ActualiteLe Matin

Myriam Sahraoui, une comédienne entre deux rives

[ad_1]

Très peu sont connus au Maroc, tous ces Marocains qui évoluent dans les domaines de la culture, dans leurs terres d’accueil. Pourtant, certains brillent et en profitent pour faire reluire l’image du pays, en tentant de jeter des ponts et des passerelles pour le relier au reste du monde. Myriam Sahraoui fait partie de ces acteurs enthousiastes qui, depuis les Pays-Bas, œuvrent à montrer du Maroc son visage moderne, émancipé, actif et accueillant.

>> Lire aussi : Pleins feux sur l’exposition «L’autre histoire : le modernisme marocain» au Musée Cobra aux Pays-Bas

Si son métier de comédienne vient d’être récompensé par la plus haute distinction accordée aux acteurs culturels, par la Reine des Pays-Bas, son travail en tant que conseillère à la Coopération culturelle Maroc-Pays-Bas au sein de DutchCulture, incarne un engagement rare qu’il convient de reconnaître et de soutenir. Lors d’un atelier préparatoire du programme «Urban Safar Tanger», Myriam Sahraoui s’est confiée à cœur ouvert sur son parcours et son lien indéfectible au Maroc.

Myriam Sahraoui, une vie sur les planches

Myriam est née à Tanger, de père marocain et de mère néerlandaise. Au lycée français de la ville du Détroit, la jeune ado timide se fraie un chemin à l’ombre, très loin de désirer l’attention ou les lumières. Et bien qu’elle savoure sa première expérience de théâtre, lors d’une représentation à l’école, elle se contente d’une vie paisible, auprès de ses amis et de sa famille marocaine. Mais à 15 ans, sa vie prend un tournant radical lorsque sa mère l’emmène aux Pays-Bas, laissant derrière elle son père, sa famille et sa vie tangéroise. «Je pensais qu’on y allait pour des vacances, mais une fois là-bas, je découvre qu’on y est pour rester. Je n’ai jamais pardonné cela à ma mère», confie Myriam dont le déracinement laisse une blessure profonde, alimentant sa colère et la poussant à quitter la maison pour Amsterdam à la première occasion.

Dans la célèbre capitale, Myriam s’essaie à des études européennes, pour travailler à la Commission européenne à Bruxelles, avant de se faire engager à la Dutch Broadcasting Company en tant que journaliste et chercheuse documentaire. Elle participe à des reportages et des longs métrages documentaires, dont certains sont primés. Mais la production y est carrée, très peu pour Myriam désireuse d’arrondir les angles.

Un jour, la jeune femme découvre une annonce qui cherche des comédiennes d’origine arabe pour le projet d’une pièce de théâtre. Elle rejoint alors cette troupe révolutionnaire à l’époque, la première génération de comédiennes issues de l’immigration, marquant ainsi le début de sa carrière théâtrale. «La metteuse en scène était trop politiquement correcte et n’arrivait pas à contenir notre révolte et notre débordement, si bien qu’elle a jeté l’éponge très vite, laissant le producteur désespéré à quelques semaines de la représentation (rires). C’est là qu’il a tenté une folie : appeler au secours la seule artiste néerlandaise capable de gérer tant de bouillonnement : la grande Adelheid Roosen. Et c’est ainsi qu’a commencé une histoire d’amitié qui dure jusqu’aujourd’hui», se remémore Myriam. La pièce a fait un tabac, le succès est immédiat, bien que les communautés arabes soient offusquées par la subversion de ces jeunes dames.

De cette troupe, seule Miryam continue avec Adelheid. Elle rejoint sa compagnie Female Economy et ensemble, elles fondent Zina, une structure de théâtre communautaire, avec deux autres comédiennes : Elly Ludenhoff et Nazmiye Oral. «C’est venu après le 11 septembre 2001, puis la mort du cinéaste néerlandais Van Gogh en 2004. Cela nous a donné l’envie de proposer un autre récit pour les Néerlandais issus des communautés arabes, turques et kurdes», explique Myriam.

Dans ce même but de faire connaître les communautés et les ouvrir aux citoyens néerlandais, Female Company a développé une méthode originale basée sur l’adoption par les habitants d’un quartier ou d’une ville, de comédiennes de la troupe. «Avec ces parfaits inconnus, souvent issus des marginalités, nous devons partager notre intimité et apprendre à nous connaître afin de concevoir ensemble des scènes racontant notre rencontre», explique Myriam Sahraoui. Cette méthode a donné lieu à des pièces uniques, truffées d’émotion et abolissant les barrières de classe, de genre ou d’origine ethnique. Female Economy a organisé des adoptions aux Pays-Bas, mais aussi en Iran, au Surinam et au Mexique. L’édition marocaine se tient à Tanger en juillet prochain. «Nous espérons recevoir des Tangérois, mais aussi des touristes marocains, du Maroc ou de l’étranger, ainsi que des étrangers, pour leur faire découvrir Tanger de l’intérieur».

Si la création théâtrale, libérée des codes convenus, est le noyau principal de l’activité de Myriam, elle développe la méthode «I meet Me», en collaboration avec le psychothérapeute Jale Simsek : une formation de travail corporel émotionnel destinée aux femmes migrantes qui souhaitent travailler sur elles-mêmes et être plus heureuses dans la vie.

Le travail de Myriam et de la Female Economy a été consacré aux Pays-Bas par la reine Maxima, le 20 novembre dernier. «Le Prix national de la culture est accordé au travail de toute une carrière. C’est un hommage pour ces vingt dernières années. Pourtant, hier encore, on commençait…», se souvient Myriam, stupéfaite…

Le Maroc dans les tripes

Depuis cinq ans, Myriam s’investit passionnément en tant que conseillère pour DutchCulture, l’organisme dédié à la coopération culturelle internationale. Engagée pour une meilleure collaboration culturelle entre le Maroc et les Pays-Bas, Myriam a profité du réchauffement diplomatique entre les deux nations pour jouer un rôle clé dans la mise en place de nombreuses actions visant à renforcer les liens entre ces deux cultures.

Pour l’artiste, cette mission représente bien plus qu’un simple travail, c’est une opportunité de restaurer son entièreté. «C’est comme concilier mes deux moitiés, séparées par la blessure de ce départ involontaire. J’ai besoin de montrer aux Pays-Bas le Maroc moderne, mais j’ai également besoin de montrer au Maroc les Pays-Bas ouverts sur l’extérieur», explique-t-elle avec conviction. Sa vision abolit les frontières géographiques et culturelles et jette des ponts entre deux mondes souvent perçus comme éloignés.

Durant cinq années, Myriam a coordonné plusieurs initiatives d’échanges culturels, à même d’instaurer un dialogue entre les artistes, intellectuels et acteurs culturels des deux pays. Parmi ses plus belles prouesses, notons l’arrivée prochaine d’une exposition du célèbre musée Cobra au Musée

Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI) de Rabat, marquant ainsi une étape importante dans le rapprochement des deux cultures. Plusieurs artistes marocains ont également eu l’opportunité d’exposer aux Pays-Bas, offrant ainsi un regard unique sur la richesse artistique et culturelle du Maroc. Les échanges ne se limitent pas aux arts plastiques, ils s’étendent à la musique, la littérature et au cinéma, contribuant ainsi à une compréhension mutuelle plus fine.

Au-delà de la simple promotion culturelle, Myriam entrevoit un potentiel plus vaste pour la collaboration entre le Maroc et les Pays-Bas, notamment dans la lutte contre l’extrémisme sous toutes ses formes. Quoi de mieux que la culture pour transcender les différences, célébrer la diversité et construire un pont solide entre ces deux nations ? «Je suis convaincue que la culture peut jouer un rôle crucial dans ce sens, en permettant aux sociétés de mieux se connaître, de se respecter mutuellement et, finalement, de tisser des liens d’amitié durables, qui résisteraient même aux changements politiques», espère Myriam Sahraoui.


Continuer la lecture

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page