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Dérèglement budgétaire, une tradition devenue règle sous Akhannouch

Mouhamet Ndiongue

Le 18 mai dernier, Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, a présenté un projet de décret pour augmenter le budget prévu pour 2023, de 10 milliards de dirhams. Selon lui, ce crédit supplémentaire vise à atténuer la conjugaison d’une série de phénomènes, d’abord internes : inflation, sécheresse et engagements sociaux du gouvernement, dans un contexte de conjoncture instable et surtout risquée. Cette rallonge budgétaire n’est pas une première pour le gouvernement Akhannouch, puisque déjà en 2022, l’Exécutif a puisé dans ses réserves.  

Tout récemment, le gouvernement a demandé l’approbation du Parlement pour augmenter son budget de 10 milliards de dirhams supplémentaires pour faire face à une nouvelle situation économique due à la sécheresse, l’inflation et la fluctuation mondiale des cours du pétrole. Ces fonds sont nécessaires pour renflouer le budget dans un contexte inflationniste marqué notamment par le renchérissement des matières premières, la pénurie d’eau et les réformes structurelles. Aujourd’hui, plusieurs questions se posent : Jusqu’à quelle mesure dix milliards de dirhams peuvent-ils contrecarrer les effets de l’inflation en dehors de la Caisse de compensation ? Sans compter le cadrage institutionnel et juridique de cette mesure.

À cet égard, 4 milliards de dirhams du nouveau crédit iront à la compagnie d’électricité marocaine ONEE qui souffre d’un endettement chronique déclenché par une flambée des prix du charbon et du carburant.

L’approvisionnement en eau coûtera 1,5 milliard de dirhams alors que le Maroc va de l’avant avec son Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation 2020-2027 auquel 14 milliards de dollars ont été alloués au total. Le plan vise à construire davantage de barrages et d’usines de dessalement.

Le secteur du tourisme disposera de 1,2 milliard de dirhams de la nouvelle ligne de crédit sollicitée par le gouvernement, tandis que 3,3 milliards de dirhams seront affectés à des mesures visant à atténuer l’inflation et à renforcer le pouvoir d’achat des citoyens.

Lire aussi : Maroc : un déficit budgétaire de 24,6 MMDH à fin mai

Le budget 2023 du gouvernement était basé sur des hypothèses dont la plupart nécessitent une mise à jour maintenant avec la flambée de l’inflation à 8,2 % en mars, tirée par les prix des denrées alimentaires.

Le budget 2023 du gouvernement prévoit un taux de croissance de 4 % et un déficit budgétaire de 4,5 %. La plupart des institutions financières internationales, dont le FMI, la Banque mondiale et la BERD s’attendent à ce que la croissance économique du Maroc se situe autour de 3 %.

Cadrage institutionnel et juridique

L’article 60 de la loi organique des finances prévoit, en cas d’événements imprévus et imprévisibles, que le gouvernement puisse émettre des décrets qui permettent d’additionner des crédits au budget initial de l’État. Mais ce faisant, l’article 70 de la Constitution stipule que ce sont des mesures qui ne peuvent être faites que par une loi d’habilitation (une sorte de délégation). Selon le benchmark international, il s’agit de mesures législatives, et non pas réglementaires, comme c’est le cas d’espèce avec la décision du gouvernement. En clair, ce n’est pas l’attribution du gouvernement, mais du Parlement.

Comparé à la Constitution des pays de l’Union européenne, tels que la Suisse ou la France, le Parlement doit autoriser l’addition des crédits. Toutefois, la législation du Maroc n’a permis cette possibilité, comme dans la plupart des Constitutions, que pour des raisons particulières. Ainsi, le Parlement délègue au gouvernement une prérogative afin de pouvoir «s’immiscer» dans la matière législative. Ce fut le cas pour la Loi sur la privatisation ainsi que pour le Code général des impôts.

Dans ce même cas de figure, l’article 21 du projet de Loi de finances prévoit une dérogation qui permet au gouvernement d’émettre une loi d’habilitation pour ainsi émettre un décret. Et depuis quelque temps, ce mécanisme est devenu une tradition, comme en 2022 où le gouvernement a pris des mesures pareilles aux mois de juin et octobre avec une rallonge budgétaire équivalente à 28 milliards de dirhams, presque 80 % du déficit budgétaire du pays.

Sur le plan de la gestion, ces mesures ne sont pas simples, parce qu’elles touchent automatiquement à deux grands principes de gestion des finances publiques, dont le principe de la sincérité des prévisions et le principe de l’équilibre financier et économique.

Pourtant, le Nouveau Modèle de Développement prône un État fort, ce qui suppose un Parlement fort.

Mais si le gouvernement prend des mesures similaires qui ne sont pas discutées au Parlement, cela peut être vu comme une anomalie politique, voire juridique, même si l’article 60 de la loi organique indique que les commissions sont uniquement informées.

Troisième rallonge en un an

Lors de la première rallonge, le gouvernement est passé de 16 milliards à 12 milliards lors de la deuxième, et aujourd’hui, c’est à 10 milliards, avec certes une tendance baissière.

Avec le gouvernement d’Aziz Akhannouch, le Maroc est dans une logique de rallonge qui découle des bases sur lesquelles a été fondé le projet de Loi de finances 2023, qui était au pire des cas irréaliste ou surréaliste, au mieux trop optimiste. D’ailleurs, dans une autre prévision, il était question d’un taux de croissance de 4,5 % avec des prévisions d’une récolte de 75 millions de quintaux, c’est-à-dire une année agricole normale alors que toutes les prémices d’une sécheresse étaient déjà établies. En plus de cela, sur la question des hydrocarbures, c’est le prix du baril de pétrole qui a été fixé dans la note de cadrage au-dessus de 90 dollars le baril.

Toutefois, le problème ne réside pas dans le prix du pétrole et dans le prix de ses produits dérivés parce qu’effectivement à un certain moment, le prix du baril a augmenté légèrement, mais le prix à la pompe a, de son côté, largement augmenté, occasionnant une colère sociale. La raison reste simple parce que la logique qui structure le prix des dérivés des produits pétroliers obéit à une logique de raffinerie et pas uniquement une logique de capacité ou de quantité produite de pétrole à l’échelle mondiale. Malgré cette situation, le gouvernement n’a pas retenu la leçon d’il y a un an, parce que toutes les prémices de cette crise actuelle étaient déjà là en 2022.

À la lumière de ces facteurs, on peut remarquer un manque de lecture prospective ou un surplus d’optimisme par rapport à l’évolution des agrégats macroéconomiques sur le plan national et international, notamment sur l’évolution du prix de l’énergie.

Il est clair que quand on parle de rallonge, on parle de déficit budgétaire sur les recettes fiscales, mais également de l’impôt différé, c’est-à-dire des futures recettes fiscales auxquelles on emprunte de l’argent, donc dans le futur pour les utiliser maintenant alors qu’il aurait été possible de faire une loi de finances rectificative.

Le problème est que le gouvernement ne veut pas revoir les objectifs qu’il s’est fixés et qu’il juge encore atteignables et que quelques rallonges suffiront, ce qui, dans la réalité, reste utopique pour atteindre un taux de croissance de 4%, ce qui n’est pas le cas au moins pour le taux d’inflation.

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