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Pedro Sánchez et l’UE interpellés sur la guerre chimique dans le Rif

Bien qu’elle ne soit pas encore rendue officielle, la date du 21 juillet de chaque année marque au Maroc la commémoration de la Bataille d’Anoual, qui s’est déroulée en 1921 dans la région du Rif. Menée principalement par l’Espagne, la riposte à la victoire de Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi (1882 – 1963) a visé à faire abdiquer le résistant et son armée par tous les moyens, quitte à employer des armes chimiques contre la population civile locale. Ce vendredi, une correspondance de l’Assemblée mondiale amazighe (AMA) à interpellé à ce sujet Pedro Sánchez, en sa qualité de président du Conseil de l’Union européenne (UE) et président du gouvernement espagnol, ainsi qu’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne (CE). Consulté par Yabiladi, le courrier s’adresse également à Charles Michel, président du Conseil de l’Europe, ainsi qu’à Josep Borrell i Fontelles, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, vice-président de la CE.

Dans sa missive, l’ONG présidée par Rachid Raha demande «réparation des préjudices causés par la guerre chimique de la part de deux Etats européens contre les populations civiles du Grand Rif marocain». Soulignant que cette question «en relations avec les crimes contre l’humanité lors de la Guerre du Rif» reste «encore en suspens», l’écrit pointe la responsabilité de l’Espagne et de la France en tant que membres actuels de l’UE, dans «l’utilisation massive des armes chimiques, contre des populations civiles durant la Guerre du Rif entre 1921 et 1927, aux portes de l’Europe, au nord du Maroc».

«Nous vous précisons que le Roi d’Espagne, Sa Majesté Felipe VI, à travers la Maison Royale a eu la gentillesse de nous répondre le 29 mai 2015, en précisant qu’elle avait adressé notre requête au ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération, qui était l’instance compétente, afin qu’il l’étudie et nous transmette la résolution appropriée», indique le courrier, rappelant qu’une rencontre tenue à ce sujet à l’Ambassade d’Espagne à Rabat, le 23 juin de la même année, n’a abouti à aucun retour positif. «Ni M. José Manuel Garcia-Margallo, ni M. Alfonso Dastis, interpellé par le député d’ERC M. Joan Tarda i Coma aux Cortes le 7 février 2018, ni M. Josep Borell i Fintelles, ni Mme Arancha Gonzalez Laya, ni l’actuel ministre M. José Manuel Albares Bueno n’ont pris la peine de le faire», ajoute l’AMA, déplorant que ces «revendications légitimes» ne soient «pas prises au sérieux».

L’Espagne et la France ne reconnaissent pas leur responsabilité

Même son de cloche du côté français, selon l’AMA, qui souligne pourtant que le président Emmanuel Macron a «bien reçu» la correspondance de l’ONG, du 21 juillet 2021, à l’occasion du centenaire de la Bataille d’Anoual. «Il nous avait confié ‘le soin de nous assurer de la meilleure attention avec laquelle il a été pris connaissance de notre courrier et les préoccupations qui motivent notre démarche’, nous avait écrit le commissaire en chef de première classe de l’Etat-Major particulier de la présidence de la République, Jean Le Roch, le 10 septembre 2021 (Références : PDR/EMP/A057679)», fait savoir la récente lettre.

Selon la même source, le haut responsable a ajouté qu’«il s’agit d’un sujet délicat» relevant des «compétences confiées à la ministre déléguée auprès de la ministre des Armées chargée de la mémoire et des anciens combattants».

«Or, depuis et à ce jour, ni Mme. Geneviève Darrieussecq, précédemment ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants, ni Mme. Patricia Miralles, actuelle Secrétaire d’Etat auprès du ministre des Armées chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, interpellée le 6 février dernier, n’ont pris au sérieux nos insistantes revendications.»

Assemblée mondiale amazighe

C’est dans ce contexte que l’AMA a interpellé les représentants de l’UE sur l’examen de la question, en rappelant les termes du président Emmanuel Macron ayant qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité», lors de son déplacement en Algérie en 2017. «Le Roi Philippe de Belgique, lui aussi, avait exprimé ses plus profonds regrets pour les blessures infligées lors de la période coloniale belge au Congo (…) La République fédérale d’Allemagne avait fait de même, lorsqu’elle a eu le courage de reconnaître d’avoir commis ‘un génocide’ contre les Héréros et les Namas en Namibie au début du XXe siècle (…) Le premier ministre Mark Rutte des Pays-Bas, a reconnu le 19 décembre 2022 à La Haye: ‘je pensais que l’esclavage était une histoire qui est loin derrière nous, j’avais tort. Nous ne pouvons que reconnaître et condamner l’esclavage, dans les termes les plus clairs, en tant que crime contre l’humanité’», ajoute le courrier.

Selon la même source, «l’Espagne, la France, et par extension l’UE, ne pouvaient continuer à rester indifférentes et insensibles envers cette historique et tragique injustice de l’utilisation des armes chimiques» prohibées, qui «ont en plus des effets mutagènes et cancérigènes, comme l’ypérite ou gaz moutarde, le phosgène, le diphosgène et la chloropicrine». A ce titre, l’AMA rappelle que «les populations continuent de souffrir, aujourd’hui encore, du fait que la région du Grand Rif compte avec des taux très préoccupants de victimes de cancer».

La justice transitionnelle entre Etats au point mort

Cette revendication fait partie des points principaux de l’action de chercheures, d’historiens, d’acteurs politiques et d’associatifs entre le Maroc et l’Espagne en particulier, estimant que l’heure est à la mise en place d’une action de réparation, à partir d’une réflexion du la justice transitionnelle entre Etats. En juillet 2021 à l’occasion du centenaire de la Bataille d’Anoual, le président fondateur du Centre de mémoire commune pour la démocratie et la paix, Abdesslam Boutayeb, a indiqué à Yabiladi que cette initiative avait été pensée avec l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), le Centre marocain pour la démocratie et la sécurité et des anciens membres de l’Instance équité et réconciliation (IER).

«Pour nous la Bataille d’Anoual n’est pas encore terminée, parce qu’elle est intimement liée à une question de mémoire qui s’étend au temps présent», a précédemment affirmé Boutayeb à notre rédaction. «Nous demandons réparation de ce qui a été fait et de ce qui a suivi la bataille, à savoir les bombardements chimiques. Cette question n’a pas non plus eu réponse à ce jour», a-t-il souligné, dans le temps. Dans ce sens, un travail a été mené depuis juillet 2021, sur la création d’une Commission de vérité et de justice.

Cette dernière regroupe des membres marocains et espagnols, en vertu de la Déclaration de Tanger élaborée à l’occasion, fondée sur la méthodologie de la justice transitionnelle entre Etats et «avec la participation aussi d’Espagnols qui veulent y adhérer». Elle prône une réparation collective allant «au-delà de l’indemnisation matérielle en elle-même, et qui rejoint notamment la question de la restitution des archives».


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