Santé

Témoignages : des femmes atteintes de schizophrénie brisent les clichés autour de la maladie

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« On me dit souvent que je n’ai pas la tête d’une schizophrène. Mais en quoi mon apparence a-t-elle un rapport avec ma maladie ? Il y a une tête à être schizophrène ? » Les premiers symptômes de Naama, 22 ans, sont apparus dès l’enfance. « J’entendais des voix, mais comme j’étais petite, je n’y prêtais pas attention », raconte-t-elle. Puis, à l’adolescence, cette fille unique, passionnée de mangas et de dessins, a traversé une lourde période de dépression, mêlée à une décompensation psychotique. « J’avais des hallucinations, des bouffées délirantes », explique-t-elle. Par honte, la jeune fille a passé son mal-être sous silence. « Je suis sortie de ma dépression toute seule, sans suivi, sans médicament, sans hospitalisation. Ça s’est enfoui, jusqu’à ce que d’autres symptômes apparaissent. »

Naama a été hospitalisée pour la première fois à l’âge de 16 ans. Elle était alors prise de délires paranoïaques. « J’étais persuadée que l’État me surveillait, avec des caméras et des micros cachés dans les murs et les miroirs. » S’en est suivi un long parcours vers le diagnostic. À l’âge de 19 ans, la jeune femme a appris qu’elle était atteinte de schizophrénie dysthymique – qui associe des signes de schizophrénie, à des signes de bipolarité.

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Schizophrénie et idées reçues, une double peine pour les patientes 

La schizophrénie est une maladie de la cognition (la capacité à analyser ce qui se passe en nous et autour de nous), et de transmission des informations dans le cerveau. Six groupes de symptômes peuvent alors se manifester : des symptômes dits « positifs » (délires, voix) ; « négatifs » (perte d’énergie, perte de plaisir, isolement) ; des troubles de l’humeur (dépression, manie, agitation) ; une désorganisation de la pensée et du comportement (difficultés à mener à terme un raisonnement) ; des troubles cognitifs (difficultés de mémoire, d’attention, de planification) ; et des perturbations de la communication et des interactions sociales.

Actuellement, 35 catégories de schizophrénie sont recensées par la classification WKL des psychoses. « Le profil type du schizophrène, qui serait fou et dangereux, n’a aucun fondement scientifique. Derrière ces pathologies, il y a avant tout des êtres humains. Certains vont être plus délirants, avec des troubles cognitifs plus intenses que d’autres. Chacun a son profil de pathologie qui lui est propre », souligne Perrine Brazo, psychiatre au CHU de Caen, et membre du Conseil d’administration de Positive Minders

À l’occasion de la 20ème édition des journées de la schizophrénie, qui se tiennent du 18 au 25 mars 2023 dans une dizaine de pays francophones, l’association Positive Minders tient à déconstruire les clichés autour de cette maladie, dont souffrent 24 millions de personnes dans le monde, selon les chiffres de l’OMS. Dédoublement de la personnalité, imprévisibilité… Les stéréotypes discriminants leur collent à la peau. 

Un fléau d’autant plus lourd pour les femmes, constate l’association Positive Minders. Pour cause, la schizophrénie est, dans l’imaginaire collectif, associée à une figure masculine – un homme marginal et violent, la plupart du temps. Une double peine pour ces patientes, qui les oblige parfois à taire leur pathologie. Pourtant, 43% des personnes touchées par la schizophrénie sont des femmes. 

« J’ai tendance à cacher ma maladie, même si je préfèrerais en parler librement »

Mélissa*, qui entendait des voix et se sentait différente des autres élèves de son collège, a reçu un diagnostic de troubles schizophréniques à l’âge de 17 ans. « J’ai eu du mal à le supporter, parce que j’avais entendu beaucoup de choses sur la schizophrénie », se souvient-elle. Avec le temps, cette jeune femme aujourd’hui âgée de 31 ans, a appris à accepter la maladie. Néanmoins, le regard des autres reste difficile à surmonter. « C’est compliqué d’en discuter autour de moi, parce qu’on n’est pas habitué à voir des jeunes femmes atteintes de cette maladie-là. J’ai donc tendance à la cacher, même si je préfèrerais en parler librement », confie-t-elle.

« Dans les médias et la culture, on ne parle pas des femmes schizophrènes. Moi, quand j’évoque ma maladie, on ne me prend pas au sérieux », renchérit Naama. « Ces réactions sont dures à encaisser parce que la maladie, ça fait partie de moi. Si on ne la reconnaît pas, c’est comme si on ne m’acceptait pas. » 

« Les schizophrènes ne sont ni des tueurs en série, ni des fous dangereux à enfermer »

« Psychose », « Shutter Island », « Dr Jekyll et Mr. Hyde », les films qui véhiculent une fausse image de la schizophrénie ne manquent pas. Dans « The Voices » (2014), le personnage incarné par Ryan Reynolds est impliqué dans le meurtre d’une de ses collègues. Alors qu’il a oublié de prendre ses médicaments, cet homme croit entendre son chat et son chien lui parler et tue, sur leurs conseils, d’autres personnes. « Cette comédie n’est pas drôle du tout. Les schizophrènes ne sont ni des tueurs en série, ni des fous dangereux à enfermer. C’est complètement faux », s’indigne Naama.

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Mise à l’écart et auto-stigmatisation

Généralement, les personnes atteintes de schizophrénie sont mises à l’écart pour au moins deux raisons : « d’une part, la société en a peur, d’autre part, elles s’auto-stigmatisent », explique Perrine Brazo. Le peu de patient·es qui parviennent à trouver un emploi, travaillent pour la plupart dans des milieux protégés type ESAT (Établissement et service d’aide par le travail). « Les autres bénéficient de l’allocation adulte handicapé, mais le montant est souvent sous le seuil de pauvreté, autour de 900 euros par mois », précise la psychiatre.

Si Mélissa est diplômée d’un CAP cuisine, sa carrière professionnelle est douloureusement impactée. « Si je travaillais, il faudrait que le personnel soit formé. J’ai déjà fait un stage dans un ESAT, mais mon employeur ne savait pas comment réagir quand je n’allais pas bien », déplore-t-elle. Et côté cœur, c’est tout aussi compliqué. 

À cause des idées reçues, Mélissa dit avoir perdu beaucoup d’ami·es. « Ils m’ont rejetée parce qu’ils n’ont pas compris ce que j’avais. La schizophrénie fait peur, et ça me révolte qu’on soit mis dans une case. Au lieu de juger sans savoir de quoi il s’agit et nous mettre à l’écart, les gens devraient se renseigner. »

« Est-ce que je suis capable d’être une bonne mère ? »

De son côté, Naama a trouvé l’amour il y a trois ans, et est fiancée depuis deux ans. Mais un autre sujet la pèse, celui de la maternité. « Ça me fait peur, car mon enfant aurait des risques de développer une pathologie mentale (la même que la mienne, ou une autre) », déplore la jeune femme. Un sentiment que partage Mélissa. « J’ai peur de transmettre ma maladie », confie-t-elle à son tour. Un enfant dont les deux parents sont atteints par la maladie a un risque potentiel de déclarer une schizophrénie.

« Est-ce que mon traitement va impacter le cerveau de mon bébé ? », « Est-ce que je suis en mesure d’avoir un enfant, et de l’accompagner dans sa vie ? », « Est-ce que je suis capable d’être une bonne mère ? » Ces interrogations, Perrine Brazo a l’habitude de les entendre en consultation. « Le poids de la maternité qui pèse sur les femmes, est plus important que pour les hommes », remarque l’experte.

Heureusement, ce trouble du fonctionnement du cerveau peut se stabiliser grâce aux traitements. Dans 80% des cas, les symptômes s’améliorent dès qu’ils sont traités. De plus, le travail sur l’estime de soi, et les outils de réhabilitation psychosociale, permet aux patient·es d’avancer. « Les soins, en constante progression, ont pour objectif de les aider à développer leurs capacités, et favoriser leur rétablissement, leur inclusion sociale », explique Perrine Brazo. Et de conclure : « C’est un travail de partenariat avec chaque personne et son entourage, plein de dynamisme et d’espoir, pour concrétiser un projet de vie épanouissant. »

(*) Le prénom a été modifié.

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