EconomieLe Matin

Entretien avec Leila Benali, ministre de la Transition énergétique

Leila Benali.

Malgré les nombreuses réalisations, le secteur énergétique connait des évolutions rapides et restera toujours impacté par plusieurs défis géopolitiques, climatiques, économiques et environnementaux, déclare Leila Benali dans cet entretien. Pour la ministre, l’atteinte des objectifs nécessite une réadaptation continue du cadre d’investissement et l’amélioration de la gouvernance du secteur, notamment via une architecture institutionnelle claire et simplifiée autour d’un régulateur fort, indépendant et transparent qui permettrait de contribuer à réduire les coûts de l’énergie. Le tout en parfait alignement avec les recommandations du nouveau modèle de développement. Sur le volet investissement, le secteur offre des opportunités, particulièrement dans le développement de l’hydrogène, le programme de décarbonation industrielle, la valorisation énergétique de la biomasse, l’exploitation du potentiel en énergie marine et l’alimentation des stations de dessalement d’eau de mer par des unités de production d’EnR.

Le Matin : Où peut-on situer le Maroc dans la région en termes de développement des énergies renouvelables ?
Leila Benali
: Le choix du Royaume du Maroc pour s’orienter vers les énergies renouvelables est un choix politique volontariste, impulsé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, depuis 2009. Grâce à cette vision clairvoyante, le pays a adopté une stratégie énergétique durable qui tient compte des défis et du potentiel du Royaume. Ce potentiel est l’un des plus importants au monde, soit plus de 275.000 MW de potentiel éolien en on-shore et offshore, en plus d’un potentiel solaire important estimé à 6,5 kWh par m².
Ladite stratégie repose principalement sur l’accélération de la transition énergétique et du développement des énergies renouvelables (EnR), la promotion de l’efficacité énergétique et le renforcement de l’intégration régionale. L’objectif à long terme est de disposer d’une énergie disponible, compétitive et sobre en carbone au service du développement durable du Maroc.
Afin d’accompagner sa transition énergétique, le Maroc a développé une nouvelle vision stratégique pour le développement du marché du gaz naturel, une énergie de transition.
La réussite de cette transition énergétique passe par la mutualisation des efforts dans le cadre d’une coopération gagnant-gagnant, ciblée, convergente et solide.
C’est ce que nous avons réussi entre octobre 2021 et juin 2022 quand le Maroc a accédé pour la première fois au marché international du GNL et pour faire fonctionner l’interconnexion gazière pour la première fois dans l’histoire de l’Afrique en sens inverse. Un bel exemple d’intégration régionale énergétique et une illustration de notre détermination ainsi que celle des pays partenaires à garantir un avenir prospère pour nos peuples.
De par sa situation géographique stratégique à la croisée des continents européen et africain, entre l’Atlantique et la Méditerranée, et ses acquis indéniables dans les EnR, le Maroc est devenu un modèle et ambitionne de devenir l’un des pays leaders en matière de développement durable.
Il vise à renforcer l’intégration régionale par l’ouverture aux marchés énergétiques euro-méditerranéens par le renforcement de ses liaisons avec ses voisins, ainsi que par l’harmonisation des lois et réglementations énergétiques offrant ainsi de réelles opportunités pour renforcer la sécurité au niveau régional.

Quels sont les plus grands enseignements de la stratégie nationale des EnR après l’échéance 2020 et qui a été mise à jour jusqu’à 2030 ?

Au cours des deux dernières décennies, le Maroc n’a pas hésité à investir massivement dans les EnR. Il vise à augmenter leur part pour dépasser 52% dans la capacité électrique totale installée à l’horizon 2030.
Aujourd’hui, 52 projets d’EnR cumulant une puissance installée de plus de 4 GW sont déjà en exploitation (1.430 MW de source éolienne, 830 de source solaire et 1.770 de source hydroélectrique), dont une capacité de 2.261 MW a été réalisée entre 2009 et 2021 avec un investissement global de l’ordre de 53,1 milliards de DH et avec environ 59 projets de différentes tailles qui sont en cours de développement ou de réalisation.
Malgré les réalisations, le secteur de l’énergie connaît des évolutions rapides et restera toujours impacté par plusieurs défis géopolitiques, climatiques, économiques et environnementaux.
L’atteinte des objectifs escomptés nécessite, en effet, une réadaptation continue du cadre d’investissement et l’amélioration de la gouvernance du secteur de l’énergie notamment par la mise en place d’une architecture institutionnelle claire et simplifiée autour d’un régulateur fort, indépendant et transparent qui permettrait de contribuer à réduire les coûts de l’énergie, et ce, en parfait alignement avec les recommandations du nouveau modèle de développement.
Ainsi, pour l’efficacité énergétique, l’évaluation de l’AMEE nous a amenés à acter la décision visant la transformation de cette Agence afin de recadrer ses missions, d’assurer l’exploitation des synergies et de garantir un fonctionnement harmonieux avec les autres institutions en relation avec l’efficacité énergétique, le climat et le développement durable en général.
Afin d’accélérer la cadence de développement des EnR, de nouvelles opportunités d’investissement sont offertes et concernent particulièrement le développement de l’hydrogène, le programme de décarbonation industrielle qui vise à doter toutes les zones industrielles d’une énergie électrique propre et compétitive. Il y a également le premier projet de ce programme d’une capacité de 40 MW qui est déjà autorisé par notre ministère pour alimenter la zone industrielle de Kénitra.
À cela s’ajoutent la valorisation énergétique de la biomasse – qui présente un potentiel en énergie primaire de l’ordre de 20 TWh/an à l’horizon 2030), l’exploitation du potentiel en énergies marines sur les 3.500 km de côtes, l’alimentation des stations de dessalement d’eau de mer par des unités de production d’EnR et le développement d’un programme baptisé «PERG 2.0» (Programme d’électrification rurale global) visant l’achèvement total de l’électrification rurale, en dotant des zones éloignées par des installations des EnR avec des coûts d’exploitation optimisés.
De même, une série de réformes législatives et réglementaires a été mise en place, conformément aux Orientations du Royaume, et qui visent à améliorer le climat des affaires. Grâce à ces réformes, le droit de disposer de certificats d’origine certifiant que l’énergie utilisée est de source renouvelable sera instauré pour la première fois.

Jusqu’à quel degré l’évolution technologique doit-elle être prise en compte pour se prémunir de la baisse future des prix et de la tombée en désuétude des technologies adoptées ?

Le coût des technologies propres a connu une baisse continue qui a permis d’atteindre des prix compétitifs. Cette baisse des coûts, couplée à la croissance des capacités développées et à l’amélioration des performances, a permis d’améliorer le rendement des investissements dans le secteur des EnR.
Cette diminution s’explique par les avancées technologiques réalisées chaque année sur le rendement des équipements et sur l’industrialisation des procédés de fabrication, mais aussi par les gains d’échelles que réalisent les industriels grâce à la montée en puissance des marchés mondiaux.
Le Maroc a enregistré des prix inférieurs à la moyenne mondiale lors de ses derniers appels d’offres pour des projets d’EnR.
Les efforts, en termes de R&D, d’innovation et d’intégration industrielle, devront être poursuivis en vue de rendre ces énergies plus compétitives par rapport aux énergies conventionnelles.
Nous enregistrons un bilan relativement satisfaisant pour la décennie écoulée avec environ 60 projets de R&D qui présentent un potentiel important de valorisation industrielle, en plus de la mise en œuvre en cours d’un programme de plateformes de recherche au service de l’innovation et des chercheurs [Green Energy Park (en service), Green & Smart Building Park (déjà construite) et Green H2A, Agro Energy et Water Energy Nexus (en développement)].
Quels sont les moyens efficaces à adopter pour arriver à produire de l’électricité à base d’EnR à un prix compétitif ? La réussite de la transition énergétique pour produire une énergie bas carbone avec des coûts compétitifs est confrontée à de nouveaux défis et enjeux et nécessite la mobilisation de moyens adéquats pour les surmonter.

En premier lieu, il faudrait mettre en place des mécanismes de financement. Dans ce cadre, les efforts devront être multipliés en termes d’efficacité du financement du marché vert, notamment pour développer les EnR et l’efficacité énergétique.
Ces financements qui demeurent toujours insuffisants pour entamer une véritable transition énergétique à grande échelle, pourraient être renforcés par le recours à des sources complémentaires de financement. Le secteur privé et les institutions financières nationales et internationales devraient certainement doubler d’efforts à ce sujet.
Le Maroc a su transformer ses défis et ses contraintes liées au financement en opportunités d’investissements avec la mise en place de réformes importantes et l’engagement dans de grands chantiers de développement énergétique, qui offrent des opportunités intéressantes particulièrement pour les entreprises privées.
En second lieu, il est nécessaire de développer le monitoring et la flexibilité du système électrique pour accompagner la montée en puissance des EnR caractérisées par leur intermittence particulièrement pour le solaire et l’éolien. À ce sujet, il y a lieu de développer des moyens de production flexibles, notamment par le développement de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) et de centrales fonctionnant au gaz naturel.

Il faudrait également, multiplier les efforts pour le renforcement du réseau électrique afin d’évacuer et transporter l’énergie électrique produite, tout en développant sa capacité d’accueil en énergie renouvelable, pour le développement des mini-grids et la promotion de la production décentralisée, afin de profiter, notamment, au programme «PERG 2.0» dans le but d’achever l’électrification de notre pays et de répondre, ainsi, aux recommandations du nouveau modèle de développement (NMD)
En ce qui concerne le monitoring de la production renouvelable, il faudrait notamment mettre en place un dispatching permettant la prévision de la production intermittente, en vue d’assurer en temps réel la gestion des flux de production des EnR, l’affichage des informations concernant l’état du réseau, tout en offrant les outils nécessaires d’aide à la décision.
Par ailleurs, il est nécessaire d’assurer une amélioration continue du cadre législatif et réglementaire pour tenir compte des évolutions rapides du secteur de l’énergie et le rendre plus attractif à l’investissement privé.

Dans ce cadre, le gouvernement déploie des efforts pour réformer le cadre législatif. Il s’agit du projet de loi n° 40-19 modifiant et complétant la loi n° 13-09 relative aux EnR, adopté à l’unanimité par la Chambre des représentants, et le projet de loi n° 82-21 relatif à l’autoproduction électrique en cours de discussion au niveau de la Chambre des représentants.
Ces réformes permettront d’encourager la production décentralisée, et offriront aux opérateurs notamment industriels la possibilité de se doter de l’énergie électrique verte et compétitive via le gestionnaire de réseau électrique ou à travers l’adoption de solutions individuelles ou collectives, en vue d’optimiser l’investissement des installations et du coût du kilowattheure.
Il y a lieu de signaler que l’attractivité du secteur des énergies renouvelables sera renforcée davantage par la mise en œuvre, déjà entamée, des recommandations du NMD, visant à réduire les coûts de l’énergie par la mise en place d’une nouvelle architecture institutionnelle autour d’un régulateur fort, indépendant et transparent pour l’ensemble du secteur, la promotion de la production décentralisée, y compris industrielle, et le développement de la mobilité durable, dans tous les secteurs du transport personnel et collectif.

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Efficacité énergétique : 80 mesures identifiées dans le transport, le BTP, l’industrie et l’agriculture

«L’amélioration de la compétitivité de notre économie impose la mise en place de mesures d’efficacité énergétique dont l’intérêt n’est plus à démontrer. Certaines mesures présentent un potentiel d’économie important et des délais de retour sur investissement très courts, en plus de leurs impacts bénéfiques en termes de création d’emplois et de valeur ajoutée. Elles contribuent aussi au développement de l’expertise nationale et au renforcement de la prise de conscience dans tous les secteurs économiques du pays», précise Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du développement durable.
Sur ce point, il faut savoir que 80 mesures d’efficacité énergétique ont été ainsi identifiées et portent sur les secteurs du transport qui représente 38% de la consommation du pays, le bâtiment 25%, l’industrie 21%, et l’éclairage public et l’agriculture 6%. Leur mise en œuvre permettrait une économie de la consommation énergétique de 20% à l’horizon 2030.
«Aujourd’hui, il existe une réelle volonté politique pour accélérer la cadence traduite par les chantiers en cours pour que l’Administration publique donne l’exemple en matière d’efficacité énergétique, mais aussi par le renforcement du cadre réglementaire et normatif et de digitalisation par la mise en place d’audits énergétiques obligatoires pour les unités industrielles dont la consommation énergétique totale finale dépasse 1.500 Tep par an.»

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22 organismes d’audit énergétique agréés

Quelque 22 organismes d’audit énergétique répondant aux exigences techniques et ayant les compétences nécessaires ont été agréés pour assurer la réalisation d’audits énergétiques obligatoires. Mais, cela ne s’arrête pas là. Il s’agit également de la fixation des performances énergétiques minimales des équipements et appareils fonctionnant à l’énergie et mis en vente sur le territoire national. Le décret n° 2.20.716 y afférent a été publié en 2021 et trois projets d’arrêtés relatifs aux performances énergétiques minimales et à l’étiquetage énergétique des réfrigérateurs, climatiseurs et des moteurs électriques sont en phase d’approbation.
De même, le développement des sociétés de services énergétiques permet de diversifier les sources de financement des projets d’efficacité énergétique et de garantir les résultats en matière d’économie d’énergie. «Notre démarche aujourd’hui en matière d’efficacité est guidée par cinq orientations stratégiques, à savoir : le respect des fondements de l’efficacité énergétique par tout nouvel investissement, l’intégration de l’obligation du respect de l’efficacité énergétique au niveau des dépenses publiques et des projets bénéficiant de l’appui de l’État, la structuration et la professionnalisation du secteur de l’efficacité énergétique, le positionnement de l’efficacité énergétique au cœur des enjeux et des préoccupations des professionnels et des citoyens, la mobilisation des ressources et l’amélioration de la coordination pour le développement de l’efficacité énergétique», note la ministre.

 


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