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Asmae El Moudir, l’éclat de l’Etoile et le poids de l’Or

On peut se partager le même lit mais pas les mêmes ennuis. On peut se partager le même rêve mais pas réaliser le même cauchemar. On peut se gratter les mêmes idées mais pas avec les mêmes ongles. On peut se faire traduire en justice mais pas pour les mêmes chefs d’accusation. On peut être égaux mais jamais déclarés égaux. On peut, on peut… et puis on ne peut plus. On n’en peut plus. Finalement, il y a plus de personnes sous terre que sur sa surface. La surface de cette dernière ne cesse de rappeler que la récupération n’est qu’un présent sans lendemain.

Bref, pourquoi vivre quand on a la luxuriance de la mort. Cette trouble introduction est en partie inspirée par un post Facebook de l’ami Ali Hassan, journaliste de son état, cinéphage aux états changeants, fouineur à plusieurs états d’âme ou pas. Il s’exprime mardi dernier sur le grand prix du FIFM qu’il intitule Ciné-fratrie : « ‘La mère de tous les mensonges’, l’Etoile d’Or de la 20e édition du Festival International du Film de Marrakech a un frère ‘jumeau’ plus âgé de dix ans.

On retrouve chez l’un et l’autre les mêmes gènes cinématographiques. ‘The Missing picture’ (L’Image manquante) film cambodgien réalisé par Rithy Panh en 2013, et ‘La Mère de tous les mensonges’ réalisé par la marocaine Asmae El Moudir en 2022 présentent une grande similitude. A l’aide de maquettes et de figurines, chacune des deux œuvres reconstitue une page d’histoire sombre relative à son propre pays.

Le premier refait vivre les atrocités perpétrées par les Khmers rouges dans les années 1970, et le second refait vivre la suite des émeutes dites ‘Emeutes du pain’ survenues au Maroc en 1981. Une différence majeure existe néanmoins entre les deux ‘films-frères’ quant au traitement des événements. Alors que ‘The Missing picture’ se base sur des documents réels, notamment des images d’archives, ‘La Mère de tous les mensonges’ propose une reconstitution interprétée… Autres similitudes : Chacun des 2 films est accompagné de bout en bout par une voix off, masculine pour ‘The Missing picture’, féminine pour ‘La Mère de tous les mensonges’. Tous deux ont été distingués au festival de Cannes dans la section ‘Un certain regard’; le Cambodgien y remportant le grand prix en 2013 et le Marocain le prix de la réalisation en 2023. L’un est une production franco-cambodgienne, l’autre est franco-marocaine. Mais, mystère ! Le grand site du cinéma, AlloCiné, attribue à ce dernier trois autres nationalités : Égypte, Arabie Saoudite et Qatar… Décidément, les voies du cinéma resteront toujours impénétrables. Et enfin, les 2 films ont le même destin. ‘The Missing picture’ avait représenté le Cambodge en 2014 et nominé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, ‘La Mère de tous les mensonges’ postule pour prendre part à la course de la petite statuette mythique. Toutes nos prières à ‘La Mère de tous les mensonges’ pour que l’Académie US le retienne dans la course à l’Oscar et pour franchir la ligne d’arrivée. Amen ! » El Moudir commente le texte de Hassan, confirmant l’information de AlloCiné, continuant à célébrer sa belle Etoile d’Or. 

 

Film-surprise 

Si le film est salué par le public à corps et à cris après sa consécration, il n’est pas plébiscité par une confrérie qui reste muette, à quelques exceptions. Un premier long métrage, une Etoile d’Or ! Justement, le FIFM ne tutoie que les premières et deuxièmes œuvres. Donc… Adil El Fadili, grand chapardeur de trophées au dernier Festival national du film de Tanger (six reconnaissances dont le prix suprême pour « Mon père n’est pas mort ») s’élance à l’endroit de la star de Marrakech : « Asmae El Moudir appartient à cette catégorie de réalisatrices qui établissent des connexions entre le tangible et l’irrationnel, tout en restant fidèles à la forme. Elle explore le passé pour mieux comprendre le futur, incarnant ainsi la génération qui embrasse son histoire pour progresser davantage. » Un témoignage empli de reconnaissance, submergé d’espoir, déversé par un fin réalisateur qui utilise le rétroviseur pour mieux aller de l’avant. En se baladant dans les belles ruelles de l’intemporalité, Mohamed Mouftakir, auteur de « Pégase », « L’Orchestre des aveugles » et « L’Automne des pommiers » ne manque pas d’amabilité en évoquant l’œuvre de Asmae El Moundir : « Pour moi c’est un film-surprise, comme une gifle qui te secoue pour mieux te redresser, te remettre en question et repenser le cinéma, surtout venant d’une jeune réalisatrice qui fait ses premiers pas dans le long métrage.

Ce film n’est pas une étoile tombée du ciel comme prétendent certains, mais une étoile qui a poussé d’une terre dans laquelle elle est bien encrée et bien enracinée et c’est pour cela qu’il m’a touché. C’est un film personnel, sincère, original, unique et purement cinématographique qui parle à tout le monde. » La sincérité n’est pas une étrangéité dans la vie et l’œuvre de Mouftakir qui se joue généralement de l’instantanéité de l’expression. C’est la profondeur qui le maintient en hauteur. Et lorsqu’on évoque au cinéma « Casa Negra », « Zéro », « Burnout », on touche à la fibre flamboyante de Nour-Eddine Lakhmari qui s’exprime ainsi en évoquant le dernier FIFM : « Je trouve que les prix attribués pendant le Festival international du film de Marrakech sont très justes. La mise en scène partagée entre deux beaux films (« Les Meutes » de Kamal Lazraq et « Bye Bye Tibériade » de Lina Soualem) où les réalisateurs ont su profiter et des acteurs et de l´espace, ont réussi un exercice très délicat vu le sujet des deux films et le milieu dans lequel ils ont filmé. Par rapport au grand prix « The Mother of all lies », il est mérité. La force de la mise en scène et la maitrise de la narration vont main à main et aide à créer un univers surréaliste mais crédible et chalengeant.

Asmae El Moudir a réussi un beau et important film pour notre cinématographie car elle raconte les évènements des années 80 à Casablanca d´une manière simple mais visuelle. Elle a réussi à nous réconcilier avec une période de notre histoire. Merci à ces deux cinéastes marocains qui ont livré deux beaux films dont notre cinéma sera fier pendant des générations. » Lakhmari est ainsi positif, fier et graduellement sensible à ce que le présent peut laminer lorsque le futur se fait rugueux. C’est forcément de la science affection. 
 

                                                                                                Anis HAJJAM
 

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