quelque chose de sacré (précisons que je ne suis ni croyante, ni pratiquante). Michel-Ange a crevé sur ces murs pour peindre ça ! Regardez le « Jugement dernier ». Vous vous dites : « Que vais-je faire du temps qui reste ? » ou « Qu’aurai-je accompli ? ».  

L’art a vraiment aidé mon estime de moi-même. Très curieusement, dans l’année qui a suivi cette décision, j’ai mis toutes mes économies dans un nouvel appartement. Je me suis inscrite sur un site de rencontres. J’ai fait plein, plein de trucs un peu fous qu’on n’est pas censé·es faire à cet âge-là. Il faut bien qu’il y ait des avantages à vieillir, c’est un des privilèges de pouvoir se dire « Finalement, si ce n’est pas maintenant, quand ? ». Ces tableaux permettent de se poser un moment et de se dire « Est-ce que je vais oser rappeler ce mec ? Acheter cet appart ? ».   

ELLE. Maintenant que vous avez fait toute cette introspection, vous sentiriez-vous prête à consulter un psychiatre ou un psychologue ?  

M.C. Je me sers beaucoup de l’écriture, de mes chroniques pour me raconter, raconter de petites histoires qui débouchent sur l’universel. Et l’humour aussi, qui est un vrai mode de survie. C’est ma manière de « déposer » mes émotions. Maintenant, aller chez quelqu’un et tout reprendre depuis le début, gratter là où ça fait mal, pourquoi pas, mais je n’ai pas encore sauté le pas.   

ELLE. Ce psy que vous avez inventé, c’est celui que vous rêveriez d’avoir ?   

M.C. J’ai envie d’un personnage masculin et jeune qui aurait un regard décalé sur une femme plus âgée. Comme une confrontation et un rapport inversé, entre un jeune sage et une personne plus âgée qui ne sait plus vraiment où elle en est. Les lecteurs me demandent d’ailleurs s’il existe vraiment, si on peut prendre rendez-vous !  

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