Santé

Décryptage : la folie des petits cochons sur les réseaux sociaux

Elle est de la taille d’un gros pain au lait, le groin luisant, l’œil humide, et elle se dandine, imberbe, sur un tapis à poils longs, croquant des framboises sous l’œil attendri de 1,5 million de curieux. Sur TikTok, @penelope_the_mini_pig a plus de 350 000 abonnés. Mais elle n’est pas la seule de ces pigs cups (ces cochons si petits qu’ils tiennent dans une tasse) à jouer les stars sous les hashtags #minipig, #minipiglets, #micropigs. Tel autre se balade au bout d’une laisse dans un adorable costume de souris (@cute.pigs.tiktok, 377 000 followers), tel autre paresse, bedaine à l’air, dans un canapé en cuir aussi XXL qu’il est XXS (1,7million de vues), tel autre enfin sautille gaiement vers un berger allemand qui le chope d’une tendre chiquenaude dans le cou (3,9 millions de vues).

Les cochons seraient-ils en passe de détrôner les chats sur le podium des animaux les plus mignons du Web ? Si George Clooney faisait figure de précurseur avec son buddy Max – décédé en 2006 –, il a depuis fait bien des émules – Arnold Schwarzenegger vient ainsi d’accueillir Schnelly dans son cœur, dans sa maison… et sur son Instagram. Et la tendance ne semble pas près de mollir. Les cochons sont très intelligents, tendres et souvent ridicules (on vous recommande de mettre le son), les vidéos porcines ont des atouts pour séduire des humains particulièrement sensibles à tout ce qui leur ressemble. Pour se tailler la part du porc, ces piglets viraux rivalisent ainsi de vices en tout genre : gourmandise, paresse, veulerie, mais toujours charmants, chacun pourra s’y identifier.

Rebelle EST LA BÊTE ?

Si notre engouement pour les mini-cochons est neuf, il s’inscrit dans une tradition qui, de lolcats en pandas roux, a fait les choux gras d’Internet. Déjà, au début du XXe siècle, le photographe Harry Whittier Frees popularisait, sous forme de cartes postales, des saynètes montrant des chats engoncés dans des costumes d’humain. Mignonnerie, anthropomorphisme, tout y était. Car le secret de notre passion est simple : nous gondoler devant un animal nous fait du bien. « Certaines personnes peuvent penser que regarder des vidéos de chats en ligne n’est pas un sujet assez sérieux pour la recherche universitaire, mais le fait est que c’est l’une des utilisations les plus populaires d’Internet aujourd’hui », se justifie ainsi, dans un communiqué, Jessica Gall Myrick, chercheuse à l’université de l’Indiana, qui a mené une étude sur 7 000 participants, confirmant enfin ce dont tout le monde a déjà fait l’expérience : quand on visionne un chaton qui fait du ski, on se sent « plus énergiques, moins stressés. Et ce, même si on ressent de la culpabilité parce qu’on devait faire autre chose ».

Alors, on arrête de se flageller quand on envoie un lolcat à son collègue : c’est pour réduire son taux de cortisol ! De là à faire de cette pratique un salutaire hymne à la paresse dans un monde sous pression, il n’y a qu’un entrechat… L’historien de l’art Vincent Lavoie, qui a publié « Trop mignon ! Mythologies du cute » (éd. Puf, 2020), ne s’en prive pas quand il décrypte le « kawaii » (mignon, en japonais), tout en animaux pastel, façon Hello Kitty et cucuterie obligatoire : « Ce mouvement est né au Japon dans les années 1970, une période où le pays se lance dans un productivisme effréné. » Refus de passer à l’âge adulte, frivolité revendiquée. Pour lui, « le kawaii est une forme de résistance sociale ». On se le tient pour dit.

L’amour DE LARD

Mais n’est pas kawaii qui veut. Si les mini-cochons taquinent leurs cousins à griffes, il reste peu probable que des hannetons ou des méduses se changent en nouvelle Kardashian. Car les critères qui nous attendrissent sont bien moins subjectifs qu’il n’y paraît. Yeux disproportionnés, comme ceux du Chat Potté de chez DreamWorks quand il veut obtenir quelque chose, grosse tête, membres patauds. Autant de traits empruntés au petit d’homme… Dès 1943, l’éthologue autrichien Konrad Lorenz (peu connu pour sa tendresse, lui qui vira nazi notoire) a montré comment les humains seraient programmés pour ressentir de l’empathie devant les nouveau-nés, incapables sans cela de survivre. Une réaction instinctive à ce « schéma du bébé », dont de nombreuses études ultérieures ont prouvé qu’il s’appliquait également aux animaux, mais aussi… aux objets. Collez deux yeux globuleux sur un mug et votre cerveau réagira comme si vous aviez trouvé un nourrisson abandonné en forêt ! Ce que l’on éprouve face à un cochon blotti dans une poussette, c’est un désir de protection. À travers ces vidéos bébêtes, on chercherait en fait à renouer avec un noble sentiment : la compassion. On aime !

Rester FERME

C’est d’ailleurs l’argument qu’avancent leurs défenseurs en réponse aux associations qui s’inquiètent des maltraitances qui se cachent souvent derrière ces images. Ainsi de la célèbre vidéo d’un loris lent, petit primate que l’on voit se tortiller, aisselles découvertes, sous des chatouilles, humaines trop humaines, ignorant que ce geste est celui qu’il fait pour libérer du venin quand il se sent menacé… La vogue des cochons miniatures – pas si miniatures que ça, du reste – a déjà provoqué des vagues d’abandons, le petit protégé atteignant régulièrement les 200 livres. C’est arrivé à l’une des doyennes d’Instagram, aujourd’hui décédée, @Estherthewonderpig, qui comptait plus de 500 000 abonnés. Sauf que sa famille a choisi de déménager dans une ferme, continuant de documenter la vie de la truie sortie de sa cup, puis créant un sanctuaire pour accueillir ses congénères délaissés.

Les images pas si frivoles que ça d’Esther pourraient ainsi nous faire comprendre que tout n’est pas bon pour le cochon. Mais quid de ceux qui sont nés avec beaucoup moins d’atouts charme ? « La plupart des animaux invertébrés ressemblent plutôt à des aliens, se désole Simon Watt, fondateur de la Société de conservation des animaux laids au Royaume-Uni, dans une interview qu’il donne à “Ça m’intéresse”. Aujourd’hui, 80 % de la vie retient moins de 10 % de l’attention des scientifiques et des dons du public. » Aveugle, l’amour, vraiment ?

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