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Tanger, de l’Internationalisation à la renaissance

Rétrospective. Nous sommes en 1923. Le nouveau statut de Tanger est celui d’une ville internationale. Une cité qui s’inscrit comme la croisée des chemins, des langues, des cultures et des intérêts. La convention du 18 décembre 1923 sur l’organisation de son régime, mieux connue sous la dénomination du Protocole de Tanger, énonce clairement les particularités de son nouveau rôle dans la région et dans le monde.
 
La ville du Détroit, métamorphosée en l’espace de quelques signatures griffonnées en ce que les médias américains ont promptement baptisé « World City », n’est en réalité que la traduction d’un rêve formulé pour la première fois par l’Oncle Sam en 1856, lors d’une succession d’apparitions médiatiques. À l’époque, la ville était déjà considérée comme la « capitale diplomatique de la Méditerranée », grâce à son ouverture sur les différents pays de la région.
 
De la fin du XIXème siècle au début du XXème, l’ancienne Tingis devient, comme par un tour de passe-passe, un pôle d’attraction pour les échanges internationaux d’élites. D’ailleurs, le Protectorat français de 1912 n’a fait que confirmer cette singularité. De ce fait, la ville est soumise à un régime dérogatoire « à déterminer », la Première Guerre mondiale ayant repoussé cet objectif à des conjonctures plus clémentes.
 
Dévoilé en décembre 1923, promulgué en mai 1924 et mis en application l’été suivant, le protocole de Tanger soumet ce territoire de 375 kilomètres carrés à un Régime colonial partagé entre les trois puissances adverses au Nord du Maroc : la France, l’Espagne et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni.
 
Ces trois puissances sont bientôt rejointes en 1928 par l’Italie, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas et la Suède. Les États-Unis sont, dans un premier temps, restés à l’écart. Mais officiellement, la ville reste sous la souveraineté du Sultan du Maroc, représenté par un délégué appelé « Mendoub », soit l’équivalent d’un pacha mais avec un rôle plutôt symbolique. De 1940 à 1944, Tanger est sous le giron de l’Espagne, qui la rattache au territoire du Rif, afin de garantir artificiellement sa neutralité au milieu de l’hécatombe de la Seconde Guerre mondiale sur les côtes centrales et orientales de la Méditerranée.
 
La ville adjacente de Gibraltar a retrouvé son éclat transnational après la guerre, grâce à l’arrivée d’un nouvel intervenant : les États-Unis. Elle accueille une usine de fabrication de Coca-Cola et une agence de la Voix de l’Amérique. À l’époque du plan Marshall, Tanger devient l’un des nombreux témoins de la naissance du soft power américain, qui se superpose à la domination coloniale. Cette péripétie cesse pratiquement en 1956 avec l’indépendance du Maroc. Cependant, la ville conserve un statut particulier jusqu’en 1960.
 
Ces années-là, Tanger est devenue un Gotha d’intellos. Paul Bowles, René Matisse, Paul Morand, Mohammed Choukri (natif de Nador mais tangérois de cœur) et Eugène Delacroix ont fait briller cette cité dans les arts plastiques, le cinéma et la littérature.
 
Cependant, pour ses 115.000 Marocains, Musulmans et Juifs, et ses 35.000 Européens, majoritairement espagnols, dont beaucoup font partie du prolétariat urbain, cette expérience singulière n’est pas très rentable. La position géographique exceptionnelle de Tanger sur le Détroit de Gibraltar n’a profité qu’aux nantis, aux diplomates et aux dirigeants d’Outre-Mer. La prospérité de ses activités maritimes était, hélas, tributaire de l’Indépendance du Royaume.
 
Quelques décennies plus tard, chez les Nationaux, l’internationalisation de Tanger s’est traduite par un incroyable glissement des classes, des inégalités salariales, une déscolarisation à un âge précoce en vue de trouver un emploi, une précarité accrue, etc.
 
En somme, cette même internationalisation, que presque tout le monde applaudissait dans les années 20 du siècle dernier, s’est révélée être un cosmopolitisme de conflits qui, avant le Tanger Med, n’a réussi qu’à paralyser le développement de la ville aux milles atouts.

 

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