Santé

Stéphanie Estournet : « La sexualité peut être joyeuse pour toutes les femmes, même celles qui vieillissent »

J’ai rencontré Stéphanie Estournet en 2019, alors que je m’apprêtais à tourner mon premier long métrage de fiction sexuellement explicite : « Une dernière fois ». Le film met en scène une femme de soixante-neuf ans qui cherche le partenaire sexuel idéal. Elle est jouée par l’icône Brigitte Lahaie, qui y fait son retour porno érotique. À l’époque, Stéphanie Estournet est journaliste, elle écrit sur la sexualité. Elle a longtemps travaillé à Libération, en tant que secrétaire de rédaction et journaliste, notamment sur les sujets Culture et Société. Quand on s’attable dans le café de Belleville où elle m’a donné rendez-vous, elle veut en savoir plus sur ce « porno d’auteur » dédié à la sexualité d’une femme de plus de soixante ans.

Ce premier entretien avec Stéphanie en 2019 est le début d’une belle histoire professionnelle. Dans le sillage de cette rencontre, nous écrivons ensemble un livre, « Jouir est un sport de combat », qui raconte les coulisses d’« une dernière fois » et s’interroge sur le manque de représentation des femmes de plus de cinquante ans et de leur sexualité dans le cinéma et la pornographie. Et ce mois-ci, elle vient de lancer au sein du podcast d’audioporn « Voxxx » que j’ai co-fondé, une collection érotique destinée aux femmes de cinquante ans et plus : « Muses ».

Stéphanie a cinquante-deux ans, elle est une des autrices et journalistes les plus engagées en France sur les sujets de la sexualité féminine : elle a récemment initié une tribune parue dans Le Monde pour s’opposer aux velléités d’abolition de la pornographie, et elle est l’autrice d’une newsletter intitulée : « C’est sextra ». Pour ce témoignage sexo, je lui ai proposé de nous raconter son rapport au corps et au sexe, à ce moment-là de la vie : la cinquantaine, quand les femmes disparaissent de nos écrans et des pages de papier glacé.

La métamorphose du corps

« Je n’aime pas le terme de ménopause, que j’entends comme un ensemble de symptômes… Alors que, personnellement, des symptômes, je n’en ai pas ! Il y a simplement un moment où le corps change, et où on devient une personne qui vieillit. Pour moi, c’est nouveau, et c’est déstabilisant. Ça a commencé il y a deux ou trois ans. Une fois le premier moment de flottement passé, je me suis dit : une chose est sûre, je ne vais pas essayer de « faire jeune » et me faire la guerre jusqu’à la fin de mes jours ! J’ai la volonté très forte de vivre en paix avec moi-même : je suis donc en train d’apprendre à vivre avec mon corps en changement.

L’apogée de la séduction

Dans le fait d’être déstabilisée par ce corps en changement, il y a mon rapport à la séduction. Tout au long de ma vie de femme, j’ai beaucoup séduit avec mon corps, donc le fait de vieillir m’a posé question. Ma façon de réagir ? Vestimentairement, j’ose beaucoup plus qu’avant. Quand je m’habille, je fais péter des couleurs, je me montre. En ce moment, je suis très arrogante dans ma manière d’être une femme, sans doute beaucoup plus que ces dix dernières années ! J’ai envie de séduire si ça me prend, j’ai envie de séduire mon mec, j’ai envie qu’il ait envie de me regarder, qu’il ait envie de moi.

Et côté sexe ?

Du côté de ma sexualité, ces deux ou trois dernières années, il y a eu un changement souterrain, que je qualifierais de pernicieux. Tout a été bouleversé, mais en même temps, la cause profonde de ce bouleversement était imperceptible. Je me suis retrouvée avec la libido en berne, mais je ne savais pas si c’était parce qu’il y avait des choses qui n’allaient pas dans ma vie, si c’était parce que j’étais déprimée — ces dernières années n’invitaient pas à la légèreté…

Aujourd’hui, il y a pour moi un parallèle entre ce que je vis et l’adolescence. À l’adolescence, tu as les hormones qui partent dans tous les sens. Moi, ado, j’étais complètement dingue de sexe ! Et là, à cinquante ans, c’était l’inverse. C’était le vide. C’était comme si le sexe n’avait jamais existé. Bon, si je faisais du sexe, c’était bien… mais si je n’en faisais pas, ça aurait pu appartenir à une autre vie, à une autre dimension, je m’en fichais, ça ne me concernait pas !

À la reconquête de sa sexualité !

À un moment, ne plus être connectée à ma sexualité m’a posé un problème d’ordre plutôt psychologique : j’ai eu l’impression d’avoir perdu quelque chose de moi. Quelque chose d’important. Le sexe a toujours été un endroit précieux, j’y étais bien, tranquille, c’était mon univers personnel… Et je ne voulais pas lâcher ça. C’est à partir de ce constat que je me suis mis à réfléchir autour de l’idée de ménopause. Je me suis demandé s’il fallait compenser avec des hormones, j’ai vu mon toubib, puis une spécialiste du sujet. Ce qui a été important pour moi, ça a surtout été de reprendre possession de ce territoire — ma sexualité. D’arrêter de faire comme si ce n’était pas un problème.

Cette reprise en main n’a pas été que médicale. Pour entrer dans le dur du sujet, par exemple, j’entretiens mon périnée. Dans ma routine quotidienne, je fais des abdos, et j’ai aussi des exercices pour le périnée, parce que je veux être en forme également au niveau de mon sexe. J’entretiens mes seins aussi, parce que j’ai une très bonne relation avec eux et que j’ai envie d’avoir de beaux seins ! À un moment, je me suis demandé si les poils pubiens devenaient blancs quand on vieillit, et comment j’allais vivre ça. Et puis je me suis dit : je m’en fous, s’ils blanchissent, je les teindrai en rouge ou en bleu ! Cette histoire de poils blancs, c’est le buisson qui cache la forêt !

J’ai appris récemment que quand tu entres en ménopause, tu peux avoir des sécheresses vaginales. Je pratique le lubrifiant depuis suffisamment longtemps. Du coup, ce n’est pas un sujet. Ce sont des choses comme ça que j’ai envie de transmettre aux femmes de mon âge : j’ai envie de leur dire qu’on ne va pas mettre notre féminité dans notre mouille, ce n’est pas là que ça se joue !

L’invisibilisation du vieillissement des femmes

La parole des femmes de mon âge manque désespérément dans les magazines, sur les réseaux sociaux, à la télé… On ne nous donne pas la parole. La sexualité des femmes de plus de cinquante ans est au-delà du tabou : c’est comme si ça n’existait pas. Je regarde de la pornographie depuis que je suis en âge de le faire, et j’ai vu seulement deux films pornos qui mettent en scène des corps vieux ou vieillissants : Une dernière fois, et un autre film qui a été fait par Erika Lust, avec deux personnes âgées et une belle mise en scène, tout y est très blanc…

Ce n’est même pas seulement la sexualité, c’est le corps de la femme vieillissant qui est un non-sujet. Quand mon corps a commencé à changer, je me suis rendu compte que je n’avais pas de modèle, je ne pouvais penser à aucune femme plus âgée que j’admirais physiquement, dont le corps me faisait rêver… J’ai alors compris que jusque-là, pour moi, c’est comme si la vie s’arrêtait à quarante-cinq ans, je n’avais jamais imaginé plus loin. Et je crois que c’est parce qu’il n’y a pas de représentations de femmes de mon âge qui jouissent, s’amusent avec leur corps, qui sont séduisantes et heureuses.

Depuis plusieurs années, je travaille à offrir ces représentations-là de femmes de plus de cinquante ans. Ce non-sujet de la sexualité des femmes qui vieillissent, j’en ai fait mon sujet. Alors, j’écris. J’écris parce que je veux montrer combien la sexualité peut être joyeuse, épanouie, pour toutes les femmes… même celles qui vieillissent.

La magie de vieillir en beauté

J’ai envie de transmettre qu’il y a tant de beauté et de joie à avoir cinquante ans, quand on est une femme ! On entre dans un âge où, à nouveau, il y a de la liberté, du temps. Le parallèle avec l’adolescence me plaît, car pour moi il y a vraiment quelque chose de l’ordre d’une grande liberté qui se passe à cet âge de la vie. Et puis tu te connais, tu sais en général ce que tu veux et ce que tu ne veux pas. Et si tu ne te connais pas encore, eh bien à cinquante ans — avec les enfants qui ont grandi, par exemple, la carrière qui est sur des rails — on peut aller à la rencontre de soi.

En ce qui me concerne, j’ai un rapport au sexe qui est moins « capitaliste », je suis moins dans la performance : j’ai un orgasme, je n’ai pas d’orgasme, je m’en fiche. De toute façon, si je veux un orgasme, je sais comment faire ! Et puis, je suis capable de me dire avec gourmandise : tiens, si j’essayais ça ? Car je sais que ça ne va pas me créer un trauma si ça se passe mal. À vingt ans, tu peux te mettre en danger, à cinquante ans, moins. Tu tentes des trucs, ça foire, ça ne va pas être grave, parce que tu es plus sécure, tu as plus confiance en toi.

Une nouvelle éducation

Voilà ce que j’ai envie de transmettre : cette joie, cette idée de liberté de la sexualité dans la deuxième phase de notre vie. C’est pour ça que j’ai écrit les podcasts « Muses ». Les épisodes de « Muses » s’adressent à des femmes qui peuvent être un peu dans le brouillard — parce qu’elles se retrouvent seules après une relation monogame longue, par exemple. Peut-être qu’elles se disent que ça va être difficile de séduire dans un corps qui a vieilli, qui a peut-être eu des enfants. « Muses » vient parler à ces femmes avec tendresse pour leur montrer que tout va bien… Et que si elles ont envie de prendre du plaisir, elles vont prendre du plaisir, ça, c’est certain !

J’en suis convaincue : on peut être aimée à tout âge, et on peut prendre du plaisir à tout âge. À cinquante ans, peut-être qu’on prend plus son temps. Le dating, si c’est en mode on se rencontre et on se saute dessus, moi franchement, c’est non. En revanche, les jeux, par exemple, se rouler des pelles, se poser des questions, les joutes verbales, la fantaisie, la tendresse, l’imagination ça, c’est un grand Oui ! Avec « Muses », j’ai envie de communiquer d’autres manières de faire du sexe, et puis un côté : have fun, enjoy, c’est le moment ! … Enfin, si tu as envie ! »

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