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Les finances publiques en quête d’une nouvelle gouvernance ou comment éviter l’effondrement de l’Etat

Par Taoufiq Boudchiche (*)

Le 15eme colloque international des Finances publiques organisé par le Ministère de l’Economie et des Finances et la Fondation Internationale des Finances publiques a abordé le sujet de la gouvernance des finances publiques face au contexte de multi-crises. Les crises s’additionnent provoquant des effets cumulatifs qui rendent caduques les outils classiques de gouvernance. L’enjeu selon le Professeur Bouvier est désormais d’éviter l’effondrement de l’Etat car toute l’architecture financière publique est menacée par les dérégulations globalisées dans un monde en proie aux chocs permanents et multiples. Le recours  au cycle de l’endettement en réponse aux impacts économiques et sociaux ne peut tenir dans le temps, ni forger un mode de gouvernance durable souligne encore le Ministre Jean Arthuis dans son intervention.

Par ailleurs, les transformations structurelles engagées pour dégager des marges de manœuvre en termes de croissance économique, de compétitivité et de nouvelles créations de richesses se heurtent en effet à l’impérativité pour les finances publiques de répondre aux urgences économiques et sociales. Cela introduit plus de complexité dans l’arbitrage des décisions entre objectifs à moyen et long terme (objectifs structurels) et la nécessité d’ériger en permanence des boucliers économiques et sociaux dans un contexte d’imprévisibilité. Selon Monsieur Tawfk Mouline, Directeur Général de l’IRES, la crise sanitaire confirme que le monde est entré dans une ère dite VUCA (Volatilité, Incertitude, Complexité, Ambiguïté) qui doit conduire à adapter les fondements de l’action publique et privée. Des gouvernances stratégiques intégrant anticipation, prospective et scénarios tenant compte du court, moyen et long terme s’imposent.

En effet, au regard des contextes décrits, l’Etat et l’ensemble du corps économique et social sont confrontés à des menaces et des vulnérabilités permanentes et non plus seulement à des crises isolées comme dans le passé, a-t-il signalé.  A cet égard, Madame Nadia Fettah a souligné, dans son intervention lue par Noureddine Bensouda , le Trésorier Général, que les politiques de transformations structurelles engagées par le Maroc, lors de la crise sanitaire ont été immédiatement confrontées, aux impacts des crises climatiques (sécheresse) et  aux perturbations provoquées par la guerre en Ukraine (chaînes de valeur perturbées, inflation importée en raison du renchérissement des prix des matières premières, crise alimentaire et énergétique, …). Elle s’est néanmoins félicitée de l’initiative royale,  d’engager bien avant la crise sanitaire, la réflexion pour la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement, dont le gouvernement actuel a fait siens les objectifs. Grâce à cette initiative,  le Maroc dispose  d’un cadre d’action rénové qui contribue à anticiper et atténuer les impacts économiques et sociaux des chocs qui surviennent.

La ministre a ainsi indiqué que son département œuvre à accompagner les réformes pour faire émerger une nouvelle génération de plans sectoriels, encourager dans les territoires l’investissement dans les secteurs innovants, promouvoir l’investissement public et privé dans les secteurs à forte valeur ajoutée, favoriser le développement des énergies renouvelables, … De nouveaux outils institutionnels sont prévus comme une nouvelle charte compétitive de l’investissement, une nouvelle loi sur les marchés publics ou encore la création du fonds d’investissement Mohammed VI. Elle a également cité l’accord entre le gouvernement signé avec l’Office Chérifien des Phosphates (OCP) pour consacrer 130 Milliards de DH aux investissements verts. 

Sur le plan du développement humain, selon elle, il y a le chantier très important de la protection sociale et celui de la mise à niveau de la santé qui constituent également une priorité comme celui de l’éducation. A ce propos, le ministre de l’Education Chakib Benmoussa a mis en relief dans son intervention, les réformes du secteur qui se basent également sur les objectifs tracés dans le nouveau modèle de développement tels que la généralisation du préscolaire et l’introduction de  pédagogies plus adaptées (enseignement apprenant). Ceci étant, Il y a à l’évidence au vu de ses grands programmes structurants, l’enjeu des capacités de financement de cette dynamique dans un contexte de fragilité des finances publiques. Parmi les solutions, la Ministre a évoqué la réforme fiscale à travers une loi cadre qui vise notamment à intégrer le numérique.

A propos du développement numérique, le Colloque y a consacré quelques interventions qui ont été des moments forts, notamment celle sur le métarverse par Marie-Alice Bouvier ainsi que celle de Monsieur Firdaous. Ils ont quasiment démontré séance tenante que les finances publiques vont connaître du fait de l’évolution technologique dans le domaine numérique un bouleversement dans les approches, les méthodes de travail et les moyens de la gouvernance financière au niveau de l’Etat, les collectivités locales, les entreprises…Les nouvelles technologies ouvrent en effet des horizons encore insoupçonnables en termes d’information, de précision de la connaissance et d’aide à la décision. Par exemple,  le big data, la géo-localisation, l’intelligence artificielle, l’inter-connectivité… seront de précieux outils de transformation de la décision financière, de création de nouvelles sources de richesses et de revenus dans le monde virtuel, de production et de partage des connaissances…Elles permettront en sus de répondre au besoin de données précises, par exemple dans le cas du Maroc, sur l’anticipation des crises climatiques, hydriques,  agricoles… pour faciliter,  anticiper et optimiser les décisions financières dans ces domaines. Dans le cas français, Benedicte Peyrol, ancienne députée et membre de la commission des finances,  a présenté les avancées en France du débat public sur la mise en place d’un « budget vert » destiné à répondre aux préoccupations climatiques.

Concernant l’importance respective de la connaissance, celle des données et de l’information, elles ont été soulignées par plusieurs intervenants, comme étant fondamentales pour une gouvernance rénovée.  Driss Benhima, en a fait l’axe principal de son intervention, qui a porté sur le processus de décision territoriale.  Selon, l’ancien Ministre et Wali de Casablanca, la Région doit s’ériger en source d’intelligence territoriale pour affirmer son rôle de chef de file dans les processus de décision territorial plus que le niveau  provincial ou le niveau communal. La Région possède, a-t-il souligné, les moyens institutionnels et financiers pour décider financièrement et exécuter localement les projets dans le cadre de plans de développement régionaux. Mais encore faudrait-il, selon lui, qu’elle s’approprie les bons outils de « connaissance et d’intelligence territoriale », par exemple, en intégrant pleinement les universités et les différents acteurs locaux dans la réflexion sur les enjeux locaux et la production de connaissances. L’excès d’externalisation de la production d’information et de connaissances (Bureaux d’études) fragilise les processus d’appropriation de la connaissance.

La question de l’intégration des acteurs dans la décision publique a également fait l’objet d’interventions remarquées dont celle du professeur et ancien ministre Abdallah Saaff. Selon lui, la décision publique est un enjeu dont la dimension politique et démocratique doit primer sur le mode de décision technocratique. Mais la question n’est pas simple en raison de la technicité de certains sujets. La finance publique en est un. Il a fourni à cet égard les expérimentations mitigées de pays  comme le Brésil sur l’expérience du « budget participatif » qui a mobilisé au plus 10 % de participation citoyenne. D’autres réflexions et expériences sont en cours dans certains pays comme le Danemark pour imaginer de nouvelles approches innovantes de la décision publique fondée sur les concepts collaboratifs de co-construction décisionnelle (méthodes dites de « design des politiques publiques » expérimentées par les équipes du Mind Lab ou encore les méthodes de l’Open Policy Making).

De manière générale, un consensus s’est dégagé  sur le fait que les enjeux et les défis des finances publiques ont atteint un tel niveau de globalité et de transversalité que la prise en compte de la diversité des acteurs aux objectifs parfois divergents est devenue nécessaire. Cela, notamment, devrait conduire à repenser des questions fondamentales comme le consentement à l’impôt. Il y aurait même lieu de réfléchir à de nouvelles institutions et de nouveaux cadres juridiques pour fabriquer de la décision publique adaptée aux enjeux de coordination et de mise en cohérence des points de vue des acteurs aux objectifs parfois divergents.

Enfin, un focus a été mis en évidence sur la question essentielle des ressources humaines. Des stratégies audacieuses d’attractivité et de formation des talents s’imposent en raison d’une part, d’un contexte décisionnel qui exige « créativité, agilité et finesse » dans la conception et la mise en œuvre des  gouvernances publiques et, d’autre part, du fait du développement technologique et de la généralisation d’une gouvernance numérique qui lui est associée.

* Economiste


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