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Les incontournables du développement du Maroc à l’horizon 2030 (Mehdi Alioua)

L’implication du citoyen est l’un des paramètres essentiels dans l’équation du développement, soutient le sociologue Mehdi Alioua. Invité à livrer son point de vue à l’émission «L’Info En Face», celui-ci a rappelé qu’il y a une forte corrélation entre le développement socioéconomique et la démocratie participative. Pour lui, il n’y a pas de développement possible sans associer la population et toutes les forces vives aux décisions qui les concernent et qui correspondent aux besoins réels du pays et de son avenir. Or au Maroc, l’implication des citoyens dans la prise de décision demeure encore limitée, et ce en dépit des efforts déployés à ce jour. «Il est vrai que cela se fait de plus en plus, mais cela reste largement insuffisant», regrette-t-il.

D’ailleurs, s’étonne-t-il, le terme «démocratie» a pratiquement disparu du débat public ces dernières années ! «J’exagère un peu, mais si on fait l’exercice de chercher dans les médias sur les cinq à sept dernières années, le mot démocratie n’apparaît pratiquement nulle part. Pourtant, le projet de société porté par la Constitution de 2011 avait lancé un élan assez important, celui de construire une démocratie à la marocaine», fait remarquer le sociologue, qui est également enseignant-chercheur à l’Université internationale de Rabat (UIR). Cet élan devait aboutir à un modèle démocratique particulier adapté aux réalités nationales.

L’attentisme de la société, ennemi du développement

Dans cette démocratie à la marocaine, l’enjeu est de définir un contrat social à même de répondre aux nouveaux enjeux de développement. Le contrat social, rappelons-le, défend le principe de souveraineté du peuple basé sur la liberté, l’égalité et la notion de volonté générale. «C’est une question fondamentale. Dans le contrat social, on implique les citoyens. En fait, les citoyens s’auto-impliquent même dans des rapports de force, souvent dans des conflits, pour essayer de faire valoir à la fois leur droit à la dignité, leur volonté d’exister, d’être présents et d’être écoutés», affirme le sociologue. «Quand le citoyen a l’impression qu’il n’est pas écouté, il n’a plus envie de s’exprimer. Cela touche l’esprit d’initiative, la volonté d’entreprendre… In fine, cela touche directement l’aspect économique», poursuit-il.

Concernant ce point en particulier, le chercheur estime que le dynamisme de la société marocaine s’est un peu essoufflé parce que les citoyens ont l’impression de ne plus être vraiment écoutés. «En fait, la parole, ce n’est pas qu’elle est moins libre, elle est juste plus attentiste. Le Maroc a de grands chantiers qui devraient être mobilisateurs : le modèle de développement, l’État social…, mais on a l’impression d’être une société attentiste», signale M. Alioua. «Tout cela pour dire que la premier levier pour enclencher cette dynamique de développement est d’impliquer les citoyens pour qu’ils se sentent vraiment acteurs, qu’ils prennent part à la co-construction de ce qu’on appelle l’action sociale», plaide-t-il.

«Pour revenir à ces notions de démocratie et de contrat social, ce sont des sujets sur lesquels nous n’arrivons pas à débattre suffisamment. Principalement en raison des raccourcis idéologiques (occidentalisation vs islamisation) qui rendent tout débat stérile. Cela fait plus de 10 ans qu’on n’arrive pas à en sortir ! Pourtant, il ne s’agit pas de copier d’autres pays dans un sens ou dans l’autre. C’est pour cela qu’il nous faut une démocratie à la marocaine», insiste le sociologue.

Démocratie à la marocaine : les partis politiques n’ont pas joué le jeu

Sur cette question de démocratie, M. Alioua relève que le Maroc a fait de grands pas en matière de liberté d’expression. Aujourd’hui, souligne-t-il, on peut dire que la parole s’est libérée et que les citoyens s’expriment de plus en plus librement sur différentes questions. «Pas exactement comme dans certaines démocraties libérales, mais il s’agit tout de même d’une évolution assez forte, même s’il existe toujours des tensions», précise le chercheur.

Par contre, relève-t-il, ce sont les partis politiques qui n’ont pas mis la démocratie au centre de leurs enjeux. «Pourquoi les partis politiques ne portent pas haut la démocratie ? Tout simplement parce que ce n’est pas leur projet politique. Les formations qui ont été aux commandes au cours des 14 dernières années n’ont pas mis la démocratie au centre de leurs enjeux. Que ce soit le PJD qui a une vision populiste de la démocratie ou le RNI qui porte un projet dans lequel cette question n’est pas très présente», explique M. Alioua.

«Ce n’est pas une critique. Je ne dis pas qu’ils ont tort, j’essaie juste d’analyser les données en toute neutralité. Le projet du parti qui est aujourd’hui à la tête du gouvernement, par exemple, est basé sur autre chose que la volonté démocratique», tient-il à préciser. «C’est le travail des partis politiques, mais aussi des syndicats et de la société civile. Sans l’État qui doit mettre en œuvre des politiques éducatives susceptibles de remuer cette société, et d’être un peu moins dans la volonté de tout diriger, de tout gérer, que ce soit à l’échelle nationale ou locale», ajoute-t-il.

La Moudawana comme moteur de développement : il faut libérer les femmes !

Mehdi Alioua affirme aussi que la révision du Code de la famille est un autre enjeu de développement qui va conditionner les évolutions des prochaines années. Le chercheur signale que le Maroc peine toujours à améliorer son score dans les classements internationaux, en dépit de ses efforts pour lutter contre les inégalités sociales de manière générale.

«La dépendance des femmes vis-à-vis des hommes crée des situations attentatoires à la dignité humaine, et pèse sur le développement social et le développement économique du pays. Les femmes sont attachées complètement à la tutelle masculine de différentes manières, souvent déguisées. Cela empêche le pays de décoller et la société d’assumer réellement la transformation en cours», alerte le sociologue. «Il faut libérer les femmes ! Autrement, on enchaîne la moitié du pays ! On ne développe pas un pays qu’avec la moitié de la population !» martèle-t-il.

Il convient de souligner que la révision de la Moudawana, avec les transformations qu’elle va apporter dans son sillage, a déclenché d’intenses débats, particulièrement sur les réseaux sociaux, devenus aujourd’hui de nouveaux espaces publics où s’exerce bien la libre expression. Même s’il y a des abus. À travers ces débats, on peut constater que cette société, qu’on encourage à prendre la parole, est assez divisée sur la question, voire fracturée. Cela va même jusqu’à la violence. Or, note l’expert, la liberté d’expression n’est pas sans limites, même en démocratie libérale. «Tout le monde ne peut pas dire ce qu’il veut, comme il veut ! Ce n’est pas de la démocratie ! En démocratie, il y a des droits, notamment en termes de liberté en général, mais il y a aussi des devoirs !», s’indigne l’enseignant-chercheur. «Il faut bien des arbitres. Et pour l’instant, nous n’avons pas de meilleur arbitre que l’État. Et puis un État fort pour un État social, c’est le modèle de développement choisi par le Maroc, dans lequel il faut à tout prix intégrer la question démocratique et faire bouger les bases pour impulser le développement», lance-t-il.


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