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Les nains de Bournazel, les Boeing de Osman et autres légendes urbaines du Maroc

Au Maroc, les rumeurs et les légendes urbaines ont souvent ponctué les grandes actualités et préoccupations du moment. L’élévation (relative) du niveau d’éducation et l’émergence des réseaux sociaux ont quelque peu limité leur circulation, mais favorisé l’apparition de nouveaux récits. Retour sur certaines légendes urbaines des années 1980 et 1990.

Des sept nains de Bournazel à l’immolation des personnes atteintes du Sida

En avril 1999, Casablanca a bruissé d’une stupéfiante rumeur : sept nains seraient apparus au quartier de Bournazel. Selon le journal émirati Al Bayane, la rumeur a été lancée par un groupe d’écoliers, mais chacun y ajoutant du sien, elle aurait connu des reformulations et des réélaborations à mesure qu’elle prenait de l’ampleur. Ces nains seraient sortis d’un bois avoisinant, ou d’une maison abandonnée, sinon d’un terrain en friche bordant l’autoroute qui traverse le quartier. Certains juraient les avoir vus, les décrivaient avec force détails : ils mesuraient une trentaine de centimètres, porteraient des «habits moyenâgeux», et devaient donc appartenir à une tribu de nains aux origines archaïques et inconnues. 

Il n’en fallait pas plus pour qu’une véritable chasse aux nains soit lancée. Pour plusieurs jours, les nains de Bournazel ont été l’attraction de la métropole économique. Des chauffeurs de grands taxis ont modifié leur trajet pour emmener des chalands au quartier. Le très fort intérêt des Casaouis pour ces créatures a été à l’origine de désordres : les chasseurs de nains se sont agglutinés à certains endroits, bloquant la circulation ; des vitres ont été brisées, des devantures de maisons saccagées. La police est intervenue pour disperser les badauds. 

Mais avant, dans les années 1990, au plus fort de l’épidémie du Sida, le Maroc n’a pas été épargné par la vague de frayeur ayant accompagné la découverte puis la propagation de la maladie. Et malgré la petite centaine de cas recensés dans les années 1990, le royaume a vu circuler de multiples légendes urbaines sur le Sida, dont une particulièrement macabre. Selon cette légende, les patients atteints auraient été… brûlés vifs à la Foire internationale de Casablanca. La rumeur a connu une très grande circulation, et des personnes se sont infligées la peine du déplacement pour assister au sinistre spectacle.

Image d’illustration. / DR

Les veuves tchétchènes

Dans les années 1990 toujours, une autre légende urbaine a eu pour théâtre la Foire internationale de Casablanca. Durant la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), les Marocains ont suivi avec un certain intérêt ce conflit impliquant une nation de la périphérie mondiale. L’identité islamique du pays explique peut-être la sympathie rencontrée par la cause tchétchène au Maroc. Des campagnes de solidarité avec la Tchétchénie ont alors été lancées par différents groupes, notamment islamiques. Et puisqu’à chaque actualité internationale, sa légende urbaine, celle-ci affirmait que des veuves tchétchènes étaient «proposées» en mariage à la Foire internationale de Casablanca. Selon plusieurs témoignages, la rumeur a suscité un engouement et un affairement réels. Arrivés sur place, des hommes se seraient vus répondre que toutes les femmes tchétchènes ont été mariées, et qu’il fallait revenir un autre jour.

Cette légende urbaine semble être une variante de celle des «veuves irakiennes», qui avait circulé quelques années auparavant en Inde. Au lendemain de la guerre du Golfe, le régime irakien avait battu campagne pour les droits des veuves des soldats et des citoyens tués par la coalition dirigée par les Etats-Unis. En Inde, des escrocs s’étaient saisis de l’affaire : ils avaient commercialisé des imprimés promettant une prime de 25 000 roupies, un revenu mensuel de 10 000 roupies et des noces à Bagdad pour tout homme souhaitant se marier avec une veuve irakienne. «L’ambassade d’Irak en Inde [a été] assiégée par les prétendants, [et] les services postaux indiens [ont croulé] sous le poids des demandes manuscrites depuis que la rumeur a circulé», écrit l’Économiste en 1992. La légende urbaine des «veuves irakiennes» a possiblement pu toucher le Maroc, compte tenu de la couverture qui lui a été accordée par la presse locale, et celle des veuves tchétchènes semble en être une reformulation.

Image d'illustration. / DRImage d’illustration. / DR

Les cartes blanches de Hassan II et les Boeing d’occasion d’Ahmed Osman

De tout temps, les rois du Maroc ont été au centre d’anecdotes et de récits aussi nombreux qu’invérifiables. On disait que Mohammed V répondait aux appels des auto-stoppeurs incognito, voire même qu’il mangeait le couscous avec les gens devant les mosquées. Hassan II, lui, a fait l’objet d’innombrables mythes. L’un d’entre eux est celui des «cartes blanches» qu’il octroyait aux mendiants qu’il croisait sur son chemin. Une fois présentées au gouverneur, ces cartes blanches permettaient de faire exhausser «tous les vœux : maison, travail, argent, terrain, agrément», raconte un internaute marocain selon qui cette légende urbaine a connu une large diffusion à Tétouan.

Même certains ministres ont été au cœur de légendes urbaines, à l’instar d’Ahmed Osman. Personnage politique de premier ordre au Maroc – tour à tour premier ministre, ministre, ambassadeur et directeur du cabinet royal – Osman a lui aussi eu sa part de légendes urbaines.

L'ancien premier ministre et ambassadeur Ahmed Osman. / Ph. DRL’ancien premier ministre et ambassadeur Ahmed Osman. / Ph. DR

A Nouaceur, on racontait que Hassan II avait envoyé Osman acheter des Boeing neufs, mais qu’il aurait acheté des aéronefs d’occasion et aurait gardé une part d’argent pour lui. La légende urbaine voudrait que ce soit avec cet argent que Osman ait construit «la résidence Ibn Battouta surnommée à tort « l’immeuble d’Osman »», relate un autre internaute marocain.

Les Honda Lead de l’Hajj Talal

C’était la moto branchée des années 1980 et 1990 ; celle que tous les jeunes de cette génération souhaitaient s’offrir. Confortable, légère, une esthétique quintessenciée ; de nombreux atouts qui en ont fait une moto culte de cette époque. Se déclinant en plusieurs coloris, sa version la plus commune était en rouge. C’est à ce trend qu’est venue se greffer une légende urbaine aussi grivoise qu’infamante : elle disait qu’un saoudien nommé Hajj Talal aurait offert des Honda Lead rouges à tous les jeunes avec qui il aurait entretenu des rapports sexuels.

Des Honda Lead. / Ph. ALMDes Honda Lead. / Ph. ALM

La légende est apparue dans le sillage de l’affaire de l’Hajj Tabit, qui a magnétisé l’opinion publique marocaine et créé un engouement pour les scandales sexuels, réels ou fictifs.

Il n’en fallait pas plus pour que les propriétaires de Lead rouges soient harangués dans la rue aux cris de «Wlidat l’Hajj Talal» (fils de l’Hajj Talal). Certains auraient carrément préféré planquer leur scooter chez eux, le temps que la rumeur retombe.

La légende urbaine a rencontré une très grande audience et semble avoir connu une circulation considérable, certains l’évoquant même dans des poèmes


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