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L’électorat français : Les trois blocs

Ahmed Naceur (*)

Un débat domine la scène politique française : celui de l’immigration sur laquelle aucun consensus n’a été trouvé jusqu’ici. La classe politique à la quasi unanimité dénonce le fameux accord signé avec l’Algérie en 1968 qui accorde certains privilèges aux citoyens algériens au détriment des autres communautés, incitant beaucoup de responsables à réclamer une réforme constitutionnelle. Ce sera l’enjeu majeur des futures élections.

Si le cercle de la raison (expression du philosophe Alain Minc pour décrire l’alliance du centre avec son aile gauche et son aile droite) remporta il y’a un an les élections présidentielles, il y’a en revanche à gauche et à droite deux blocs électoraux qui, avec le temps, dans les décennies à venir, finiront par se retrouver face à face. Comme nous l’enseignent les politistes, la sociologie électorale évolue avec les générations.  L’affrontement gauche/droite que l’on a connu depuis le début de la Vème République a été battu en brèche par le président Macron, qui a regroupé les deux franges de droite et de gauche les plus proches du centre, et le centre lui-même. Et façonné ensuite une « majorité bigarrée », qui n’a jamais existé auparavant et dans une certaine mesure qui a bouleversé les habitudes et la sociologie françaises.

 A la droite de ce bloc hétérogène, les tenants de l’identité et de la souveraineté, à sa gauche, les défenseurs d’une nation multiculturelle et d’un socialisme qui va jusqu’au communisme, la fameuse alliance dénommée NUPES. L’électorat le plus âgé, celui des retraités, les fameux boomers (qui vote le plus), notamment pour Emmanuel Macron (Voir Valeurs actuelles, « Présidentielles : les ouvriers et les employés séduits par Le Pen, les cadres et retraités par Macron », 11/04/2022) caractérise la société française. Marine Le Pen bénéficie du vote ouvrier et employé, Jean-Luc Mélenchon se fonde lui sur un électorat jeune (les étudiants surtout) et sur l’électorat des banlieues des grandes métropoles. L’électorat qui vote le plus étant celui des retraités, il est aussi celui qui fit élire, en grande partie, le président actuel, et ce faisant le plus important en nombre. Il va sans dire que cet électorat va diminuer car il est âgé. Se donneront alors rendez-vous pour un face à face électoral (dans quelques décennies) la France périphérique, celle des employés et des ouvriers (entre autres), une France souverainiste et identitaire face à une France multiculturelle, socialiste, communiste.

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Des deux côtés une bourgeoisie et une élite intellectuelle. Des deux autres côtés aussi un bloc populaire. Intellectuellement, en schématisant, la France d’Éric Zemmour face à celle de Laurent Joffrin. Politiquement, Marine Le Pen face à Jean-Luc Mélenchon, même si d’ici les quelques décennies évoquées ci-dessus, ils auront probablement été remplacés. Emmanuel Macron est l’aboutissement d’une convergence entre droite et gauche depuis les années 1980, qui sur l’Union européenne, l’économie, la géopolitique ou encore l’immigration pensaient plus ou moins la même chose. On se rappelle de la rupture entre Charles Pasqua et Jacques Chirac, le non à Maastricht et le souhait d’un rapprochement avec Jean-Marie Le Pen causèrent (en partie) cette rupture politique.

Le « cordon sanitaire » institué par François Mitterrand en coupant la droite en deux (François Mitterrand fit le nécessaire pour mettre Jean-Marie Le Pen sur le devant de la scène en l’invitant à l’émission « L’Heure de vérité » et en dénonçant par la suite la « haine » de ce parti) est un héritage que le défunt président a légué à ses descendants politiques et à la gauche en général. La « République en danger » à cause d’un parti qui ne serait pas dans le cercle Républicain relève plus de la stratégie que de convictions et de réalité politique. Lionel Jospin, celui qui porta les couleurs du Parti socialiste lors des élections présidentielles de 2002, dans son ouvrage Lionel raconte Jospin, affirme sans détour que la lutte contre le « fascisme » de 2002 lors de l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour, n’était que du théâtre.

La France d’aujourd’hui se retrouve-t-elle dans la même configuration ? Un Rassemblement national (RN) qui monte en puissance, se banalise et ne suscite plus de craintes, la droite classique des LR reprise en main par Eric Ciotti et ses fidèles, la gauche écartelée et la NUPES dans un exercice d’interrogation ou plutôt d’introspection sur elle-même, dans la difficile perspective de remplacement de Jean-Luc Mélenchon ! Le paysage politique français est à coup sûr soit figé, soit en lent mouvement de transformation intérieur. Les forces classiques comme le Parti communiste et même le Parti socialiste plongent dans une crise interne qui n’est ni nouvelle, ni surprenante parce qu’elle illustre le résultat de l’apolitisme voire du déclin de la pensée politique.

Le passage à l’Elysée de Macron, si applaudi et loué, n’a pas implanté une tradition, encore moins une culture. Dans quelques mois, à mi chemin, des législatives auront lieu et dans moins de trois ans en principe une présidentielle décisive invitera les Français à élire leur président. Le scrutin opposera autant des profils nouveaux que des programmes ambitieux. Entre Wauquiez, Ciotti, Edouard Philippe, Marine Le Pen, des candidats de la gauche et de l’extrême gauche, le choix sera difficile…Le pays aura un autre visage et portera un autre voile.

(*) Chercheur en Histoire

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