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Flexibilité du taux de change : l’opportunité, les prérequis, et les risques

De prime abord, Mohammed Haitami tient à souligner un point crucial à ses yeux : la flexibilisation du dirham est une décision à ne pas prendre à la légère. C’est une décision de haute portée qui pourrait prêter à conséquence. Elle doit de ce fait être mûrement réfléchie, compte tenu de ses implications et de ses répercussions directes sur des pans entiers de l’économie. «Si un pays s’engage à ouvrir sa monnaie à la logique de l’offre et de la demande et qu’il fait après coup marche arrière, ce sera fatal parce qu’il risque de perdre toute crédibilité. C’est la raison pour laquelle les Banques centrales sont très circonspectes sur cette question. Le processus est irréversible. BAM en est parfaitement conscient. Car au Maroc, nous avons un capital confiance et crédibilité qui est inestimable et qu’il faut préserver», renchérit l’invité de l’Info en Face.

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À la faveur d’une longue expérience dans le domaine des finances et de la banque, le président-directeur général du Groupe Le Matin connaît à l’évidence les tenants et des aboutissants de la question. Parfaitement à l’aise dans l’exercice d’explication pédagogique des enjeux des taux de change, il a tenu à mettre en garde contre un premier risque. Pour lui, rendre le dirham complètement flexible pourrait poser problème, dans la mesure où cela pourrait ouvrir la voie aux spéculations (de la part des banques). «Pour s’en prémunir, les Banques centrales procèdent au rachat de la monnaie, mais ce faisant, elles ne font que résister, d’où le risque d’effondrement sur le long terme. Il faut donc que la gestion de la flexibilité soit menée graduellement suivant une bande de fluctuation maîtrisée. «C’est la voie de la sagesse», indique M. Haitami, estimant qu’à cet égard BAM semble avoir une excellente visibilité. D’autant que la convertibilité, selon le même intervenant, n’est pas une fin en soi. Car «elle doit apporter un gain pour la compétitivité, sinon il est inutile de prendre un risque qui pourrait avoir des conséquences incalculables».

Partant de là, M. Haitami souligne qu’une flexibilisation est envisageable si elle est justifiée et fondée, encore faut-il qu’elle soit accompagnée des réformes économiques nécessaires, comme insiste à chaque fois et à juste titre Bank Al-Maghrib. «Il est possible d’élargir la bande de fluctuation, mais il faut rester prudent et ne pas déprécier la valeur de notre monnaie». En effet, le risque est considérable en cas de faux pas. «Le Maroc récolte chaque année près 100 milliards de DH de transferts des MRE, car ces derniers font confiance à la monnaie de leur pays. Si jamais ils constatent une dépréciation du dirham qui peut conduire à la dévalorisation de leur épargne, ils pourraient limiter leurs transferts avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les réserves en devises», analyse M. Haitami.

Un œil attentif sur les fondamentaux est nécessaire

C’est la raison pour laquelle, souligne l’invité de l’Info en Face, il est primordial d’opter pour une flexibilisation progressive, tout en gardant un œil attentif sur les fondamentaux qui doivent préalablement être assez solides avant d’aller plus loin dans ce chantier. «Le déficit, la dette, l’inflation doivent être scrutés de près, c’est ce qui fait la force d’une économie et par conséquent la force de sa monnaie. Chaque pas dans ce sens doit être méticuleusement calculé. La stabilité du dirham donne de la visibilité aux investisseurs et aux acteurs économiques. C’est pourquoi BAM semble bien avisé en optant pour une flexibilisation à petites doses en fonction de la solidité des fondamentaux de l’économie», explique M. Haitami en substance. «La réforme économique doit précéder la réforme monétaire. Et la réforme économique est en cours, comme le montrent les projets structurants lancé par l’État dans nombre de secteurs clés», ajoute-t-il.

L’attitude prudence de BAM vs les recommandations du FMI

Mais l’approche de BAM ne va-t-elle pas à l’encontre des recommandations du FMI, qui est favorable à une ouverture plus franche du régime de change ? «Chacun est dans son rôle !» estime-t-il, en précisant que «le FMI ne peut pas vous imposer des décisions qui pourraient avoir un effet boomerang. C’est à vous de gérer vos contraintes. Et en cas de problème, c’est la Banque centrale qui sera prise pour responsable». La prudence doit être de mise encore une fois, martèle l’invité de l’Info en Face qui semble plébisciter l’approche sage et graduelle de Bank Al-Maghrib. «La vision est très importante dans la conduite de ce genre de réforme. Les données, l’évolution de la situation, les indicateurs sont à surveiller, comme par exemple les revenus des phosphates ou les transferts des MRE», ajoute-t-il.

Maîtrise de l’inflation et compétitivité

L’inflation étant intimement liée au taux directeur fixé par BAM et à la politique monétaire en général, elle se trouve de ce fait au cœur de la conduite du chantier de la flexibilité du taux de change. Faut-il alors faire le choix entre une inflation maîtrisée et une compétitivité économique renforcée via une monnaie flexible ? La réponse de M. Haitami est sans équivoque. La gestion de la problématique inflationniste doit être prioritaire.

«La maîtrise de l’inflation est un des outils de l’analyse de la stabilité d’une pays, c’est une donnée primordiale pour le Maroc. Et il ne faut pas perdre de vue que le Maroc est arrimé à l’Europe et qu’il faut de ce fait avoir un niveau compatible avec celui de nos partenaires européens, qu’ils soient touristes ou investisseurs», explique-t-il, estimant qu’une dévaluation du dirham ne serait pas un «choix intelligent». En effet, «le Maroc importe deux fois plus qu’il n’exporte. Certes, avec un dirham plus flexible on rendra les importations plus difficiles et les exportations plus faciles, mais nous avons des importations incompressibles (hydrocarbures notamment). Donc la dévaluation présente des avantages importants, mais pas dans la situation actuelle. Autant dire qu’une flexibilisation maîtrisée et graduelle du dirham est la meilleure formule, compte tenu de la conjoncture actuelle et des performances de l’économie marocaine.


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