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Questions à Leila Kilani, réalisatrice marocaine «Le budget d’un million d’euros pour filmer «Indivision» est largement insuffisant»

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En prélude à la projection de son film « Indivision (Birdland) », prévue ce mercredi dans la section panorama du cinéma marocain au 20ème FIFM, la cinéaste en révèle les dessous. En voici les contours.

ALM : Votre film sera projeté demain au festival. Qu’est-ce que cela vous fait-il?
Leila Kilani : C’est la première marocaine mais le film a beaucoup tourné dans les festivals internationaux. Il a suscité un fort engouement auprès du public jeune de par le monde… Montrer le film à Marrakech c’est comme le faire en famille… C’est toujours un enjeu plus intime, plus viscéral. Il n’y a pas un public marocain mais des publics… J’espère que le film «Indivision » trouvera le sien comme chez lui, à la maison… à Marrakech, comme il a su le faire ailleurs.

Vous traitez, entre autres, de l’environnement, un sujet toujours d’actualité et de taille. Comment aborder tout cela dans un film ?
En 2h07, je reviens toujours dans mon long-métrage à Tanger, ni la mythique, ni la bohème, ni la chic. L’endormie qui prend sa revanche, qui se livre avec délectation à l’obscénité de la spéculation immobilière. Y être, c’est comme être dans une voiture dont on a perdu le contrôle sous nos yeux, sous nos pieds, tous boyaux et cavités à l’air libre. Il suffit de lever le nez, chorégraphie unique de vols d’oiseaux autour du détroit, forêts, ciels bleu-gris et chantiers à perte de vue, grues, tranchées, trous, pelleteuses…
La baie de Tanger vue d’en haut. C’est surtout un territoire physique, expressif, cinématographique et un paysage à filmer sous toutes les coutures. J’ai eu envie de prendre dans mes mains ce territoire et en faire le théâtre d’un corps à corps à l’intérieur d’une famille, dans une sorte de conte.
J’ai donc imaginé cette histoire sur une terre d’ «Indivision». Une forêt luxuriante, refuge des oiseaux migrateurs. Au milieu, une somptueuse demeure abritant une famille bourgeoise vieillissante et coupée du monde. Face à elle, un bidonville et des villageois qui «squattent» les lieux depuis 40 ans. Lina, une adolescente, y vit avec son père Anis, sa grand-mère Amina et sa bonne Chinwiya. Père et fille partagent une passion pour les oiseaux. Lina consacre son temps à l’observation des oiseaux et à un vlog délirant, suivi par des milliers de spectateurs en ligne.
Sa grand-mère Amina n’a qu’un objectif: vendre le terrain et les rendre tous milliardaires. Un promoteur immobilier est prêt à lancer un grand projet et à raser les bidonvilles. Anis refuse de vendre. Pire, il renonce à son droit de propriété. Il veut faire un don éternel sous la forme d’une réserve ornithologique. Soudain, des incendies se déclarent dans les collines. Il pleut des oiseaux…

A travers votre œuvre, vous menez une réflexion à propos de « quel territoire laisserons-nous aux générations futures ? ». Quelle serait la solution que vous proposez dans ce sens?
C’est la question centrale. La planète brûle et il n’y a pas de plan B. Il y a le dérèglement climatique, mais il y a aussi un incroyable éveil des consciences, l’instinct de la jeunesse, comme un soubresaut salutaire, face à la catastrophe qui est déjà là sous nos yeux. «Indivision» s’interroge sur les nombreuses pistes d’actions individuelles, collectives, politiques. Le cinéma est un formidable médium comme projections des possibles… Pour les générations futures, il nous faut libérer l’énergie nécessaire pour ne pas sombrer dans un nihilisme profond et persister à imaginer… L’un des principaux thèmes explorés par le film est de savoir à qui appartient la terre. L’héritage est un thème central. Lina et Anis ont un lien fusionnel avec la nature et la grand-mère veut vendre la propriété. Le père pense que la terre appartient juste à elle-même. La famille est ébranlée. Ils le voient comme un rebelle sans cause. Pour moi, c’est un nouveau type de héros !
Il est très transgressif, d’une façon extrêmement douce. Il est juste cohérent avec ce en quoi il croit. Lui et sa fille ont leur savoir-être au monde. Ils inventent un code, un langage pour communiquer avec la nature… Lorsqu’elle veut vendre, la grand-mère provoque l’apocalypse sur le territoire. Lorsqu’il refuse de vendre sa part dans la propriété et dit qu’il en fera don, le père répand un élément «d’anarchie douce» dans la famille… Mais c’est lui qui arrête le désastre imminent. C’est lui qui ramène sa famille sur terre. Ce faisant, il jette les bases d’un nouveau monde… Un pari de renouveau pour les générations futures.
Mais c’est une désobéissance générale. Lina aide la bonne à sortir de son impuissance, de sa position de victime, face à la grand-mère. Le duo des ados va se rebeller frontalement contre elle. Mais même la forêt, sauvage et mystérieuse, va entrer elle-même en rébellion ! Et le film va virer au conte fantastique.

Différents réalisateurs préfèrent ne pas prendre de risque dans des sujets sur l’environnement pour leur coût de production. Quel serait, sans indiscrétion, le budget alloué à votre œuvre ?
Autour d’un million d’euros. Ce qui est largement insuffisant pour filmer notre plan de travail. Je voulais absolument tourner des feux sans effets spéciaux… Et des oiseaux. Nous les avons suivis. On a commencé avec un tournage classique mais très vite on a épuisé notre budget… Il nous a fallu inventer. Très vite, notre équipe n’était plus composée que de 2 ou 3 personnes. Le tournage s’est étendu dans le temps…
J’ai eu la chance d’être accompagnée par des acteurs à la foi inébranlables dans notre travail collectif, dans le cinéma. Tourner était plus qu’un plaisir. Eric Devin a fait un travail étonnant. La forêt n’était pas en feu mais il a créé cette illusion, jouant de son talent et de ses compétences techniques. On voulait filmer les oiseaux comme des acteurs… et on a réussi !
Mais je n’aurais pas la bêtise crasse de dire qu’on a eu la chance d’être un film fauché.

Vous vous entourez d’un cast de différentes couches d’âge. Comment avez-vous géré cet alliage ?
J’ai d’abord choisi Ifham Mathet…, je l’ai trouvée très énigmatique, réservée et sauvage. Elle pourrait venir des marais. Elle me faisait penser à Sissi Spacek dans la «Balade Sauvage». C’est un mélange ébranlant d’une douceur et une dureté métallique. Et c’est autour d’elle que le casting s’est organisé. Mustafa Shimdat qui joue Anis a eu une relation fusionnelle avec elle pendant le casting. Lui-même est un grand performeur. Il n’a peur de rien, et était à la mesure… des feux, du territoire, du lyrisme du film. Bahia Bouthia a su ne pas avoir peur pour jouer cette grand-mère ogresse. Je voulais une femme élégante pour jouer cette aristocrate qui est un peu une araignée qui file sa toile et une mère castratrice. Elle a fait un travail très fin en incarnant à la fois la cruauté, la violence du personnage et l’amour empoisonné. C’est en duo que s’est fait le casting avec Ikram Layachi qui joue la bonne. Car c’est un duel entre la patronne et la bonne. Ikram a plus qu’un joli visage, elle a des profondeurs cachées. Sa beauté est à la fois ravageuse et émouvante. Elle a dû se transformer en une bonne rageuse et discrète.
Quant à Jaafar Birgui, j’avais été touchée par son panache et son charme baroque. Il est capable de prendre beaucoup d’angles très difficiles dans une même séquence, il est vraiment un virtuose des dialogues. Il se régale avec la langue et n’a pas peur de jouer des côtés très répugnants. Il était flamboyant dans sa capacité à trouver le juste équilibre dans son jeu entre la dépression, la joie, le plaisir et l’humour… Il a composé un looser magnifique.
Je me sens énormément chanceuse et reconnaissante d’avoir eu ce casting. J’aime chacun d’eux, ce sont des authentiques âmes sœurs.

Auriez-vous d’autres projets ?
Oui, je suis en pleine effervescence… Série, long-métrage…

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