Santé

Témoignage : « Ancienne bonne sœur, j’ai monté un stratagème pour fuir le couvent »

« Aînée d’une fratrie de cinq enfants, j’ai grandi dans une famille de la haute bourgeoisie, avec une éducation catholique. Le milieu dans lequel j’ai évolué, à Versailles, était assez clos : tout le monde se ressemblait et il ne fallait surtout pas sortir des clous.

Scolarisée dans une école de filles, je n’ai jamais eu l’opportunité de faire des rencontres amoureuses, et avais d’ailleurs très peur des garçons. Ce qu’on m’inculquait a fait naître en moi de nombreux complexes : toute ma jeunesse, on m’a appris que ce que j’accomplissais de bien, c’était grâce à Dieu, et que le mal, c’était ma faute. Par conséquent, j’avais le sentiment d’être plus bête que la moyenne, moins intéressante et moins belle que les autres. Même si j’ai eu mon Bac avec mention « Très bien », je n’avais aucun mérite.

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L’entrée au couvent

Une fois par an, ma famille et moi rendions visite à ma tante, dans un couvent. Je regardais les bonnes sœurs, tout sourire, dans cet endroit paradisiaque au milieu de la nature. Quand j’ai vaguement émis un intérêt pour la vie qu’elles menaient, la supérieure de l’abbaye m’a mis le grappin dessus. Je suis entrée au couvent en novembre 2002, à 17 ans, pour échapper à la vie classique qui me terrifiait. Et là, ma vie a pris un autre tournant.

Le couvent dépendait d’un ordre contemplatif, basé sur la prière et le travail. Sept fois par jour, nous nous rendions à l’église pour l’office et chantions des psaumes. Le reste du temps était consacré à la cuisine, au ménage et à la culture de la terre. Au bout de trois ans, j’ai fait mes vœux triennaux, promettant obéissance, stabilité (interdiction de quitter le monastère) et conversion des mœurs (chasteté et pauvreté). Je n’avais pas droit d’avoir de copain, de copine, de télévision, et tous mes sous étaient versés à la communauté. Puis, en 2009, j’ai fait mes vœux solennels. Concrètement, je me suis mariée à Dieu, avec une alliance à la main droite. J’y croyais dur comme fer, mais au fond de moi, aujourd’hui, je sais que je souffrais énormément.  

« Je me sentais très seule, alors que je vivais en communauté » 

Ces vœux n’étaient pas si difficiles à respecter : depuis toute petite, on m’avait appris que la sexualité était interdite, et que si je me masturbais, j’irais en Enfer. On pourrait se dire que c’est une pulsion naturelle, mais j’étais tellement bridée que j’étais comme asexuée. En revanche, ce qui était compliqué, c’est que je n’avais pas droit aux amitiés particulières. Si je tissais des liens avec une sœur, c’était considéré comme une trahison envers le Christ. Finalement, je me sentais très seule, alors que je vivais en communauté avec cinquante religieuses. Six ans après mon entrée au couvent, j’ai ressenti l’envie de foutre le camp. 

Je me disais que la vie à l’extérieure, avec un garçon, ça pouvait être sympa. Un jour, j’en ai parlé à ma supérieure, qui m’a coupée dans mon élan, me disant que pour une épouse du Christ, c’était une honte d’imaginer un tel avenir. J’aurais aimé me confier à mes parents, pour qu’ils m’aident à faire le mur et me ramènent à la maison, mais je ne les voyais qu’une fois par an, à travers une grille. Finalement, je me suis interdit de penser que ma vie pouvait être ailleurs. Et tout a basculé quand l’abbesse a démissionné. 

Le déclic

Le départ de la supérieure a créé beaucoup de remous au sein du monastère. Toutes les bonnes sœurs, qui souffraient dans leur coin depuis des années, ont subitement ouvert les yeux. Toutes nos souffrances sont remontées. Quand la nouvelle supérieure est elle aussi partie au bout de deux ans, je me suis donné la permission de me dire que pour moi aussi, il était peut-être temps de partir.

« Je me suis cachée sur la banquette arrière de sa voiture, pour lui lancer un SOS » 

Un jour, une médecin traitante s’est rendue au monastère. J’en ai profité pour me cacher sur la banquette arrière de sa voiture, pour lui lancer un SOS. Durant ce court trajet, nous avons mis en place un stratagème pour que je puisse quitter le couvent. J’ai été envoyée dans une autre abbaye, pour me reposer. La communauté pensait que je finirais par revenir, mais une fois sur place, la médecin m’a organisé un court séjour dans une clinique psychiatrique, qui était en fait un prétexte, et un moyen de m’extraire du monde religieux. Cet établissement de santé a été ma planche de salut. 

S’acclimater au monde extérieur

À la clinique, j’étais un champ de ruine : j’avais 27 ans, mais tous les complexes de mon adolescence sont remontés. Je n’avais que le Bac, me demandais comment je pourrais avancer dans la vie. Les psychiatres m’ont aidée à reprendre confiance en moi, j’ai appris le programme de maths de Terminale, et au bout de six semaines, je suis sortie en me disant que j’allais faire médecine. Depuis toute jeune, je rêvais de devenir soignante, je suis donc revenue à mes premiers désirs.

Avant la rentrée universitaire, j’ai été logée chez un couple d’amis médecins, l’une de mes plus belles rencontres. Ils m’ont appris à me réintégrer dans la vie progressivement, en me faisant découvrir Internet, les téléphones portables, les films et musiques culte que je ne connaissais pas. J’étais entrée au couvent en 2002, nous étions en 2013 : j’avais loupé énormément de choses !

« Je me suis retrouvée dans un milieu où les étudiants couchaient à gogo »

En 2015, j’ai reçu une lettre officielle du pape, m’indiquant que j’étais « relevée de mes vœux ». Mais dans ma tête, à partir du moment où j’avais mis les pieds en médecine, c’était terminé. J’ai rejoint les bancs de la fac en septembre 2013, et là, c’était le choc ! Moi qui sortais du couvent et qui n’avais jamais vu le loup, je me suis retrouvée dans un milieu où ça couchait à gogo, et où l’alcool coulait à flots. J’étais un peu perdue, mais j’y ai fait des rencontres qui ont changé ma vie. 

Un jour, en classe, je me suis assise à côté d’un homme qui avait l’air sympa, et qui est devenu mon meilleur ami. Lui était homosexuel, et il m’a appris beaucoup de choses autour de la vie affective et de la sexualité. Ça m’a permis de prendre confiance en la gent masculine, qui me terrifiait depuis l’enfance. Ensuite, je suis entrée en première année de sage-femme, et une amie m’a présenté l’associé de son compagnon. Nous avons dîné ensemble, le courant est bien passé et depuis, ça fait huit ans que je partage sa vie ! Je suis aussi devenue maman d’une petite fille, il y a trois ans, pour mon plus grand bonheur. Aujourd’hui, même si ma famille est toujours catho, moi, je ne suis plus du tout croyante. Cependant, je ne regrette rien. Tout ce que j’ai vécu m’a permis de cheminer et de me construire : je suis une femme épanouie, entourée d’amour, avec un travail qui me passionne. Je ne changerais mon parcours pour rien au monde. » 

(*) Le prénom a été modifié. 

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