Santé

Se regarder dans le miroir : apprendre à connaître ce visage qu’on ne voit jamais

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Vous êtes-vous déjà fait la remarque, en vous observant dans la glace ou sur une photo, que jamais vous ne voyiez votre visage comme les autres le voient, que jamais vous n’aviez accès de manière directe à cette partie de vous-même qui reste pourtant l’objet de tous vos soins ? C’est la seule partie de votre corps, avec le dos, que vous ne pouvez pas examiner, même en vous contorsionnant, sans le filtre du miroir, d’un cliché ou de l’œil de votre entourage. « On cherche alors dans le regard des autres une confirmation sur la personne que l’on croit être, sur le visage que l’on croit leur dévoiler, parce que notre visage, en effet, demeure un mystère d’un bout à l’autre de nos existences. Les autres portent sur nous un jugement qui peut nous préoccuper dans la mesure où nous ne sommes jamais tout à fait en mesure de le valider ou de le contredire », explique l’anthropologue David Le Breton.

Miroir, mon beau miroir, dis moi qui je suis                                                             

La relation que l’on entretient avec notre visage est souvent ambivalente. Parvient-on à aimer son reflet chaque jour dans la glace ? Rien n’est moins sûr. « Les personnes qui s’apprécient totalement en se regardant ne doivent pas être nombreuses, estime David Le Breton. J’ai l’impression que nous avons tous du mal à nous reconnaître, à cerner ce visage qui nous échappe et qui possède aussi cette particularité de changer au fil des jours, selon notre état, et au fil du jour également. » On a rarement la même apparence au réveil et au coucher, si l’on est en forme ou épuisé, joyeux ou déprimé. Notre visage est toujours en mouvement, et ce que l’on en pense est une appréciation qui ne peut être objective. « Ce que l’on voit dans le miroir, c’est l’écran de l’imaginaire, une surface de projection. Les personnes qui ne s’aiment pas, par exemple, vont en permanence voir dans le miroir une confirmation de leur mal-être », poursuit l’anthropologue. Dans une moindre mesure, les jours où l’on se sent mal dans sa peau, on voit sur ce visage que l’on observe toute la grisaille intérieure. Il se produit comme un filtre psychologique, qui vient s’ajouter aux éventuelles marques réelles de fatigue, de tristesse. L’inverse fonctionne aussi : quand on se sent bien, on se trouve pas mal. Et le processus est le même face à des photos. Qui n’a pas revu des clichés de son visage de jeune femme en se disant « qu’est-ce que j’étais bien ! », alors qu’à l’époque, mal dans sa peau, on se jugeait affreuse. « On n’est jamais dans une attitude définitive face à son visage. Aujourd’hui s’ajoutent les outils comme Zoom, qui nous obligent à nous voir constamment avec un visage un peu différent de celui du miroir, moins fidèle, en raison de la lumière, de l’angle de la caméra… Je crois aussi que, derrière son écran, on n’est pas tout à fait la même personne : on est plus préoccupé, plus soucieux du regard des autres, alors que, quand on est seul face à soi, on est plutôt dans un tribunal intérieur. Il y a moins d’enjeux », détaille David Le Breton. Tout à coup, face à cette vignette de nous-même qui apparaît sur notre ordinateur, on a la sensation de voir une image de soi que l’on n’avait jamais vue et qui nous fait souvent nous interroger : « Suis-je vraiment comme ça ? » Car cette « Zoom face » est rarement flatteuse, ce qui, depuis l’essor du télétravail, a conduit de nombreuses femmes, mais aussi beaucoup d’hommes, à pousser la porte du médecin ou du chirurgien esthétiques.

Le jour où arrive le  « coup de vieux »                              

Qu’on l’aime ou non, ce visage qui est le nôtre, on vit avec, on s’y habitue, il est nous malgré tout. Et puis arrive cet instant redouté où l’on a la sensation de passer de l’autre côté, de ne plus se reconnaître, de prendre ce fameux « coup de vieux ». Ce n’est pas complètement un choc, c’est un processus qui s’installe dans une oscillation entre des phases où l’on se dit « jusque-là tout va bien » et d’autres où l’on commence à s’avouer « mais qu’est-ce que j’ai changé ! » Dans ce constat se joue une forme d’angoisse d’être dépossédé de qui l’on est. « Dans la mesure où ce visage incarne notre sentiment d’identité dans toute sa force et avec toutes ses ambivalences, un jour, nous y voyons ce qui va disparaître. Nous sommes voués au vieillissement, et même si l’on a pu vivre pendant cinquante ou soixante ans en se reconnaissant tous les matins devant son miroir, il y a soudain un moment où l’on se dit : “Qui est cette personne devant moi ?” », constate David Le Breton. Devenir étranger à soi, une sensation d’autant plus violente à gérer qu’intérieurement on est toujours le même que bien des années plus tôt. « On reste absolument les mêmes personnes au fil des années, avec ce visage intérieur qui est celui de l’adolescent qu’on était et qui est en permanence face au miroir dans un désaveu », poursuit l’anthropologue.

Embellir ou modifier son visage pour rester soi-même                                            

Que ce soit par les cosmétiques ou le maquillage, on cherche chaque jour à améliorer l’image que l’on voit dans le miroir. Quand ça ne suffit plus, la médecine esthétique est une solution accessible pour se montrer sous son meilleur jour. « Comme Simone de Beauvoir l’avait dit, c’est dans le regard des autres qu’on lit son propre vieillissement, donc on veut absolument le repousser en sauvant les apparences, si j’ose dire », note l’anthropologue. Le processus est souvent subtil, avec des modifications qui semblent n’être visibles que par nous. Mais le fait d’avoir un visage qui correspond mieux à qui l’on est intérieurement permet aux autres de nous voir positivement et de nous renvoyer une image flatteuse de nous-même. Le cercle est vertueux. « Je crois que c’est ça, l’efficacité des techniques esthétiques : en changeant le regard sur soi, automatiquement on change le regard des autres. Le maquillage peut avoir la même vertu, c’est une manière de rehausser l’estime de soi, de se créer aussi, peut-être, une sorte de “masque”, qui permet alors d’avancer de façon paisible dans la vie quotidienne », constate David Le Breton.

Des gestes esthétiques pour résister mais sans se perdre                                                                                             

Dans le cabinet du médecin esthétique, les techniques se combinent pour retoucher ce visage qui évolue avec le temps et les aléas de la vie. « L’idée, pour rester soi-même et garder sa singularité, c’est de toujours être modéré dans ce que l’on fait. Il faut aussi comprendre que tout n’est pas possible, on ne peut pas revenir exactement au visage de nos 20 ou 30 ans, mais on peut tendre vers cela et améliorer l’harmonie générale », résume la Dre Anne Grand-Vincent. Avec l’âge, le visage descend, il devient plus long, plus lourd, c’est donc souvent en recréant des pommettes avec l’acide hyaluronique qu’on le rehausse. « Mais si l’on force le bombé, on transforme le visage, on perd ses propres traits », souligne la médecin esthétique, qui préfère injecter avec modération dans les pommettes et compléter en diminuant aussi le creux de la vallée des larmes. Redonner un peu de volume aux tempes, qui elles aussi se creusent, est souvent recommandé. « Mieux vaut toujours y aller, au départ, avec parcimonie et pouvoir ensuite ajouter du produit, de la rondeur, si besoin », poursuit-elle. La nouveauté ces dernières années, ce sont les jeunes femmes dont le visage ne s’est pas encore modifié avec l’âge, mais qui le transforment volontairement avec, souvent, des doses importantes d’acide hyaluronique au niveau des pommettes, des lèvres, de l’ovale. « Le corps est devenu la matière première de l’identité que l’on affiche aux autres. On n’a plus ce sentiment qu’il est irréversible. On le bricole en permanence avec les tatouages, les régimes alimentaires, les cosmétiques, la gymnastique, et, progressivement, le visage a été emporté dans le même mouvement. Le phénomène est encouragé par les filtres des réseaux sociaux qui incitent à se dire “on le fait à l’écran, pourquoi pas dans la vie ?” », analyse David Le Breton. Si ces actes de transformation se cumulent au fil des années, comment le visage va-t-il évoluer ? « C’est un phénomène récent, nous n’avons pas de recul pour dire que les produits injectés vont vraiment totalement disparaître, ni pour savoir comment la peau va vieillir. Et surtout comment, à 45 ans, à 50 ans, ces jeunes femmes vont accepter leur visage et le vieillissement ? » note la Dre Anne Grand-Vincent. Qu’il soit transformé par les actes esthétiques ou le temps qui passe, le visage demeure pour chacun une énigme.                

« Des visages. Une anthropologie », de David Le Breton (éd. Métailié). Vous pouvez aussi écouter David Le Breton dans les épisodes 12 et 13 du podcast « Injonctions & bistouri », d’Isabelle Sansonetti.

                     

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